Témoignage. "La pire blessure sera toujours l’abandon de ma mère" : elle a été placée dans un orphelinat à l’âge de sept ans

Publié le Écrit par Anne-Sophie Roquette

Martine Hembert est l'aînée d’une fratrie de trois enfants. Elle a deux petits frères, Patrick et Pascal. Peu après la naissance de Pascal, en 1957, sa mère quitte le domicile conjugal avec ses trois enfants. Ils se retrouvent chez un inconnu, le nouveau compagnon de sa mère. La vie de Martine va être bouleversée.

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"De toutes ces années, je n’ai gardé que les bons souvenirs, je suis passée au-dessus de tout ce qui m’a peinée. Comme j’ai été élevée chez les sœurs, là-bas on dit : « Si tu as de la peine, mets-la dans ta poche avec ton mouchoir dessus »." Voilà comment a commencé notre entretien.

Martine est née en 1951, puis sont arrivés Patrick en 1954 et Pascal en 1957. C'est alors que son existence va complètement changer. Mais si la vie n’a pas toujours été tendre avec Martine, aujourd’hui elle est une femme souriante, épanouie, aimée, pleine de courage, de résilience et de sincérité. Voici son témoignage, elle a ouvert son livre de souvenirs pour nous.

Retour en 1958

Martine, avec ses deux petits frères, se retrouve donc dans le domicile roubaisien de l'homme avec lequel sa mère est partie. Sa maman et son compagnon décident alors de la placer ainsi que son frère Patrick chez une nourrice : "Bien plus tard, aux 80 ans de ma tante, elle m'expliquera que son compagnon ne voulait pas nous garder car il était fils unique, ce qui ne les empêchera pas pourtant, de faire trois enfants." Bien plus tard également, elle comprendra pourquoi sa mère n'a gardé que Pascal, il était le fruit de sa relation illégitime. Elle l'a révélé à Pascal il y a peu. 

Son père va les retrouver. À cette époque, ne pouvant les élever seul, il les laisse chez leur grand-mère. Les services sociaux décident de les placer : "Patrick au départ dans une institution à Raucourt et moi à l'orphelinat Notre-Dame des Anges à Luingne en Belgique" (NDLR : sur le territoire de la ville de Mouscron et qui est devenue ensuite la Maison Cardijn).

Je n’étais plus Martine, mais un numéro, le 75. Mes vêtements étaient marqués par ce chiffre. C’était une autre époque.

Martine Hembert, abandonnée par sa mère

Nous sommes en 1958, Martine va avoir 7 ans et Patrick 4 ans. Elle se souvient : "Là, je n’étais plus Martine, mais un numéro, le 75. Mes vêtements étaient marqués par ce chiffre. C’était une autre époque. Ce qui était dur, c’était d’être séparée de mon frère, puisque les établissements n'étaient pas mixtes. Mais la personne que je suis devenue aujourd’hui, c’est grâce aux sœurs et à mes amies avec qui je suis encore en contact."

Autre fait important, sa grand-mère ne l’a jamais abandonnée, elle a toujours gardé le lien : "Je voyais aussi mon père quand j’étais chez ma grand-mère. Elle venait me voir une fois par mois, elle habitait Faches-Thumesnil, c’était un vrai périple pour venir me voir, elle faisait le trajet à pied, en tramway, en bus."

"Elle m’apportait des friandises et des pommes Golden. Je n’aimais pas ces pommes mais je n’osais pas lui dire, et puis j’allais en vacances chez elle. En fait, j’y allais tous les trimestres et pendant les grandes vacances".

Une enfance chez les sœurs 

De cet orphelinat en Belgique, Martine ne retient que les bons souvenirs et les valeurs transmises : "Les valeurs humaines que j’ai gardées et retenues sont assez nombreuses, le respect, l’obéissance, le travail, la reconnaissance, l’éducation judéo-chrétienne, autrement dit la morale de l’obligation et du devoir, tu as péché donc tu assumes ta faute, les péchés (capitaux mais aussi véniels et mortels), les dix commandements. Je me souviens, il y avait deux grands panneaux, on pouvait lire sur le premier : Aimons-nous les uns les autres, et sur l’autre : Aime ton prochain comme toi-même."

Elle découvre aussi l’entraide, l’éducation, l’amitié, le partage, apprend à ne pas se plaindre, écouter l’autre, avoir de l’empathie, et puis enfin à se dire  : "Si cela ne va pas, cela va quand même".

À Notre Dame des Anges, elle apprend également à lire, à tricoter, faire du crochet, à broder, "à frotter à quatre pattes les parquets, à finir mon assiette sinon on nous la remettait au prochain repas, à faire mon lit au carré, à prier à genoux, à aller à la messe avant la classe, un foulard sur la tête à l’époque. Bien sûr, il fallait chanter la messe et répondre en latin, je n’y comprenais rien."

Une nouvelle famille belge

Martine a gardé beaucoup d’autres bons souvenirs. La lecture, car beaucoup de livres étaient à disposition, la télévision qui était rare dans les foyers à l’époque. Tous les dimanches après-midi, elles étaient réunies pour regarder Thierry la Fronde, Ivanhoé, et parfois, elles allaient au cinéma.

