Tabou autour des menstruations, manque de féminines, difficultés à trouver des coachs informés et ouverts sur la santé des femmes... Amandine Verstappen, championne de France de motocross, fait part de son vécu dans un milieu où les sportives doivent encore faire leur trou.
Depuis toujours, Amandine Verstappen répète : "Si j'ai commencé, c'est grâce à mon père." Mais sa place dans le top 5 mondial de motocross féminin, Amandine la doit à elle seule.
La Belge de presque 25 ans, anciennement licenciée à Condé-sur-Escaut dans le Nord, manie le guidon depuis ses 3 ans et demi. Pas étonnant donc qu'en septembre 2023, la jeune blonde au franc-parler ait décroché un cinquième titre consécutif de championne de France... Et à seulement quelques jours de l'Enduropale du Touquet, Amandine Verstappen ne vise pas moins que le haut du podium pour sa deuxième année de participation.
Mais pour cela, elle devra se frotter aux éternelles féminines de la compétition mixte, qui chaque année ne sont qu'une poignée à braver le sable du Touquet.
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Un milieu qui reste surtout masculin
"On n'est pas beaucoup de filles dans le milieu, j'espère qu'avec des compétitions comme l'Enduro, qui accueille beaucoup de monde, la mentalité pourra changer avec le temps", livre Amandine dans un léger accent qui accentue ses consonnes. "En attendant je n'ai pas peur de me frotter aux garçons."
Quand on lui demande si elle a déjà été victime de sexisme dans ce milieu encore très masculin, la coureuse interrompt son flot d'idées pendant un temps inhabituellement long. "Mmmh, certainement, ça ne m'étonnerait pas. Mais je n'ai pas de situation précise en tête." Elle réfléchit, avant de reprendre avec malice : "On arrive quand même à gagner leur respect avec le temps parce qu'on court la même durée et la même distance qu'eux en compétition. Enfin ça vaut pour ceux qui ont un cerveau."
On arrive quand même à gagner leur respect avec le temps parce qu'on court la même durée et la même distance qu'eux en compétition. Enfin ça vaut pour ceux qui ont un cerveau.
Amandine Verstappen, championne de motocross
De toute façon, seul le genre distinguera les féminines des autres pilotes pendant l'Enduropale : mêmes entraînements, même terrain, même niveau... Et mêmes blessures. "C'est un sport de bourrin je me suis déjà cassé plein de choses", s'amuse Amandine, qui se rappelle encore de sa pire cascade, qui lui a valu une fracture du tibia péroné en 2016.
"J'essaie de faire attention et de prendre soin de mon corps, qui est quand même mon outil de travail, mais c'est vrai que c'est un sport qui reste brutal."
Trouver un coach : mission impossible
Un sport implacable dont Amandine ne s'est jamais offusquée. Après tout, la jeune femme participe à des compétitions internationales depuis le début de ses études, lors desquelles elle a fait ses preuves très tôt. Repérée par des sponsors, elle a pu se concentrer à 100% sur son sport dès la fin du lycée.
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Depuis, elle pratique le motocross chez les pros et rythme sa vie au son du moteur de sa Yamaha 250x400. Au fil des entraînements, auxquels elle s'attelle 3 ou 4 fois par semaine, la Belge a développé sa capacité à se remettre en question après un échec, "mon plus grand atout", et surtout une certaine conscience de ses limites. "Je commence à savoir ce qui est bon ou non pour moi et quand ma fatigue n'est pas juste de la flemme." À tel point qu'elle a récemment décidé de gérer seule ses entraînements.
Passée par deux coachs différents en quelques années, Amandine l'affirme : "C'est compliqué de trouver un bon entraîneur, alors pour le motocross, c'est encore plus dur. Et si on veut un coach qui ait déjà travaillé avec des femmes, c'est carrément mission impossible."
Si on veut un coach qui ait déjà travaillé avec des femmes, c'est carrément mission impossible.
Amandine Verstappen
Des tabous sur la santé des femmes
Les féminines sont effectivement mal loties à ce niveau : peu d'entraîneuses - voire aucune - ne travaille dans la profession, les anciennes coureuses préférant s'éloigner de leur sport une fois leur carrière terminée. Côté entraîneurs, rares sont ceux ayant déjà travaillé avec des femmes pilotes auparavant, ce qui peut causer de réels décalages, au niveau de la santé notamment.
"Mon dernier entraîneur était vraiment compréhensif concernant mes limites. Juste, il ne pouvait pas savoir ce que c'est réellement d'être une femme dans ce milieu et dans ce sport. Il comprenait, mais il y avait et il y aura toujours une distance." La jeune pilote prend l'exemple des menstruations, un sujet encore tabou dans le sport, qui occupe pourtant une grande partie de la vie des personnes menstruées. "Les coachs savent que les règles peuvent nous faire mal au ventre, mais ils ne connaissent pas la véritable douleur, qui est très particulière et peut jour sur nos performances."
Mon dernier entraîneur ne pouvait pas savoir ce que c'est réellement d'être une femme dans ce milieu et dans ce sport. Il comprenait, mais il y avait et il y aura toujours une distance.
Amandine Verstappen
Un sujet peu abordé entre coach et élève, qui reste pourtant primordial afin de bien prendre en charge la santé des femmes : "Je ne parlais presque pas de ça avec mes entraîneurs. Ce qui limitait pas mal la portée des entraînements parfois."
La contrainte des règles
Entre les crampes, les maux de ventre, la fatigue et le syndrome prémenstruel (SPM) qui peut causer des sautes d'humeur, les règles ont une place centrale dans le quotidien des sportives. Et même si le motocross n'est pas une discipline à dominante féminine, les quelques coureuses qui s'adonnent à ce sport "devraient pouvoir en parler librement, pour une meilleure approche sportive" et s'affranchir de la pression que le tabou peut induire, notamment en période de compétition.
"Mes règles m'impactent de façon différente. C'est jamais la même chose selon les mois. Parfois je suis en forme, parfois j'ai vraiment très mal." Alors pour ne prendre aucun risque, Amandine a opté pour la pilule, qui lui permet de décider quand elle souhaite déclencher ses règles, en calculant le coup par rapport aux dates de grands championnats. "C'est compliqué pour courir, surtout sur les épreuves d'endurance comme il y aura prochainement au Touquet. C'est vraiment éprouvant pour le corps", livre l'athlète qui se souvient des moments de stress liés aux menstruations, ayant déjà pu éprouver sa déjà vaste carrière.
C'est compliqué pour courir, surtout sur les épreuves d'endurance comme il y aura prochainement au Touquet. C'est vraiment éprouvant pour le corps.
Amandine Verstappen
"Un de mes pires souvenirs de compétition c'était une fois où je n'avais pas prévu d'avoir mes règles, mais juste avant le début de la course j'ai su qu'elles arrivaient." À l'autre bout du téléphone, la Belge glousse nerveusement. "Je n'avais pas de protection adéquate donc je me suis retrouvée à devoir faire la course pendant 2h30 avec."
Une course dont elle se souviendra toute sa vie et qui lui a permis de tirer de nouvelles leçons. "Clairement je n'étais pas à 100% ce jour-là, j'étais déconcentrée par la peur que le sang ne coule partout. Avec le temps j'apprends à écouter mon corps. C'est peut-être ça mon plus gros challenge."