Le maire d'Andres dans le Pas-de-Calais, président de l'association "Stop inondations du Calaisis", dénonce le manque d'entretien de la rivière Neuve et s'inquiète de son niveau anormalement haut. L'Institution intercommunale des wateringues, chargée de la gestion de la rivière, assure pourtant faire tout son possible pour se préparer à l'hiver prochain. Explications.
C'est une rengaine qui ne semble pas avoir de fin. Presque chaque hiver, Allan Turpin, maire d'Andres dans le Pas-de-Calais, constate les débordements des rivières dans sa petite commune d'environ 1600 habitants. Loin de se limiter à quelques mois dans l'année, l'homme surveille l'eau aussi l'été. Et depuis quelques jours, c'est la rivière Neuve qui l'inquiète.
"Les niveaux sont au-dessus de la limite maximum imposée par les protocoles. Ce week-end on était à 3,30 mètres au lieu de 3,10 mètres, et 20cm de plus c'est déjà énorme", s'inquiète Allan Turpin par téléphone, mardi 6 août. Une augmentation qui trouve son explication du côté des niveaux des nappes phréatiques, à la hausse même en l'absence de pluviométrie.
"Si l’on compare les niveaux de nappe actuels et ceux en date du 1er novembre 2023, on observe que le niveau mesuré actuellement est supérieur à celui observé à l’aube des inondations de novembre 2023. Mais selon les courbes de données en temps réel, le niveau va baisser", assure Frédérique Barbet, directrice adjointe de l'Institution intercommunale des wateringues (IIW).
L'institution est l'un des nombreux acteurs gérant les ouvrages d'évacuations des eaux dans le Nord et le Pas-de-Calais. Elle gère depuis un an et demi la portion passant par la commune d'Andres. Les wateringues, aussi appellées watringues ou watergangs, sont un système millénaire de canaux communiquant entre eux et régulant le niveau des eaux, et permettant si nécessaire, le rejet d'excédents à la mer.
Sans ces canaux, les inondations qui ont ravagé la région lors de cet hiver 2023 auraient été bien plus dévastatrices. Pourtant, ce système qui a montré ses limites lors d'épisodes météorologiques exceptionnels, n'a de cesse d'être critiqué. Et ce qui alarme le maire d'Andres par-dessus tout, c'est l'état d'entretien de la rivière.
Le curage est interdit en été
Alors qu'il part inspecter la rivière Neuve en ce début de mois d'août, il remarque qu'une sorte de "siphon était bouché avec un tas d'immondices", ne permettant pas à l'eau de s'écouler correctement par les canaux.
Étant également président de l'association "Stop inondations du Calaisis" regroupant plusieurs maires du secteur, il prend des photos de l'eau verdâtre et jonchée de déchets et alerte de suite l'IIW par mail. Mardi 6 août, "la rivière est quelque peu redescendue mais elle nécessite toujours un curage", affirme Allan Turpin. L'opération consiste à extraire et exporter les sédiments qui se sont accumulés sous l'eau, notamment les coulées de boue fréquentes lors d'inondations.
Il sait qu'un curage est prévu en automne. Trop tard, selon lui."En ce moment c'est le meilleur moment pour le faire, et là on est en train d'attendre la période où il y aura déjà trop d'eau", se plaint-il. Seulement, l'opération est soumise à de nombreuses réglementations, notamment celle interdisant de curer les rivières l'été pour préserver la faune piscicole.
"C'est simplement la loi sur l'eau que nous respectons", réagit Frédérique Barbet, la directrice adjointe de l'IIW. Des autorisations spéciales peuvent parfois être prises pour curer exceptionnellement les cours d'eau, comme lors des dernières inondations en hiver.
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"On joue avec le feu", s'agace l'édile d'Andres. En plus du curage "qui se fait attendre", il évoque de nombreux travaux devant être effectués sur le réseau de canaux et rivières et dont il ne voit pas l'avancement. "On devrait avoir une pompe provisoire mais rien n'est clairement annoncé, il doit aussi y avoir des travaux de ruissellements qui ne sont toujours pas engagés... On est déjà en point de vigilance, il faut un contrôle régulier", proteste-t-il.
Du côté de l'institution, Frédérique Barbet l'assure : tous les acteurs sont "mobilisés" pour entretenir la rivière avant l'arrivée de l'hiver. Un premier faucardage — qui consiste à retirer la végétation aquatique —, a été entrepris sur la rivière Neuve entre juin et juillet 2024. Fauchage, débroussaillage des rives et restauration des berges sont aussi "dans les tuyaux" de l'institution.
En attente de subvention
Puis, le processus d'entretien est parfois long. "On passe par des marchés en entreprise pour ces opérations d'entretien, notamment pour le curage, qui nécessite aussi de faire une estimation au préalable des sédiments à exporter pour faire un devis", explique la directrice adjointe.
Un deuxième faucardage est prévu pour enlever la végétation qui prolifère visiblement, mais pas avant le 18 août. Encore une réglementation à respecter ? "Non, indique Frédérique Barbet, l'entreprise qui doit s'en occuper est en congé estival". Tout simplement.
Le coût très important de l'entretien joue aussi un rôle dans le calendrier. À ce jour, il y a 7500 m2 de sédiments à enlever en amont de la rivière Neuve, une quantité importante qui nécessite un marché spécifique. En comptant leur évacuation, l'opération atteint les 941 000 euros.
L'institution a donc déjà lancé des demandes de subventions auprès de l'Etat, et annonce être "en attente d'un retour". Au total, ce sont 5600 mètres de canaux concernés par ces subventions, pour un montant de plus d'un million d'euros.
Alors, pour aller plus vite, faut-il changer les protocoles et simplifier les démarches ? Augmenter la fréquence des opérations de nettoyage ? Le premier ministre démissionnaire, Gabriel Attal, avait pourtant annoncé que les délais pour entamer des travaux de curage étaient passés de neuf à deux mois, lors de sa visite dans le Pas-de-Calais le 8 février 2024. Il avait aussi promis de réduire le millefeuille administratif de la gestion des rivières, véritable casse-tête à la française pour savoir quel organisme gère quelle rivière...
"On n’est pas écoutés, pas entendus, c'est toujours la même musique à seulement trois mois de l'hiver"
Allan Turpin, maire d'Andres
D'autant que le dérèglement climatique risque de compliquer encore plus les choses dans les années à venir, avec plus de sécheresse l'été mais aussi plus de précipitations l'hiver. L'IIW en est tout à fait conscient et affirme avoir déjà entamé des démarches et des études sur le sujet. Une première modification du Papi, le programme d'Actions de prévention des inondations, est d'ailleurs prévue à l'automne prochain.
Malgré tout, l'édile d'Andres ne décolère pas. Pour lui, la prévention des risques d'inondations n'est toujours pas optimale. "On n’est pas écoutés, pas entendus, c'est toujours la même musique à seulement trois mois de l'hiver", expose-t-il, visiblement blasé. Tout cela est "stressant" et "angoissant" pour lui et ses habitants qui lui demandent régulièrement des comptes.
Frédérique Barbet, qui rappelle que l'Institution intercommunale des wateringues n'a récupéré la gestion d'une partie de la rivière Neuve que depuis un an et demi seulement, assure "se tenir à la disposition" des maires frondeurs, qui n'ont certainement pas fini de faire des vagues.