Certains cadeaux l’ont plus touchée que d’autres : "Une carte postale pour mon anniversaire (ma grand-mère, ma marraine, mon père), à l’époque "les poupées de Peynet", des cartes qui faisaient "pouet pouet", d'autres sur lesquelles il y avait une fille avec des vêtements brodés… Et puis la famille, enfin ma famille belge, ça aussi c'est un beau cadeau de la vie. Ils se sont occupés de moi, et j'ai vécu chez eux plus tard. Je suis bien sûr toujours en contact avec eux, on se voit même souvent !".

Cette fameuse famille belge, elle l'a rencontrée lors d'événements organisés à l'orphelinat ou dans la commune. Martine s'est liée avec leur fille et c'est tout naturellement qu'ils ont proposé de la recevoir de temps en temps pour passer les journées sans école chez eux, puis de l'héberger lorsqu'elle a eu l'âge de quitter l'orphelinat pour poursuivre ses études sur place.

Vous raconter tout ce dont elle se souvient serait trop long, mais qui sait, peut-être qu’un jour Martine écrira le livre de sa vie ?

Un métier et un mariage

"Jusqu’à ce que je me marie, tout le monde a toujours décidé pour moi : c’est une assistante sociale qui m’a placée en Belgique. Pour l’orientation, je n'avais que deux choix : aller à l’école commerciale du village ou devenir ménagère. J’aimais beaucoup la prof de sténo dactylo, je suis devenue secrétaire".

Martine a connu beaucoup de freins dans la vie, et son mariage l’a en quelque sorte libérée. Même si aujourd’hui elle est divorcée, elle a aimé cette notion de famille, si importante à ses yeux, en passant beaucoup de temps avec les parents de son époux : "Il avait un père et une mère formidables."

L'un de mes petits-fils m’a dit : "Elle, elle ne t’a pas aimée, mais moi je vais t’aimer tout le temps".

Martine Hembert, abandonnée par sa mère

De cette union sont nés deux fils, Nicolas l'aîné, qui lui a offert deux petites-filles, et François, le cadet, qui vit au Québec et a deux fils : "Mes petits-enfants sont incroyables. L'un d’entre eux, Rémi, m’a dit : « Elle, elle ne t’a pas aimée, mais moi je vais t’aimer tout le temps ». Toutes les personnes que j’ai rencontrées dans ma vie m’ont construite et ont fait de moi la personne que je suis Même si ma pire blessure restera l'abandon de mère."

durée de la vidéo : 00h13mn00s
Un témoignage fort dans l'émission Hauts-Féminin. Marie Sicaud reçoit Martine Hembert ©France Télévisions

>>>Voir ou revoir l'émission avec Martine Hembert en cliquant sur l'image

Et le reste de sa famille ?

Martine poursuit : "Aujourd’hui, j’ai retrouvé tous mes frères et sœurs (NDLR : pour rappel, sa mère a eu une fille avec son compagnon et deux fils, dont Pascal qu'elle a gardé, mais Martine ignorait à l'époque qu'ils n'avaient pas le même père). Quant à Patrick mon frère placé lui aussi en Belgique, qui est handicapé, il s’en est sorti presque tout seul. Il est depuis 50 ans dans un foyer du Centre Reine Fabiola. Je vais très souvent le voir, je suis comme sa maman".

Grâce à cette famille retrouvée, elle va revoir celle qui n’a plus voulu d’elle, sa mère. Martine raconte : "Éric, le second fils de ma mère, m’invite à son mariage. Voilà 40 ans que je n’ai pas vu ma mère. Bien sûr elle est au mariage de son fils. Je vois une dame vers qui je marche et lui demande : « C’est vous ma mère ? ». Elle me répond qu'elle est ma tante Marcelle et me montre ma mère. Quand elle passera devant moi, elle me dira : « Je ne t’en veux pas »." Martine n'a jamais compris pourquoi elle lui avait dit cela. Sa mère avait alors 64 ans.

Martine la retrouvera à une autre occasion, une réunion de famille, les 80 ans de sa tante (donc de la sœur de sa mère). Elle lui explique alors pourquoi elle les a abandonnés, elle et son frère Patrick en 1958, et ajoute : "Je vous regarde et je ne ressens rien".

Martine ira ensuite à l’hôpital de Roubaix : sa mère est dans un lit, dans le coma : "C'est à ce moment que je lui pardonnerai…"

Toute sa vie, Martine a ressenti ce besoin d’amour qu’elle n’a pas reçu de sa mère. Son père est décédé alors qu’il n’avait que 57 ans, Martine l’a accompagné jusqu’au bout. De l’amour, aujourd’hui elle en reçoit et en a toujours donné. De sa famille, ses amies... Elle qui a été longtemps fataliste dans la vie prend chaque preuve d’amour comme un cadeau de la vie. 

Que dirait aujourd'hui Martine à son "jeune moi", si elle le pouvait ? Voici sa réponse : "Quand je vois des photos de moi avec mes petits frères, j’avais toujours le sourire. Alors, je lui dirais : « Tu avais toujours le sourire quand tu étais petite, eh bien malgré les épreuves que tu vas rencontrer, garde ce sourire, et tu vas voir, ça va aller bien »."

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