Pour prévenir les tentatives de traversées de la Manche en direction des côtes anglaises, l’installation de caméras “anti-passeurs” a été amorcée dans différentes communes de la côte. “Amélioration pour éviter les drames humains” ou “militarisation de la frontière” qui risque de pousser les migrants à se mettre encore plus en danger ?
Dans le cadre du projet Terminus, des caméras “anti-passeurs” sont en cours de déploiement sur le littoral du Pas-de-Calais. Le projet, annoncé en 2022, prend de l’ampleur, avec de nouvelles communes équipées en ce début d’année 2024.
L’objectif d’après la préfecture de région Hauts-de-France est de “sauver des vies”, en permettant aux forces de sécurité intérieure de “mettre en échec les tentatives identifiées de départs en bateaux par des migrants depuis la côte”. L’idée est simple : favoriser une meilleure coordination et une intervention plus rapide de la gendarmerie.
Des caméras anti-passeurs "pour sauver des vies"
Par ailleurs, ces caméras “faciliteront le travail des enquêteurs spécialisés dans la lutte contre les filières de passeurs". Selon la préfecture, “la justice peut également requérir ces images chaque fois qu'elle le juge nécessaire dans le cadre des enquêtes.”
Ces dispositifs sont d'ores et déjà été installés au sein des communes d'Ambleteuse, Sangatte, Marck, Wimereux et Berck et sont en cours d'installation à Equihen, Saint-Etienne-au-Mont, Audinghen, Wissant, Audresselles, Etaples et Oye-Plage. Enfin, des caméras seront aussi installées dans les communes de Neufchâtel-Hardelot, Boulogne-sur-Mer, Le Portel, Camiers, Groffliers et Cucq, après le mois de mars.
Je sais combien la mer est dangereuse pour ces personnes migrantes, victimes des passeurs. Alors je trouvais judicieux d’aider les forces de l’ordre en mettant des caméras sur nos grands axes.
Stéphane Pintomaire d'Ambleteuse
Ces caméras ne coûtent, par ailleurs, que très peu voire rien du tout aux communes ! “Les autorités britanniques remboursent la totalité des dépenses hors taxes”, explique la préfecture. L’État français rembourse quant à lui les dépenses d'investissement par le biais du fonds de compensation de la TVA. Ainsi le reste à charge est de “moins de 5%” pour les municipalités, propriétaires des équipements.
À Ambleteuse, l’installation des onze caméras représente “256 000 euros hors taxes financés par les anglais”, d’après le maire. Pour Stéphane Pinto, c’est “une amélioration pour éviter les drames humains”. “Je sais combien la mer est dangereuse pour ces personnes migrantes, victimes des passeurs”, affirme l’édile. “Alors je trouvais judicieux d’aider les forces de l’ordre en mettant des caméras sur nos grands axes.”
Des caméras payées à 100% par les anglais
L’élu explique que dans sa commune, il y a des départs au quotidien, surtout avec les beaux jours. Pour le moment, difficile d'avoir du recul sur l'efficacité des caméras, puisqu'elles ne sont entrées en fonction que depuis un mois et demi. Mais l'édile est optimiste et explique : “elles ont pour but de contrôler les véhicules suspects sur tous les axes routiers qui mènent à la plage”. Le dispositif du projet Terminus permet de conserver les images pendant un mois.
Du côté de l’association de défense des personnes exilées Utopia 56, l’enthousiasme n’est pas vraiment partagé. “Je ne dirais pas que je suis contre les caméras, je ne veux pas entraver les enquêtes de police. Mais ça ne réglera pas les problèmes”, affirme Amélie Moyart, coordinatrice d'Utopia 56 à Grande Synthe.
La militarisation de la frontière franco-britannique a l’effet inverse : plutôt que de protéger les personnes, elle leur fait prendre de plus en plus de risques.
Amélie Moyartcoordinatrice d'Utopia 56 à Grande Synthe
Pour elle, “la militarisation de la frontière franco-britannique a l’effet inverse : plutôt que de protéger les personnes, elle leur fait prendre de plus en plus de risques”. D’après la militante, en voulant empêcher les départs, les autorités ne dissuadent pas les migrants… Ils les poussent à la précipitation. “Avec les stress, ils prennent encore plus de risques : ils montent à bord d’embarcations mal montées ou trop chargées…"
Le potentiel effet pervers des caméras anti-passeurs
Amélie Moyart prend notamment l’exemple du naufrage de ce 14 janvier 2024 à Wimereux : “Les personnes ont pris de grands risques à cause de la présence policière qui leur faisait peur et ils se sont précipités”. Les caméras pourraient selon elle avoir un effet similaire.
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Si la responsable associative reconnaît que ces caméras permettront aux autorités “de faire des enquêtes et peut-être de démanteler des réseaux de passeurs”… Elle affirme que ces réseaux seraient inexistants “s’il y avait des passages sécurisés aux frontières”.
Il faudrait plutôt permettre aux personnes de demander l'asile là où elles le souhaitent.
Amélie Moyartcoordinatrice d'Utopia 56 à Grande Synthe
Pour elle, la véritable solution pour protéger les migrants, ce serait d’investir cet argent “dans la protection des personnes, avec des protocoles de prise en charge, un soutien psy aux personnes qui perdent leur proche, des points d’eau, des vêtements secs et de la nourriture pour les personnes qui survivent sans rien”. Et surtout, “de permettre aux personnes de demander l’asile là où elles le souhaitent”, pour ne pas les contraindre à tenter la traversée.
“C’est ce qui s’est passé pour la famille de la petite Roula : après plusieurs années à Berlin, leur titre de séjour n’a pas été renouvelé… De peur d’être renvoyés en Irak, leur seule solution était de rejoindre l’Angleterre”, déplore Amélie Moyart. La petite fille de 7 ans de cette famille est décédée lors de cette tentative, ce dimanche 3 mars.