Charlotte His est psychologue art-thérapeute. Un métier qu’elle aime et dans lequel elle s’épanouit pleinement, jusqu’à ce mémorable 6 septembre 2020. À 10h30, alors qu’elle déambule dans une brocante, elle est victime d’un AVC. "Il y a un avant et un après, un jour avec, un jour sans, c’est comme ça". Rencontre.
Nous l’ignorons souvent, mais l’AVC est la première cause de mortalité chez la femme (la troisième chez l’homme). Les signaux d’alerte peuvent être très différents. Pour Charlotte His, cela a été une hypersalivation, l’impression d’avoir la langue anesthésiée d’un côté (comme après une anesthésie chez le dentiste), un petit rictus à un moment donné. Cet événement a fait basculer sa vie : "L’AVC change votre corps, il y a un gros deuil à faire comme toute personne qui change, c’est très déstabilisant, douloureux…".
Elle qui pendant sa vie professionnelle se consacrait à soigner l’autre ne peut plus le faire aujourd’hui : "Cela me manque beaucoup, car j’aimais vraiment mon métier, mais je ne peux plus l’exercer. Alors, j’apprends à me soigner." Pour cela, c’est naturellement vers l’art qu'elle s’est tournée, elle qui était formée à l’art-thérapie durant sa carrière.
Il y a un après, il y a tout un tas de choses à vivre encore, et ça, c’est mon dada
Charlotte His
Charlotte His a toujours été une artiste dans l’âme. Douzième d'une famille de quatorze enfants, elle a grandi dans un univers culturellement très riche. Un papa chef de chœur dans une chorale, les parents qui emmenaient toute leur troupe dans de nombreux festivals, et pour Charlotte la pratique de la danse contemporaine : "Je faisais partie d’une compagnie amateur, je dansais beaucoup. Aujourd’hui, mon corps est comme coupé en deux, je ressens beaucoup de douleurs neuropathiques, je n’éprouve plus de plaisir, c’est très déstabilisant, très douloureux".
Ce nouveau corps, il faut apprendre à l’utiliser, le comprendre, ce qui n’est pas toujours aisé. "Depuis mon AVC, je chemine. Heureusement, j’ai toujours été hyperactive, hyperpositive, la personnalité est très importante dans cette situation-là. Il y a un après, il y a tout un tas de choses à vivre encore, et ça, c’est mon dada".
Elle me confie que la première année après son AVC a été particulièrement difficile. Le cerveau a besoin de temps pour s’adapter, se remodeler, les médecins lui recommandaient d’avoir beaucoup de patience. C’est à travers l’art du collage, qu’elle a toujours aimé, que Charlotte His se sent vivante aujourd’hui.
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Artiste autodidacte, elle a appris la technique du collage dans le cadre de sa formation d’art-thérapeute. "C’est un des piliers de la créativité. Les ateliers sont non directifs, il faut créer avec des bouts de ficelle, on utilise de la colle, du papier, pour réussir à exprimer ce que l’on ne peut exprimer oralement. Je me suis formée pour donner des petits trucs, des petites astuces, à mes patients". Elle qui a aussi réalisé des modelages en papier, découvre un jour l’art du portrait en collage.
"J’ai découvert la sensorialité de la colle. Est-ce que c’est parce que mon père lisait La Voix du Nord tous les matins ? Quoi qu’il en soit, c’est par là que j’ai commencé. Des collages en noir et blanc. Puis, j’ai fait le portrait d’une de mes deux filles avec des bouts de journaux. Pour la seconde, j’ai mis de la couleur, en utilisant des fleurs issues de magazines."
Les portraits, une expérience intense et créative
L’art de faire des portraits en couleur s’est naturellement imposé chez Charlotte. Il faut bien avouer qu’elle excelle dans cet univers qui lui a permis de faire une rencontre qui a changé sa vie : celle avec Frida Kahlo. "Je n’étais pas une admiratrice de Frida Kahlo, mais j’avais vu le film qui a été fait sur elle quelques années plus tôt (NDLR : Frida, sorti en 2002 avec Salma Hayek dans le rôle de Frida Kahlo et qui retrace la vie mouvementée de l’artiste peintre). Elle ressemble à ma mère. Même à moi, selon les dires de ma belle-sœur (rires). Je n’ai pas choisi de faire ses portraits, c’est l’art qui a choisi".
Une rencontre, un coup de foudre, par-delà les frontières et les années (Frida Kahlo est décédée en 1954, mais l’artiste mexicaine demeure encore aujourd’hui une source d’inspiration pour beaucoup de personnes).
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Tout cela, je ne l’avais pas avant dans ma personnalité, c’est en quelque sorte mon AVC qui m’a appris à parler de moi
Charlotte His
Charlotte et ses Frida
Charlotte commence donc une série de portraits sur Frida Kahlo. Elle est loin d’imaginer tout ce que cette artiste mexicaine va lui apporter. Tout en couleurs, avec des fleurs, elle invente et réinvente à chaque tableau des portraits de Frida, crée même sa propre technique de collage, nuancé. Elle écrit ainsi, sans le savoir, de nouvelles pages du livre de sa vie.
