Les pêcheurs boulonnais avaient jusqu'au 18 novembre dernier pour déposer un dossier à la préfecture et prétendre au plan de sortie de flotte mis en place par le gouvernement. Dix-neuf d'entre eux souhaitent envoyer à la casse leur bateau en échange d'indemnités.
Quel est l'avenir du premier port de pêche français ? En une quinzaine d'années, le port de Boulogne a perdu près de 100 bateaux. Une situation inquiétante pour une filière en souffrance, frappée de plein fouet ces dernières années par le Brexit, le Covid, et l'épuisement des ressources.
C'est dans ce contexte que dix-neuf bateaux, sur les 105 immatriculés à Boulogne, ont déposé un dossier à la préfecture pour prétendre au plan de sortie de flotte proposé par le gouvernement : la possibilité pour les pêcheurs de mettre la clé sous la porte en échange d'indemnités. Une solution de dernier recours pour certains pêcheurs, qui risque de modifier encore davantage le paysage de la pêche artisanale boulonnaise.
"On vit la double peine"
Amarré bassin Napoléon, le Jérémy Florent II est l'un de ces bateaux candidat au plan de sortie de flotte. Appartenant au père d'abord puis au fils Lhomel, le bateau a accumulé les difficultés : moteur cassé, covid, absence de licence, raréfaction du poisson, Jérémy Lhomel s'est peu à peu enfoncé dans les dettes.
"La décision a été prise d'adhérer au plan parce qu'on n'a plus le choix, nous raconte Christophe Lhomel, père de Jérémy et ancien marin pêcheur, la principale raison de cette situation c'est qu'on n'a pas eu la licence pour aller dans les eaux anglaises alors qu'on y a toujours navigué... Il y a un sentiment de gâchis profond" soupire-t-il.
Pour la famille, qui détenait ce bateau depuis plus de trente ans, c'est la double peine : "malgré le plan casse, on sera endetté à vie" , confie Christophe Lhomel, qui a dû faire un prêt, tout comme son fils. "Si le dossier passe on touchera 420 000 euros de plan casse, mais reste 600 000 euros d'encours en plus des 70 000 d'aides à rembourser !"
En effet, le Jérémy Florent II a reçu des aides pour compenser l'impossibilité d'aller dans les eaux anglaises, "mais comme on met le bateau à la casse, on nous oblige à rembourser ces aides...c'est le serpent qui se mord la queue", affirme-t-il, dépité.
Des critères d'éligibilité stricts
En effet, présenté comme une aide "à la modernisation des navires" par le gouvernement, ce plan s'adresse aux pêcheurs remplissant de nombreux critères :
Le navire doit, entre autres, être entré en flotte avant le 1er janvier 2021, réalisé 20% de la valeur totale de ses ventes grâce à des espèces pêchées dans les eaux britanniques en 2019 ou 2020, ne pas avoir obtenu de licence pour pêcher dans les eaux britanniques, ou présenter une dépendance à un ou plusieurs stocks de poissons.
En échange, ils recevront des indemnités calculées en fonction du tonnage du bateau. Au total, une enveloppe de 60 millions d'euros est prévue, financée par la commission européenne.
Pour l'ancien fileyeur Christophe Lhomel, les critères du plan sont mal définis "il est surtout fait pour des gens qui partent en retraite... On ne sait même pas si notre bateau sera accepté...On essaie de rester positif mais c'est dur ".
Un avis partagé par Olivier Leprêtre, président du comité régional des pêches dans les Hauts-de-France, qui rappelle que "ce n'est pas parce qu'il y a eu 19 dossiers déposés que cela veut dire que les 19 vont être reçus, toutes les demandes ne correspondent pas aux critères d'éligibilité…Celui qui est en difficulté financière et qui n'est pas éligible, ça va être très compliqué, il va falloir que le gouvernement nous réponde", continue-t-il.
Un avenir trouble
Laurent Merlin, fileyeur boulonnais, rentre au port après 11 heures de pêche. Depuis quelque temps, des casiers ont remplacé ses filets. Pour tenir dans le contexte actuel, comme beaucoup d'autres, faute de poissons dans les eaux de la Manche, le pêcheur a dû se diversifier dans la pêche aux crustacés.
Le fileyeur n'a pas déposé de dossier à la préfecture. A 43 ans, il ne se voyait pas raccrocher "ça fait quatorze ans que je fais ça, on se dit on va à la casse et après qu'est-ce qu'on fait ?" en investissant dans les casiers, il espère échapper à la faillite. "On a arrêté les filets pour les bulots et crabes, sauf que tout le monde fait ça et la ressource va en prendre un coup, déjà qu'il n'y a plus de poissons..."
Pour lui, cette mesure est un mauvais signal envoyé à toute la filière : "peut-être que tout le monde va y passer, le port est vide déjà, vous voyez les aubettes ? On est plus que dix ou douze bateaux à vendre...on était 60 dans les années 2000.. on va essayer encore, en espérant que les poissons reviennent", continue-t-il, inquiet.
Une inquiétude partagée par Olivier Leprêtre, pour qui le plan de sortie de flotte n'est pas vraiment "bienvenu pour toute la filière, on ne peut pas se permettre de perdre des bateaux comme ça régulièrement, ça risque de poser des problèmes sur toute la filière, pas seulement la pêche, mais aussi la transformation, attachée à la production. Le port de Boulogne c'est le poumon économique du boulonnais, il faut à tout prix qu'on maintienne un niveau assez élevé pour les emplois : 5000 emplois directs et indirects sont concernés".
Dans quelques semaines, le Jérémy Florent II sera de son côté fixé sur son sort, "si on passe pas le plan de casse, à part prendre la famille et les enfants et faire un piquet de grève devant les affaires maritimes... Je vois pas ce qu'on va pouvoir faire", soupire Christophe Lhomel, espérant que les fêtes de fin d'années, ne seront pas gâchées.