Un appel national à la grève a été lancé par plusieurs syndicats de sages-femmes du 24 au 26 septembre 2021. Ces professionnels dénoncent un manque de reconnaissance et des salaires trop faibles. Témoignage à la maternité de Lens.
"L'objectif c'est d'arriver à une fermeture temporaire de la maternité, on a jamais voulu ça, mais là on en a marre" gronde Aude Lesage, l'air presque gênée. Depuis 5 ans, elle est sage-femme au Centre Hospitalier de Lens. Elle vient d'être titularisée, après quatre années de contrats "précaires, à enchaîner les CDD". A la maternité de Lens, les 60 sages-femmes soutiennent la grève, lancée depuis vendredi à l'appel de plusieurs syndicats au niveau national. Toutes réfléchissent à une action ce week-end pour sensibiliser sur leurs conditions de travail. Une manifestation devant la maternité est envisagée. Dans les faits, elles occupent leurs services et sont à leur poste. "C'est très difficile de faire grève. Si on se déclare, la direction nous envoie une réquisition à laquelle nous sommes soumises en tant que profession médicale. Donc on est obligé de venir travailler. Sur le week-end, cinq collègues n'ont toujours pas reçu de réquisition, donc elles restent chez elles. Sinon tout le monde est au travail."
Ce matin, la question de fermer le service s'est tout de même posée, au cas où les effectifs venaient à manquer. "On n'a jamais fait ça, c'est inédit. Et c'est malheureux d'en arriver là. Mais nous, on veut se faire entendre et on se retrouve face à une direction qui nous culpabilise en jouant sur notre conscience professionnelle. Ils savent très bien qu'on ne va pas quitter le service si une femme a besoin de nous, même si on a fini notre garde. On a la vie de gens entre les mains, la direction le sait et joue là-dessus" constate Aude.
Concrétement, les sages-femmes revendiquent leur droit à de meilleures conditions de travail. Le manque d'effectif cristalise la colère. A Lens, la maternité possède 6 salles d'accouchement. "S'il y a un pic d'activité, c'est l'usine. Les femmes sont remplacées les unes après les autres. Sur une garde de 12h, ça nous arrive de faire 12 accouchements, c'est même fréquent" témoigne Aude. "Le travail est une priorité et, nous, on s'oublie, je n'ai pas le temps de manger, pas le temps d'aller aux toilettes..." détaille la sage-femme.
Un mal-être au travail
Une pression accrue, un manque d'effectifs et très peu de reconnaissance de la profession, selon ces sages-femmes en lutte. Ces derniers mois, la profession s'est souvent mobilisée pour faire valoir ses droits. Conséquence, en juillet 2021, l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), mandatée par le ministère de la Santé, publie un rapport sur l'évolution de la profession de sage-femme. A la suite de ce rapport, le ministère annonce le versement d’une prime de 100 euros à celles qui travaillent à l’hôpital ainsi qu’une hausse de salaire d’environ 100 euros brut par mois. Pour les sages-femmes c'est insuffisant, tant le métier a changé. "Ce n'est rien par rapport à notre charge de travail. La profession intègre désormais de nouvelles compétences, comme le suivi gynécologique des femmes, les IVG médicamenteuses etc... et le salaire ne suit pas, ce n'est pas logique. On nous rajoute du travail, des compétences, on a encore plus de responsabilité... pour un salaire équivalent."
Des conditions difficiles qui influent aussi sur le moral au quotidien, au point que parmi les sages-femmes, beaucoup songent à une spécialisation, voir une reconversion. "J'avais une bande d'amies en études supérieures. Sur cinq, on est seulement deux à avoir continuer à être sages-femmes à l'hôpital, les autres ont arrêté. On partage toutes le sentiment que la profession est en train de mourrir. Dernièrement, j'ai passé un diplôme d'échographie, avec une spécialisation je me dis que ça pourrait faire une porte de sortie, avec d'autres débouchés" confie Aude.
Parfois, un sentiment d'amertume vient même noircir ce tableau, comme l'impression d'être négligente à cause de cadences trop élevées et de manque d'effectif. "Ce n'est pas volontaire mais nos patientes appellent ça des violences obstétricales et ça peut exister, effectivement. Parfois, on est obligée de surmédicaliser un accouchement parce qu'on doit faire selon la contrainte du temps, au plus pressé, et ce n'est pas normal. Ces pratiques ne respectent pas les femmes, leurs corps, leurs demandes, ni la nature" et de conclure, comme une sentence : "on n'a plus les moyens de travailler dans de bonnes conditions."
Un rassemblement des sages-femmes doit avoir lieu le 7 octobre à Paris, devant le Ministère des Solidarités et de la Santé.