Alors que des vidéos montrant ces techniques ont été récupérées par une association d'aide aux migrants et que l'IGPN, inspection générale de la police nationale, a été saisie pour une affaire datant d'août 2023, les techniques d'arraisonnage pour sauver les migrants sont-elles dangereuses ?
La vidéo date d'octobre 2023. Elle est filmée par un migrant. Ils sont une trentaine avec lui, partis du port de Dunkerque pour traverser la Manche. Mais un bateau de la police nationale tourne et tourne autour de leur embarcation.
"Le risque c'est la submersion du bateau ; que cela crée un mouvement de panique et que les gens tombent. Et que les vagues fassent chavirer le bateau dans lequel on voit qu'il y a déjà de l'eau", estime Fabien Touchard, coordinateur association Utopia 56 en visionnant la vidéo.
C'est cette association d'aide aux migrants qui a récupéré les images. Dans une autre vidéo, tournée quelques mois plus tard au large de Boulogne-sur-Mer, c'est la gendarmerie cette fois, qui semble percuter un bateau gonflable. L'un des gendarmes brandit une bombe lacrymogène en direction du pneumatique des migrants.
"Il y a une sorte de chasse à l'homme qui se fait sur terre mais aussi sur mer. Au bout d'un moment, ces pratiques, elles sont criminelles. Il faut dire les choses : la montée de la répression est liée à la montée des personnes qui meurent et qui sont blessées", reprend le coordinateur.
Aucune victime lors de ces deux opérations. Mais les associations comme les migrants dénoncent des manœuvres des forces de l'ordre de plus en plus musclées. Amanir est Érythréen, il a tenté une fois la traversée. Alors qu'il avait tout juste embarqué lorsque la police intervenait et crevait son bateau. Si cette action se faisait en mer, cela serait dangereux, selon lui.
On a un cadre légal, des formations des habilitations à passer. On ne peut aller au-delà de ce cadre. Je pense qu'ils ont essayé d'arraisonner ces gens, pour ne pas qu'ils prennent la mer. C'est dans un but de sauver les gens. On n'est pas là pour blesser ou tuer quelqu'un. C'est tout l'inverse
Marc Alègre, Unité SGP Police Calais Dunkerque
Dangereux et illégal... Une directive de la préfecture maritime fixe le cadre d'intervention en mer et il est strict : aucune action de coercition. Seuls sont autorisés la recherche et le sauvetage en mer, y compris sur la bande littorale des 300 m. Des règles respectées selon Marc Alègre, délégué syndical Unité SGP Police FO - Calais - Dunkerque : "On a un cadre légal, des formations des habilitations à passer. On ne peut aller au-delà de ce cadre. Je pense qu'ils ont essayé d'arraisonner ces gens, pour ne pas qu'ils prennent la mer. C'est dans un but de sauver les gens. On n'est pas là pour blesser ou tuer quelqu'un. C'est tout l'inverse".
Concernant les vidéos diffusées dans le reportage ci-dessus, la préfecture maritime note que la première, filmée dans le port de Dunkerque dépend du préfet de zone de défense et de sécurité du Nord. Ceci dit, précise la préfecture maritime : "Les réseaux de passeurs s’organisent et s’adaptent en permanence. Entraver leur action, limiter le départ des embarcations à partir du littoral, est donc aussi un enjeu qui concourt à sauvegarder la vie humaine en mer."
Une enquête en cours, l'IGPN saisie
Par ailleurs, dans la deuxième vidéo, selon la préfecture maritime, la gendarmerie maritime tente de stopper une opération de "taxi boat" menée par les passeurs. "Cette technique permet de s'affranchir des contrôles au départ de la plage [...] en mettant les embarcations à l'eau d'un endroit difficilement accessible, avec quelques personnes à bord seulement pour être plus discrets, dont les passeurs. [...] La personne qui filme dans la vidéo transmise est fortement suspectée d’être un passeur, l'embarcation des gendarmes maritimes s'est mise en route parallèle, pour être bord-à-bord et demander aux personnes embarquées de stopper leur route afin qu'ils ne chargent pas les candidats à la traversée. D'un point de vue purement nautique, la manœuvre des gendarmes maritimes a donc été faite en sécurité et il est inapproprié de dire qu'ils ont "percuté" l'embarcation en question. In fine, les personnes à bord ayant refusé le contrôle coopérant, cette embarcation a librement poursuivi sa route".
Actuellement une seule enquête est en cours. Elle concerne une autre interception en mer qui date d'août 2023 (1). Le procureur de Boulogne-sur-Mer et l'IGPN sont saisis. Sur ces pratiques, une députée communiste des Hauts-de-Seine, Elsa Faucillon, vient de demander la création d'une commission d'enquête parlementaire sur "les agissements illégaux à l'encontre des exilés".
(1) Selon une enquête du Monde, un garde-côte rapporte que, le 11 août 2023, un gendarme, aurait demandé à un membre de la SNSM de percer un bateau au large de Boulogne-sur-Mer avec une dizaine de personnes à bord.
Avec François Wasson, Flavien Bellouti / FranceTélévisions