Réunis à Lille ce 3 février, 27 ministres de l'Union Européenne ont engagé des discussions sur un nouveau pacte migratoire européen. La question a toujours été un facteur majeur de tensions au sein de l'UE, alors que plusieurs frontières extérieures sont en tension permanente.
Gérald Darmanin le disait ce matin à son arrivée : le gouvernement espère "faire adopter la méthode française". Ce jeudi 3 février, la France, nouvellement présidente de la commission européenne, réunissait à Lille les 27 ministres des affaires intérieurs. Au sommaire, pour l'essentiel, la politique migratoire de l'Union Européenne avec l'esquisse d'un nouveau pacte migratoire et d'une réforme de l'espace Schengen.
Sur ce dernier point, Gérald Darmanin a félicité l'unanimité autour de la création d'un conseil politique Schengen, une proposition française. Celui-ci se tiendra le 3 mars prochain "dans sa nouvelle formule". Concernant le nouveau pacte migratoire, les 27 ont adopté le principe d'une négociation "par étapes", afin de favoriser la discussion avec les pays les plus réticents.
Si les états membres ont aisément trouvé une ligne directrice commune pour l'industrie, l'immigration est un sujet bien plus tendu. En particulier depuis la crise migratoire de 2015, les 27 s'efforcent de collaborer, sans jamais réellement parvenir à s'aligner. Certains pays comme l'Allemagne estiment assurer un devoir d'accueil, alors que des pays comme la Pologne adoptent la stratégie de la forteresse. Mais en 2021, il y a urgence, et sur au moins trois fronts : la frontière franco-britannique, la frontière russe et biélorusse, et la Méditerranée. Chacun révèle des problématiques bien spécifiques.
Calais : une frontière houleuse, une Union Européenne soudée
La situation de la frontière franco-britannique est unique en son genre à cause du Brexit. Le Royaume-Uni, autrefois intégré aux politiques migratoires de l'Union, devient un acteur extérieur. De plus, la campagne pro-Brexit s'est largement joué sur des arguments anti-immigration et sur l'enjeu du "contrôle" de la frontière. Le dialogue n'a donc pas démarré dans les meilleures dispositions.
La France et le Royaume-Uni sont toujours liés par les accords du Touquet, signés par Jacques Chirac en 2003. A l'origine, il prévoit un contrôle mutualisés des flux migratoires depuis les gares et les ports maritimes, avec des bureaux d'immigration communs implantés à Calais, Boulogne, Dunkerque et Douvres. Ils ont été depuis complétés par plusieurs accords bilatéraux, qui vont tous dans le même sens.
En échange d'un financement important côté britannique, la France est majoritairement responsable de la répression des flux d'immigration clandestins. Cela a impliqué, côté français, un processus complet de militarisation de la frontière. Mais les deux puissances divergent régulièrement sur de nombreux points : les méthodes, le partage des responsabilités, le calendrier des paiements...
La crise a culminé le 24 novembre, lorsque 27 réfugiés perdent la vie lors d'un naufrage, en tentant la traversée vers le Royaume-Uni. Boris Johnson, le premier ministre britannique, adresse une lettre ouverte à la France. Il y propose la signature d'un accord de réadmission "pour permettre le retour de tous les migrants illégaux qui traversent la Manche". Côté français, la pirouette ne plaît pas du tout. Gérald Darmanin désinvite son homologue britannique d'une réunion consacrée au dossier migratoire.
La pirouette ne plaît pas du tout côté français. Il faut rappeler qu'en quittant l'Union, le Royaume-Uni s'est exclu des accords migratoires dits "de Dublin". C'est ce texte qui prévoit l'obligation faite aux réfugiés de déposer leur demande d'asile dans le premier pays d'Europe où ils sont entrés.
