Dans le Nord Pas-de-Calais, il n'est pas rare de tomber sur des munitions datant des guerres du XXe siècle... Ou sur des bombes aériennes de 500 kilos, comme ç'a été le cas en avril dernier à Calais. Face à ces trouvailles inattendues, c'est alors aux démineurs de jouer, au péril de leur vie.
Chaque année, des bombes et obus sont retrouvés dans les Hauts-de-France. En particulier dans le Pas-de-Calais, dont le littoral a été très éprouvé par les guerres du XXe siècle et où de vastes opérations de déminage ont régulièrement lieu.
La dernière en date a d'ailleurs eu lieu ce 20 mai 2024, dans un quartier résidentiel de Calais. Une bombe aérienne de la Seconde Guerre mondiale a été découverte mi-avril par des ouvriers en plein chantier de terrassement au Fort Nieulay. La zone habitée a nécessité la mise en place d'une opération d'évacuation et de confinement impliquant 1600 personnes. Pendant cinq heures, les démineurs du Pas-de-Calais venus d'Arras et de Calais, se sont affairés sur l'engin explosif, pour le transporter en toute sécurité vers une zone vide.
D'autres opérations de ce type ont déjà eu lieu, par exemple à Boulogne-sur-Mer en octobre 2019, et se répètent. Déjà, une nouvelle opération de ce type aura lieu mercredi, à Wissant, pour un bloc de défense découvert sur la plage le 1er mai dernier.
Face à ces opérations de déminages - toujours assez mystérieuses finalement - qui fleurissent dans le département, plusieurs questions restent souvent sans réponse. Que deviennent les bombes neutralisées ? Les munitions enterrées sont-elles toujours dangereuses ? Pourquoi n'ont-elles pas toutes été détruites une bonne fois pour toutes ? Michel Colling, chef de centre du déminage d'Arras, raconte la réalité d'une mission de désamorçage et du métier de démineur.
Dans la région, y a-t-il des zones où l'on retrouve plus d'engins explosifs qu'ailleurs ?
Michel Colling : Oui, on en retrouve essentiellement dans le secteur d'ouvrages fortifiés par les Allemands, comme sur le front de l'Atlantique. Mais aussi sur les axes principaux, comme sur les nœuds ferroviaires, les aiguillages, les lignes ferrées de l'époque, les ponts et puis les grandes villes choisies pour le ravitaillement et le transport de matériel.
On est souvent appelés pour des munitions de 2 à 15 cm de diamètre. Les engins de 500 ou 1000 livres sont aussi assez courants. Jeudi dernier (16 mai), une bombe de plus de 500 livres a été retrouvée sur un chantier à Verton, on doit procéder à son déminage dans le courant du mois de juin. On peut en avoir 5 ou 6 de ce type chaque année.
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Comment se passe le processus de déminage ?
M.C. : Si on prend l'exemple de la bombe de Fort Nieulay, le 12 avril, au moment de la découverte, une équipe de Calais est venue identifier la bombe pour déterminer son type et sécuriser les lieux avec deux tonnes de sable, en attendant l'opération de neutralisation. On est en milieu urbain donc l'opération nécessitait l'évacuation d'un certain nombre de personnes, il a fallu attendre un peu avant d'agir, pour tout organiser.
Nous, notre rôle est d'étudier la pyrotechnie du lieu pour écrire tout le processus que l'on va appliquer sur la bombe, qui doit avant tout être validé par notre direction. Il existe plusieurs méthodologies comme dévisser la bombe à distance avec des moyens pyrotechniques ou avec une découpe au jet d'eau. Pour la bombe de Calais, on a choisi le dévissage à la main, avec un outillage spécifique.
Que fait-on des bombes une fois l'opération terminée ?
M.C. : Après avoir désamorcé la bombe, on la stocke et ensuite on la détruit. Le plus souvent en l'amenant sur un terrain militaire. Là-bas on confectionne des palettes de munition que l'on enfouit à 4m de profondeur et que l'on fait exploser sous terre.
Après avoir désamorcé la bombe, on la stocke et ensuite on la détruit. Le plus souvent en l'amenant sur un terrain militaire.
Michel Colling, chef de centre du déminage d'Arras
La bombe retrouvée à Calais va, pour sa part, partir sur un terrain militaire en Gironde, au-dessus de Bordeaux, où l'on détruit toutes les munitions de grosse capacité explosive, comme les bombes d'aviation.
Ces bombes peuvent-elles encore exploser ?