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Arrive la première exposition qu’un ami lui propose après avoir vu ses œuvres, nous sommes en 2021 à la Chartreuse de Neuville. Cette rencontre avec le public va lui ouvrir de nouveaux horizons : "Il a fallu que je réponde à des questions, mais quand on est artiste plasticien, on n’a pas forcément les mots pour expliquer, pour répondre".
Charlotte se met donc à écrire, des textes, des poésies, elle les soumet toujours à ses proches (comme pour ses tableaux) avant de les partager avec le public : "Vous auriez vu la tête de mon mari quand je lui ai lu mes textes, il était bouleversé, ému. Tout cela, je ne l’avais pas avant dans ma personnalité, c’est en quelque sorte mon AVC qui m’a appris à parler de moi".
Parce qu’aujourd’hui Charlotte fait bien plus que des expositions. "Quelques mots avec elle…", c’est le nom du spectacle poétique associé à ses expositions. Charlotte lit ses textes, accompagnée d’un percussionniste, Frédéric Storti : "C’est un véritable nounours avec moi. Quand je lis mes textes, ils deviennent du slam avec le rythme. J’ai l’impression de danser à nouveau. L’interprétation, le partage avec un public, cela a un effet antalgique sur moi. Depuis mon AVC, je suis très fatigable et cette fatigue je ne la ressens pas sur scène".
Les textes qu'elle écrit, les poèmes, vont droit au cœur, ils transportent le public : "Les gens me disent que c’est le miroir de mon âme. Certains retournent voir mon expo après, j’ai vu des personnes pleurer devant mes portraits. Certains m’ont même montré mes œuvres d’une autre façon… À la base, c’est pour réparer des choses en moi, le public me permet de prendre du recul par rapport à mes œuvres…".
Des collages pour recoller les morceaux, Charlotte est fière des petits mots laissés dans son livre d’or à chaque exposition par les visiteurs qui l’aident aussi à se reconstruire et à continuer.
On peut créer avec la sensorialité et y chercher de la douceur, et recevoir des tableaux comme des caresses…
Charlotte His
Quand la notoriété arrive
Ses collages touchent et interpellent. Arrive alors le temps de la reconnaissance. Ses œuvres se retrouvent au salon des Beaux-Arts à Paris, font l’unanimité du jury et reçoivent le prix des "autres techniques", puis l’un de ses tableaux est sélectionné pour le prestigieux Salon des artistes français. Son public la suit. "Aujourd’hui, j’ai une toute petite notoriété, j’ai découvert ce que c’est que d’avoir des fans. Sans prétention, ce n’est pas ce que l’on croit ! Pour moi, c’est de l’amitié, on se voit, on s’embrasse, on papote, ils me soutiennent".
Charlotte est bien sûr très entourée par sa famille, ses enfants : "Je fais tout pour mes enfants, même si de temps en temps ce sont mes aidants. Ma météo du jour je la donne, si cela ne va pas, je le dis…".
Au-delà de ce qu’elle traverse dans son corps depuis son AVC, Charlotte s’est mise à rêver d’une reconversion. Elle aimerait trouver les ressources (aides et soutiens) pour jouer le spectacle qu’elle a créé dans les sphères de la santé, un producteur qui s’occuperait d’elle : "Je n’ai pas l’énergie ni la santé pour le faire, de plus le secteur du spectacle n’est pas mon domaine. Je mets les pieds dans le plat peut-être, même si je n’ai pas envie de revendiquer des choses, je fais attention de prendre soin de moi et en même temps, je fais de chouettes choses, ça va le faire, un jour à la fois !".
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Le mot de la fin
"J'aimerais mettre en avant la douceur et la sensorialité, comme de vraies valeurs dans l'art et la créativité. On peut créer avec la sensorialité et y chercher de la douceur, et recevoir des tableaux comme des caresses... qui viennent en surface vous émouvoir et vibrer jusqu'au profond... J'aime beaucoup cette idée... ".
Charlotte vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, car une récidive est toujours possible après un AVC. Elle savoure chaque jour qui passe en se concentrant sur le signe, le mot, qui accompagne son cheminement. Comme elle le dit, elle répare des choses en elle.
Charlotte His, une artiste plasticienne dont il faut voir les portraits de Frida Kahlo réalisés à partir de fleurs récoltées dans les magazines, dans les catalogues, mais je vous invite aussi à découvrir l’auteure-interprète de "Quelques mots avec elle…". Un spectacle qui vous emmènera dans son univers personnel et vous bouleversera à coup sûr. Pour connaître les futures expositions et représentations cliquez ici.