Une fois n'est pas coutume, c'est un dossier migratoire sur lesquels l'Europe des 27 font front commun. Dans cette crise, le conseil de l'UE affiche clairement son soutien à la France. "Si je me souviens bien, le principal slogan de la campagne du référendum était "Nous reprenons le contrôle, ironise même le vice-président de la Comission, l'élu grec Margaritis Schinas. En conséquence il doit à présent décider comment organiser la gestion du contrôle de ses frontières."
Selon le ministre de l'Intérieur, ce dossier n'a pas été évoqué ce 3 février, du fait du caractère informel de la réunion. Gérald Darmanin a cependant rappelé l'intérêt "voire l'ardente obligation" de la France d'organiser un couloir légal d'immigration vers le Royaume-Uni "pour mettre fin au drame que nous connaissons depuis 20 ans. Ce sujet reste de première importance."
Méditerranée : sous pression, les pays du Sud s'allient
On le sait déjà, les pays du Sud sont venus à Lille préparés. Chypre, l'Espagne, la Grèce, l'Italie et Malte, cinq états en première ligne dans l'accueil des migrants, se sont réunis le 19 mars dernier à Athènes pour formuler des propositions communes sur le nouveau pacte migratoire européen. En Italie, par exemple, le quotidien La Repubblica s'agace : "voici les chiffres de la ‘solidarité’ européenne dans les trois dernières années : plus de 103 000 migrants sont arrivés, et, parmi eux, seuls 1 209 ont été ‘redistribués’ dans d’autres pays, soit 1,17 %."
Ces cinq Etats, et particulièrement la Grèce, poussent pour la création de couloirs de renvois pour les migrants déboutés du droit d'asile. Un accord signé avec la Turquie, signé en 2016, était censé soulager un peu cette pression migratoire : Ankara s'était engagée à accepter sur son sol les migrants déboutés de l'asile en Grèce. Une mécanique qui n'a jamais vraiment fonctionné, selon la Grèce.
Dès ce matin, le ministre Gérald Darmanin s'est positionné pour une politique migratoire européenne plus distributive. La France souhaite que davantage de pays s'engagent dans le principe de relocalisation défini par les accords de La Valette, en 2019, c'est-à-dire à accueillir davantage de réfugiés débarqués depuis la Méditerranée et dont le dossier a été enregistré en Europe du Sud. Et si certains s'y refusent encore, la France souhaite qu'ils aient à s'acquitter d'une compensation financière plus importante envers les Etats de la "première ligne".
La situation méditerranéenne est au coeur de la première étape du nouveau pacte européen. "Nous voulons pousser au maximum une responsabilité et des engagements équivalents ou réciproques. C'est l'adoption du règlement sur le screening, l'inter-opérabilité des fichiers. Côté solidarité, c'est un mécanisme volontaire de relocalisation, auxquelles beaucoup de pays sont favorables. Pour ceux qui ne le veulent pas, on parle d'un soutien financier obligatoire important" a détaillé le ministre français.
Mais sur l'instauration de cette "solidarité obligatoire", on ne peut toujours pas parler d'un accord. Questionné sur les éventuels partisans d'un tel dispositif, Gérald Darmanin s'est refusé à "faire la liste. Ce sera à eux de s'exprimer le jour venu, peut-être dans pas si longtemps, quand nous nous seront mis d'accord sur le mécanisme. Nous en parlons aussi avec les pays de l'espace Schengen qui ne sont pas dans l'Union Européenne.(...) Ce qui est très positif, c'est que tous ont accepté de reparler de ce sujet."
La France s'est également dite favorable à un autre souhait des pays de "première ligne" : un dialogue accru avec les pays de départ, et l'instauration d'aides au développement.
A la frontière polonaise, une crise orchestrée de l'extérieur
Dernier dossier préoccupant, la situation de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. "Ce n'est pas une crise migratoire, c'est une attaque migratoire" estimait Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, le 11 novembre dernier. Le Conseil de Sécurité de l'ONU estime au diapason que la Biélorussie et son président Alexandre Loukachenko mettent en place une "instrumentalisation orchestrée d'être humains [afin de] déstabiliser la frontière extérieure de l'Union européenne". La Pologne estime que le régime autocratique va jusqu'à délivrer des visas aux réfugiés et à les accompagner jusqu'à la frontière polonaise.