M.C. : Ces engins craignent le choc et le feu. Alors forcément si elles se trouvent près de la surface et qu'une maison prend feu, cela peut faire exploser la bombe. On a très rarement vu ce cas-là sur notre territoire, sauf dans des zones désertiques avec des feux de forêt qui font exploser des grenades et des obus.
En France, dès qu'on découvre une munition, on appelle forcément le déminage. Mais si on ne touche pas les systèmes d'amorçage, que les munitions n'entrent pas en contact avec du feu, ou qu'elles ne reçoivent aucun choc, elles peuvent encore rester une centaine d'années. Après, quelques molécules finissent par se dégrader. On ne sait pas trop ce que ça donnera dans un avenir lointain.
Si on ne touche pas les systèmes d'amorçage, que les munitions n'entrent pas en contact avec du feu, ou qu'elles ne reçoivent aucun choc, elles peuvent encore rester une centaine d'années.
Michel Colling
Comment ces bombes sont-elles découvertes ?
M.C. : Beaucoup de communes ont été construites sur les champs de bataille. C'est donc souvent arrivé dans la région d'Arras que des gens creusent leur cave et retrouvent des munitions. Mais pour les bombes c'est encore autre chose, elles ont des masses assez importantes et elles ne peuvent pas remonter à la surface à cause d'un labourage, du dégel ou d'un glissement de terrain.
Les bombes ont des masses assez importantes et elles ne peuvent pas remonter à la surface à cause d'un labourage, du dégel ou d'un glissement de terrain.
Michel Colling
Pendant la guerre, lorsque la bombe est larguée, l'altitude est très importante : entre 600 et 1000m, pour être hors des tirs de défense aérienne allemande. Avec la vitesse d'impact, les bombes peuvent descendre jusqu'à 6m de profondeur et remonter avec l'inertie. Selon la texture de la terre, si elle est plutôt meuble ou rocailleuse, elles seront plus ou moins proches de la surface. Celle de Calais était située à 1m50 de profondeur, mais souvent elles se situent autour de 3m.
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Peut-on les identifier grâce à des outils technologiques, et les extraire avant que quelqu'un ne tombe dessus ?
M.C. : Il existe des moyens de détection magnétique, nous ne sommes pas dimensionnés pour accomplir un travail d'une aussi grande envergure. On doit couvrir toutes les régions françaises avec 350 démineurs. Dans le Nord Pas-de-Calais, qui est l'une des zones où l'on procède le plus souvent à ce type d'opérations, nous ne sommes que 27.
Il existe des moyens de détection magnétique, nous ne sommes pas dimensionnés pour accomplir un travail d'une aussi grande envergure.
Michel Colling
En revanche, des sociétés privées sont spécialisées dans ce domaine et aident les maîtres d'ouvrage lors des travaux pour de la construction de lotissement, des travaux de terrassement ou pour la création de parcs éoliens, en menant une étude de pollution ferromagnétique. Sur le Nord Pas-de-Calais, il y a entre 4 et 5 sociétés de ce type.
Sur place, elles réalisent une cartographie des anomalies magnétiques trouvées dans le sol et vont jusqu'au contact. Si elles détectent une munition, elles nous appellent et passent la main aux démineurs... Malheureusement l'appel à ces sociétés avant travaux n'est pas systématique car cela représente un certain coût.
Le risque zéro n'existe pas dans votre métier, comment faites-vous pour ne pas aller au travail la boule au ventre ?
M.C. : Déjà on a une école de déminage qui forme les démineurs de façon exceptionnelle, avec un gros travail préparatoire en amont des stages. Le futur démineur se forme au quotidien dans les centres, au niveau qu'il a choisi, puis il continue la formation pendant huit bonnes années. Il faut du temps pour qu'un démineur soit aguerri et autonome sur chaque mission.
On n'est jamais à l’abri d'une explosion spontanée d'une munition. C'est basé sur le manque de chance. Ce qui est aussi redoutable c'est la destruction des poudres.
Michel Colling
Et puis le risque est calculé, on a les moyens de savoir à quoi on va se confronter. Il y a tout un protocole avec les choses à faire et à ne pas faire. Par exemple si une munition est dégradée, on la détruit sur le terrain pour éviter de la stocker sur le dépôt... Après on n'est jamais à l’abri d'une explosion spontanée d'une munition. C'est basé sur le manque de chance. Ce qui est aussi redoutable c'est la destruction des poudres, c'est un procédé très délicat, il faut toujours les allumer à distance, prendre beaucoup de précautions. Comme on dit : la poudre noire c'est la bête noire. Mais heureusement il n'est plus question d'allumer la poudre avec une cigarette comme ça pouvait se faire autrefois.