Les salariés de l'usine Synthexim de Calais disposent de deux jours pour déposer des doléances auprès de la direction de l'entreprise. Tous sont suspendus à la décision du tribunal de commerce d'Orléans, qui se prononce le 2 mai prochain sur la liquidation judiciaire de l'entreprise.
Ils étaient une trentaine de salariés réunis ce mardi 25 avril devant les grilles de l’usine Synthexim à Calais. Leur nombre d'années travaillées ici se compte en dizaines. Mais désormais, pour eux, l'avenir est une menace.
Annick Deloziere est assistante de production à Synthexim depuis 27 ans. Toute une vie. Mais pour évoquer son avenir, elle choisit un mot, qu'elle répète à plusieurs reprises : "C'est le néant, le néant". La cinquantaine, aucune certitude sur l'avenir et trop éloignée de la retraite, Annick va devoir continuer à travailler. "Je vais sûrement devoir reprendre une formation, recommencer depuis le début, à partir de rien. Tout est remis en question et ce n'est pas facile", raconte l'assistante de production.
Mais pour l'heure, ce qui l'inquiète le plus, c'est la santé mentale des salariés. "Vous vous rendez compte ? À cause d'une mauvaise gestion, 120 personnes se retrouvent sans rien. Il faut voir les conséquences : morales, psychologiques, sur les vies de familles...", énumère la salariée, avant de conclure : "c’est du gâchis."
Pour les salariés, un gâchis d’autant plus incompréhensible, qu’ils accusent une mauvaise gestion de la direction. Selon eux, le carnet de commandes est plein, le chiffre d’affaires est bon et des embauches de CDD ont eu lieu récemment. "Avec ça, on nous dit qu’on n'est pas assez rentable", s’étonne David Guerbadot, délégué syndical Force Ouvrière.
L’usine chimique, classée à risque selon la directive européenne Seveso, produit des molécules très recherchées sur le marché pharmaceutique, de la crème anti-ride pour l’Oréal, des amphétamines, du Disulfiran pour traiter l’alcoolisme… Cette polyvalence dans la production associée aux besoins de médicaments interrogent donc les représentants syndicaux. "D’un côté, on a une pénurie de médicaments en France. De l’autre, un gros site industriel qui produit des médicaments sur 26 hectares avec 13 ateliers différents... On ne comprend pas", résume David Guerbadot pour expliquer l'incompréhension des salariés.
Les salariés suspendus à la décision du tribunal, le 2 mai
L’entreprise n'est pas en mesure de répondre sur le sujet car une décision judiciaire est en cours. En effet, une audience au tribunal de commerce d'Orléans doit se tenir le 2 mai prochain sur l'avenir du site. Elle indique toutefois : "la situation financière et sociale est en cours d'analyse." Les salariés sont donc suspendus à la décision du tribunal.
Pour l’heure, l’activité est à l’arrêt à l’usine Synthexim. Les salariés ont jusqu’à jeudi 27 avril pour envoyer leurs doléances à la direction. Mais d’ores et déjà, les salariés rencontrés évoquent un sentiment d’abandon. "Nous sommes abandonnés par Emmanuel Macron, par le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, et par la direction… Toutes nos lettres sont restées sans suite. Il faudrait juste réindustrialiser l’usine ou alors nationaliser les moyens de production le temps de trouver un repreneur pour réinvestir 15 ou 20 millions d’euros. Derrière, nous, on continuerait à travailler. C’est à l’État de s’en charger !", plaide Yoann Delattre, délégué syndical CFDT.
Pour expliquer la situation et tenter d’apaiser, la direction avance, elle, "une succession de difficultés extérieures." Dans le détail : "la crise des migrants à Calais qui a arrêté le fret ferroviaire et a donc changé la logistique de l’usine, la crise Covid, les contrôles environnementaux renforcés, la perte de contrats...", sont autant de raisons évoquées pour expliquer la situation de l’entreprise.
Plusieurs repreneurs potentiels s’étaient manifestés ces dernières semaines, mais aucune offre n’a finalement été déposée. "Les administrateurs ont donc demandé une conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité", selon l’entreprise. C’est sur cette liquidation judiciaire que doit se prononcer le tribunal de commerce d’Orléans. Qu'importe, la direction promet : "le groupe mettra tout en place pour proposer aux collaborateurs un maximum de postes de reclassement au sein du groupe."
Pas de quoi rassurer salariés et syndicats. Franck Deleglise est également présent ce mardi matin dans le rassemblement devant l'usine. Il est aussi représentant des salariés auprès du tribunal d'Orléans. Très ému, lui aussi est inquiet pour l'avenir : "on va s’éteindre comme un feu de paille et c’est un nouveau fleuron de l’industrie française qui va disparaître." Là encore, c'est l'incompréhension. "Je ne comprends pas, on va mettre de l’argent public pour dépolluer un site centenaire, pour faire disparaître un fleuron de l’industrie française…" Le syndicaliste rappelle que des employés, comme lui, sont derrière ces décisions. "J’ai commencé ici, il y a 37 ans, je tirais des conteneurs dans la terre battue et aujourd’hui on va nous virer." Le syndicaliste, ému aux larmes, partage alors la même pensée que la trentaine de personnes réunie autour de lui : "Ce n’est pas normal, c’est du gâchis."