Migrants : l'association Utopia 56 dépose une plainte contre les autorités françaises et britanniques pour "homicide involontaire"

Le 14 décembre 2022, au moins quatre migrants avaient trouvé la mort lors d'une tentative de traversée de la Manche. Un naufrage meurtrier que l'association Utopia 56 pointe du doigt pour le manque de réactivité des secours, malgré une alerte lancée par l'association elle-même et les signaux de détresse envoyés par les naufragés.

"Nous accusons un système avec des manquements, des mises en danger, et des donneurs d'ordre loin de la réalité." Le 2 février 2024, l'association d'aide aux migrants Utopia 56 a déposé une plainte auprès du Parquet de Boulogne-sur-Mer contre la Préfecture maritime (Prémar) de la Manche et son sous-préfet Marc Véran, contre le Cross Gris-Nez et son directeur Olivier Drevon, ainsi que contre Claire Hughes, directrice des secours maritimes anglais.

La plainte, portée pour "homicide involontaire" et "omission de porter secours", concerne les circonstances du naufrage d'un bateau de migrants, qui avait tenté la traversée de la Manche le 14 décembre 2022.

Des naufragés toujours disparus

Il y a maintenant plus d'un an, 43 migrants avaient été secourus par des garde-côtes britanniques alors qu'ils se trouvaient en grande difficulté, au large du Kent. Malgré les moyens de sauvetage déployés, notamment du côté anglais (seul un patrouilleur de la marine nationale avait été dépêché par les secours français), quatre personnes sont décédées lors du naufrage et au moins cinq autres ont été portées disparus.

"On sait qu'il y a des disparus, mais personne n'a communiqué sur leur nombre exact ni sur leur identité. On ne connaît pas non plus l'identité des personnes décédées, c'est inadmissible deux ans après les faits", fustige Amélie Moyart, coordinatrice d'Utopia 56 Grande-Synthe. Avec ce dépôt de plainte, Utopia 56 cherche notamment à comprendre pourquoi aucun bateau français n'accompagnait l'embarcation, comme il est normalement d'usage.

On sait qu'il y a des disparus, mais on ne sait pas encore combien, c'est inadmissible deux ans après.

Amélie Moyart, coordinatrice d'Utopia 56 Grande-Synthe

Plusieurs appels à l'aide restés sans réponse

À l'époque, l'association avait alerté les secours à 2h55 du matin, quand les migrants à bord du small boat se trouvaient déjà les pieds dans l'eau. Or, les garde-côtes anglais sont intervenus plus d'une heure après, vers 4h20, alors que plusieurs personnes étaient déjà tombées à l'eau. "C'était difficile d'apprendre leur mort alors que nous avions donné l'alerte sur le moment", précise la coordinatrice d'Utopia 56 Grande-Synthe.

"Cette nuit-là, la température ressentie était de -7C° et celle de l'eau à 8C°. Beaucoup n'avaient pas de gilet de sauvetage. Dans ces conditions, l'espérance de vie dans l'eau est de moins d'une heure", rappelle l'association dans un thread posté sur le réseau social X ce mardi 6 février 2024, profitant de la journée mondiale de lutte contre le régime de mort aux frontières pour alerter sur les dangers du détroit du Pas-de-Calais.

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Qui plus est, à l'aide de données collectées par le projet Alarm Phone, l'association affirme que les passagers du bateau avaient appelé à plusieurs reprises les autorités françaises pour leur demander de l'aide, comme on peut l'entendre dans l'enregistrement ci-dessous, sans obtenir de réponse. En déposant une plainte ce vendredi 2 février, Amélie Moyart souligne que l'association demande "de ressortir les audios et enregistrements que le bateau avait envoyés aux secours pour demander un sauvetage, qui n'a pas été accepté avant qu'ils se retrouvent totalement à l'eau."

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Un survivant du naufrage du 14 décembre 2022 appelle à l'aide l'association Utopia 56. "Nous avons une famille", peut-on entendre en anglais. ©Utopia 56

"Bonjour mon frère, nous sommes sur un bateau et nous avons un problème, s'il vous plaît aidez notre famille à bord du bateau. De l'eau rentre (...) s'il te plaît aide moi mon frère. S'il te plaît, s'il te plaît, nous avons une famille", peut-on entendre dans l'audio envoyé par un survivant du naufrage à l'association.

Nous demandons de ressortir les audios et enregistrements que le bateau avait envoyé aux secours pour demander un sauvetage, qui n'a pas été accepté avant qu'ils se retrouvent totalement à l'eau.

Amélie Moyart

Permettre aux familles de guérir

Mais surtout, Utopia 56 affirme déposer plainte pour que pour que la mort de ces personnes "ne reste pas impunie" et qu'un travail soit mené par la justice pour éclaircir les circonstances du naufrage.

"Nous déposons plainte pour redonner un visage aux victimes de la frontière franco-britannique qui ne cesse de tuer, pour que justice soit rendue et que la vérité soit entendue", résume Amélie Moyart, qui espère enfin comprendre pourquoi la France n'a pas pris part activement aux opérations de secours cette nuit-là.

Nous déposons plainte pour redonner un visage aux victimes de la frontière franco-britannique qui ne cesse de tuer.

Amélie Moyart

Les pensées de la coordinatrice se dirigent aussi vers la famille des victimes, qui doivent "comprendre ce qu'il s'est passé", afin de continuer leur travail de reconstruction psychologique. Pour l'instant, les familles des migrants décédés le 14 décembre ne se sont pas encore rapprochées de l'association, qui espère les voir se joindre à la plainte, comme cela avait déjà pu se produire précédemment lors d'une autre plainte déposée pour le naufrage du 24 novembre 2021 lors duquel 27 exilés avaient trouvé la mort.

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Un système entier à repenser

Concernant les personnes et entités visées par la plainte, l'association explique leur reprocher un manque de réaction et de transparence concernant les circonstances du naufrage. "Il faut arrêter de se cacher derrière des phrases toutes faites qui accusent uniquement les passeurs, il s'agit de tout un système à repenser."

Utopia 56 tient tout de même à préciser qu'elle n'attaque en aucun cas le travail "remarquable" qu'accomplissent les secours presque chaque nuit, qu'elle affirme respecter tout particulièrement. "Nous pointons du doigt un système avec des manquements, des mises en danger, et des donneurs d'ordre loin de la réalité. Chacun doit prendre ses responsabilités. Des personnes meurent et nous demandons vérité et justice pour les proches et toutes les autres victimes ou disparues à cette frontière."

Contactée, la Prémar (préfecture maritime) n'a pas donné suite à notre demande.

Nous poitons du doigt un système avec des manquements, des mises en danger, et des donneurs d'ordre loin de la réalité. Chacun doit prendre ses responsabilités.

Amélie Moyart

Pour rendre hommage aux victimes de la nuit du 14 décembre 2022, mais également aux autres naufragés de décembre 2023 ou plus récemment, du 14 janvier dernier, plusieurs associations de Calais organisent un rassemblement dans le centre-ville de la commune du Pas-de-Calais, ce mardi 6 février 2024 à partir de 18 heures.

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