En novembre, des milliers d'entre eux se trouvaient toujours bloqués dans le froid. En réponse, la Pologne décrète un état d'urgence et envoie des milliers de troupes à sa frontière pendant qu'elle bloque l'accès aux observateurs de l'ONU. En décembre 2021, le gouvernement entame l'érection d'une clôture de quelque 180km de long pour verrouiller sa frontière.
Des sanctions en chaîne, et l'intervention du G7 ont finalement permis un début de résolution de cette crise. Fin novembre, la Biélorussie annonce procéder à l'évacuation de plusieurs camps de migrants. L'Irak, de son côté, prend en charge le rapatriement de quelque 4000 ressortissants. Mais la situation pourrait mettre encore plusieurs mois à se débloquer complètement.
Il est a noter que, même si la Pologne a reçu le soutien de l'Union Européenne, elle est restée très réticente à toute coopération. Le gouvernement polonais et l'UE s'affrontent sur plusieurs sujets, dont une loi anti-avortement et une réforme de la Justice incompatible avec des textes européens. La position polonaise est fondamentalement anti-immigration, et le pays a notamment refusé l'intervention de l'agence européenne Frontex.
"Les autorités auraient été contraintes d'ouvrir la frontière et de faire rentrer les migrants car, en théorie, la mission de Frontex est d'identifier les demandes d'asile légitimes et de renvoyer les migrants qui n'en ont pas. Il faudrait ensuite se coordonner avec les autres États membres pour répartir les migrants dans l'UE. Mais la Pologne refuse ce scénario car elle ne veut absolument pas avoir l'appui de l'UE, faire marche arrière et donc remettre en cause son discours ultranationaliste" analyse le politologue Jean-Yves Potel, pour France 24.
Frontex, gendarme controversé de l'immigration
Frontex, c'est l'agence de l'Union européenne chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l'espace Schengen, créée en 2016. En plus d'aider à l’enregistrement et à l’identification des migrants à leur arrivée, elle organise la surveillance des frontières, participe à d'éventuelles missions de sauvetage et de répression de la criminalité. Le 28 novembre 2021, à l'occasion de la crise du naufrage en mer du Nord, l'agence a reçu un nouveau coup de projecteur lorsque Gérald Darmanin a annoncé le déploiement d'un avion de surveillance pour repérer et intercepter les tentatives de traversées en bateau, "jour et nuit".
Mais son fonctionnement, comme ses pratiques, est éclaboussé par des controverses. En 2020, Frontex avait été accusée de violation des droits de l'Homme, avec notamment des tirs de balles de caoutchouc sur des embarcations, et des rapatriements illégaux. En juin 2021, la Cour des comptes européenne, critique sévèrement l'agence : "Notre opinion, basée sur des faits, est que Frontex ne s'acquitte pas de cette tâche de manière efficace actuellement. C'est d'autant plus inquiétant à un moment où elle se voit confier des responsabilités accrues."
Ce 2 février, Emmanuel Macron a souhaité la création "d'un mécanisme de solidarité et d'intervention rapide" aux frontières extérieures. Un "bras armé", complémentaire de l'agence déjà existante. "Il n'y a pas de problème avec Frontex, la France a toujours soutenu l'augmentation forte et continue des moyens de Frontex. Notre sujet n'est pas de remplacer, ou de faire à la place, mais d'être complémentaire. Notre souhait est que des forces gouvernementales, sur la base du volontariat, puissent répondre à une urgence particulière, on pourrait évoquer le cas de la Pologne. Nous avons une base juridique, il nous faut un mécanisme de coordination" a tenu à clarifier Gérald Darmanin.