Violences policières envers les migrants : pour l'association Utopia 56, "ce sont des méthodes quotidiennes"

Après la diffusion dans la presse de vidéos d'intervention des forces de l'ordre sur les côtes de la Manche, Thomas Chambon, coordinateur d'Utopia 56, revient sur les violences subies par les personnes migrantes.

Des vidéos montrant les techniques d’intervention en mer de la police française dans la Manche ont été publiées par le journal Le Monde, ce samedi 23 mars. Thomas Chambon, coordinateur d'Utopia 56 à Grande Synthe, réagit à ces images. Pour l’association d’aide aux migrants, les méthodes employées par les forces de l’ordre sur les côtes de la Manche sont "dangereuses" et "illégales". 

Que voit-on sur les images d’intervention en mer publiées ce samedi ?

"On voit des bateaux de la police nationale et de la gendarmerie maritime qui vont au contact des embarcations. Ça fait beaucoup penser aux méthodes d’intimidation libyennes, pour forcer les exilés à arrêter la traversée et à faire demi-tour. Ce sont des pratiques interdites et dangereuses pour les personnes à bord. On voit aussi sur ces images des faits de violences policières au moment des départs, avec des grenades lacrymogènes et des jets de LBD."

Ces pratiques sont-elles habituelles ?

"Ce sont des méthodes quotidiennes et les violences exercées par les autorités sont de plus en plus importantes. Les nombreux témoignages qu’on a des exilés montrent de multiples formes de violences policières. On nous parle beaucoup de gazages, de violences physiques et verbales, d’insultes, de bateaux percés sur la plage, de matraquages… Il y a des cas d’embarcations percées à plusieurs dizaines de mètres du rivage. Les personnes doivent retourner à terre à la nage, alors qu’elles n'ont pas de gilet de sauvetage. À chaque fois qu’il y a une tentative de traversée, des personnes nous racontent ces faits-là."

Ces méthodes sont-elles légales ? 

"Une fois que les personnes sont sur le bateau, les forces de l’ordre n’ont plus le droit d’intervenir. Ils n’ont pas le droit d’attraper le bateau, de le crever, de gazer les passagers à bord, d’attraper quelqu’un, etc. Toute intervention est interdite. Mais certains policiers le font quand même. Ils se mouillent parfois jusqu’à la taille pour aller crever un bateau avec un couteau.

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Les policiers n’ont pas le droit de faire ce qu’ils font sur les vidéos : des dérapages devant l’embarcation, pour essayer de mettre de l’eau dedans. Mettre de l’eau sur le bateau, interpeller les personnes sur le bateau, c’est une intervention. Il s’agit d’intimidation dangereuse, ce sont des comportements à risque. Le bateau n’a pas chaviré, les personnes ne sont pas tombées à l’eau, mais ça aurait pu."

Les nombreux témoignages qu’on a des exilés montrent de multiples formes de violences policières.

Thomas Chambon

coordinateur d'Utopia 56 à Grande Synthe

Quelles sont les conséquences de ces interventions ?

"Depuis le 1er janvier 2024, il y a environ 4 300 personnes migrantes qui ont traversé la Manche par bateau, d’après les chiffres du ministère de l’immigration anglais. Sur ce début d’année, au moins quatre incidents ont entraîné des décès. En comparaison, il y a eu cinq incidents en 2023 pour 30 000 traversées et quatre en 2022 pour 45 000 traversées. Le passage à la frontière devient de plus en plus meurtrier."

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Sur ce début d’année, au moins quatre incidents ont entraîné des décès.

Thomas Chambon

coordinateur d'Utopia 56 à Grande Synthe

Comment peut-on l’expliquer ?

"Ce que nous disent les gens, c’est que la pression policière au moment du départ les pousse à la précipitation. Ils sont sous pression au moment des départs, au milieu des gazages et d’armes pointées vers eux. Résultat, parfois, ils n’ont pas le temps de bien gonfler leur Zodiac ou de monter correctement le fond des bateaux pneumatiques. Donc il arrive que les embarcations se dégonflent ou se disloquent une fois en mer.

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La surmitilarisation sur le littoral pousse aussi les personnes à aller de plus en plus loin sur la côte. La distance est multipliée par trois voire plus, il y a des bateaux qui partent de la baie de Somme pour éviter les forces de l’ordre présentes à Dunkerque, Boulogne ou Calais. Ça rallonge les temps de traversée et ça éloigne les personnes des bateaux de sauvetage français et anglais, généralement situés entre Boulogne et Dunkerque."

La pression policière au moment du départ les pousse à la précipitation.

Thomas Chambon

coordinateur d'Utopia 56 à Grande Synthe

Comment réagissez-vous face à ces images et aux témoignages de faits de violence que vous recevez ? 

"Du côté d’Utopia 56, nous sommes profondément en colère, mais aussi soulagés que cette réalité puisse être mise en lumière. Il s’agit de femmes, d’hommes et d’enfants qui n’ont commis aucun crime et qui cherchent à aller construire une vie ailleurs. Les autorités se moquent de sauver des vies, elles veulent juste entraver les départs et empêcher les traversées à tout prix.. Les moyens déployés pour faire de la répression sur les côtes ne cessent d’augmenter. Alors que cette réponse répressive a pour seule conséquence l’augmentation des risques et du nombre de décès.

On demande l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire suite à ces situations à la frontière. L’impunité doit cesser maintenant.

Thomas Chambon

coordinateur d'Utopia 56 à Grande Synthe

Le rôle de la police, c'est la sécurité et le secours. Si les forces de l’ordre empêchent les personnes de partir, il faut les secourir à terre pour empêcher une hypothermie. On a des personnes mouillées, qui sont tombées dans une mer entre 10 et 14 degrés, en errance sur une route en pleine nuit. On demande à l’État et aux collectivités de faire le minimum : rhabiller toute personne mouillée et proposer une mise à l'abri.

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Par ailleurs, on demande l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire suite à ces situations à la frontière. La justice doit se saisir de ces faits. L’impunité doit cesser maintenant."

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