Le dernier ferry, du dernier jour où le Royaume-Uni appartenait encore à l'Union Européenne, a rallié Calais à Douvres, hier. À son bord, des passagers déjà nostalgiques... Et inquiets.
"On réalise que c'est vraiment ce soir..." : un peu seuls au milieu de la Manche au moment du Brexit, les rares passagers du dernier ferry Calais-Douvres de la soirée alternaient dans la nuit entre "tristesse" et "résignation", prêts à "sortir de l'Europe en sortant du bateau".
"C'est vraiment déprimant ce qui se passe !", lâche Alessio Bortone, Italien de 42 ans "dont dix passés en Angleterre", devant sa voiture chargée sur le quai d'embarquement à Calais (Pas-de-Calais), face au navire de la compagnie DFDS qui doit le ramener chez lui.
Parti d'Allemagne le matin après avoir vu un client, Alessio Bortone a "traversé quatre frontières en voiture. Mais samedi, alors que je paye mes impôts en Angleterre, que j'y ai acheté une maison, je vais devoir demander un statut de résident, un droit que j'ai déjà ! Mon épouse britannique va elle devoir demander un passeport européen...", soupire-t-il sous la fine bruine, dépité.
Tonight we are leaving the European Union. pic.twitter.com/zZBsrf4BLe
— Boris Johnson (@BorisJohnson) January 31, 2020
Hymne européen
"C'est beaucoup de paperasse qui aurait pu être évitée, beaucoup de temps perdu", juge l'ingénieur, estimant toutefois "faire partie des chanceux", car ses trois enfants, qui ont la double nationalité, "pourront choisir où ils veulent vivre, contrairement à d'autres".
Mélancolique et "assez pensif", il a décidé, une fois débarqué en Angleterre, d'écouter l'hymne européen.
Un peu plus loin, derrière les hautes grilles de sécurité qui s'élèvent autour de l'embarcadère, Jamie Cunningham, étudiant de 22 ans originaire de Nottingham, hèle les véhicules pour tenter de grimper à bord, car à cette heure tardive, "impossible d'embarquer à pied".
Aimant toujours "improviser, sauter vite fait à bord d'un avion ou d'un ferry", il craint que le Brexit rende les choses "plus compliquées", qu'il faille "payer un visa". "Mais j'imagine que ni l'Angleterre, ni l'Europe n'ont intérêt à ce que ce soit difficile de voyager pour les touristes !", sourit-il sous sa paire de skis, voulant se montrer "optimiste".
Pour lui, le Brexit "peut bien se passer pour la plupart des gens, mais il y a un risque que le pays en sorte affaibli", notamment sur la scène internationale, un risque "qui ne vaut pas le coup".
Sur le pont déserté et venteux du ferry comme dans les salons presque vides, l'ambiance est calme, presque morose. Quelques passagers boivent un café ou somnolent sur les banquettes. A la télévision, apparaît le visage de Boris Johsonn, le Premier ministre britannique.
"Je suis un peu triste ce soir", confie Edward Maren, 24 ans, attablé avec son frère et des amis autour d'une bière. Originaire de Roumanie mais voyageant régulièrement en Angleterre pour travailler et voir son père, il "aime vivre dans ce pays", et aimerait s'y établir définitivement.
"Une idée stupide"
Employé dans une usine agro-alimentaire, il vient de demander son statut de résident. "Je travaille, je parle anglais, ça devrait aller pour moi", veut-il croire. Mais "énormément de travailleurs sont étrangers en Angleterre et, si le pays arrête d'accueillir, je ne pense pas qu'il ira mieux après".
Nick Schunke, Allemand de 36 ans, se rend lui en Angleterre pour rendre visite à sa petite amie. "Le Brexit, c'est une idée stupide", tranche-t-il, persuadé que les Britanniques "vont y perdre".
Mais "pour les gens comme moi, ça ne changera pas grand-chose", ajoute-t-il, confiant. "S'il faut un visa ? Ce sera sans doute très peu cher", et qui sait, "s'ils perdent. beaucoup de touristes ça fera peut-être baisser le prix des billets !"