L'histoire du dimanche - À l'origine de la sonnerie "Aux Morts", son compositeur méconnu, le militaire Pierre Dupont

Si elle est connue de tous, l'Histoire n'a pas retenu son auteur. En France, la sonnerie "Aux Morts" est jouée à chaque cérémonie militaire. Celle-ci a été composée par Pierre Dupont, originaire de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais. Reconnu en tant que musicien et soldat, il a mené une carrière brillante au sein de la garde républicaine au début du XXe siècle, avant de tomber dans l’oubli.

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"Je pense forcément à lui à chaque fois que j’entends la sonnerie "Aux morts"". Thomas Delvaux est capitaine de gendarmerie et membre titulaire de la Société académique des antiquaires de la Morinie. Il découvre l’histoire de Pierre Dupont en 2004, lors de sa première affectation, à la garde républicaine à Paris. Son portrait trônait alors sur son bureau. "Je ne savais pas qui c’était, la photo n’était pas légendée". Au hasard d’une conversation avec son grand-père, celui-ci lui demande s’il connait "ce gars de Saint-Omer", un militaire nommé Pierre Dupont, qui passait à la radio durant son enfance. Thomas Delvaux se renseigne auprès de son supérieur qui, amusé, lui répond : "il est juste en face de toi, sur ton bureau".

Sur Saint-Omer, il était complètement inconnu, à part de quelques personnes âgées qui se souvenaient.

Thomas Delvaux, capitaine de gendarmerie et historien

C’est alors que le gendarme, historien de formation, se lance dans des recherches poussées et se consacre à l’écriture de plusieurs publications relatant la vie de Pierre Dupont, pour "rendre son enfant à la ville de Saint-Omer" et "pour mieux faire connaître l’auteur de la sonnerie "Aux Morts"".

De Saint-Omer au conservatoire de Paris

Pierre Dupont est né le 3 mai 1888 à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais. Au 42 rue Wissocq plus précisément. Ce détail a son importance, car à quelques rues de là, se trouve l’école de musique de la ville.

Tout jeune, ses qualités de flutiste sont déjà remarquées. "La classe de musique à cette époque est d’un niveau relativement médiocre. C’est le seul à sortir un peu du lot", raconte Thomas Delvaux. La municipalité de Saint-Omer le repère et décide de soutenir financièrement ce jeune fils de boucher, issu d’une famille modeste.

La ville lui verse alors une bourse afin qu’il puisse rejoindre le conservatoire de Paris. Pierre Dupont est alors âgé d’une quinzaine d’années. De 1905 à 1907, il y étudie la flûte, l’harmonie, la fugue et le contrepoint.

Une ascension fulgurante au sein de l’armée

En 1907, Pierre Dupont, âgé de 19 ans, doit effectuer son service militaire de deux ans. Passage obligé pour tous les jeunes hommes de l’époque. Il devient soldat musicien dans le 22e régiment d’artillerie de Versailles. S’il rejoint la carrière militaire par obligation, elle deviendra rapidement sa vocation. "C’est une manière pour lui de continuer sa passion et de pouvoir en faire son métier."

De toute façon, à l’époque il n’y a que deux possibilités : soit faire une carrière de musicien civil, soit être musicien à l’armée.

Thomas Delvaux, capitaine de gendarmerie et historien

Son statut de musicien ne le protège pas pour autant des horreurs de la Première Guerre mondiale : "De façon classique, les personnels de la musique sont versés dans les fonctions de soutien. Il est brancardier. Il n’est pas planqué, loin de là. Ça consiste à aller chercher les gars qui viennent de se faire tirer dessus en face et vous n’avez pas à attendre que ça se finisse pour y aller. Il était exposé", explique Thomas Delvaux. Pierre Dupont participera notamment aux batailles de la Marne (1914), de Verdun et de la Somme (1916) et il s’y illustre. Il est cité à l’ordre de la 12e division d’infanterie en décembre 1916 :

ORDRE DE LA DIVISION N° 171

DUPONT, Pierre, Chef de musique de 2e Cl. 67e Régiment d’Infanterie

"A apporté depuis le début de la campagne, un concours précieux au service de santé. Le 2 Septembre 1914, a réussi par des moyens de fortune, à évacuer les blessés avant l’arrivée de l’ennemi.

Le 22 Juin 1916, a ramené par son attitude énergique, le zèle de ses brancardiers. Chargé, en Décembre 1916, de l’assainissement du champ de bataille, a rempli sa mission malgré les tirs de barrage ennemis et n’a quitté le secteur qu’après avoir accompli sa tâche."

La paix revenue, Pierre Dupont continue son parcours au sein de l’armée, gravissant les échelons jusqu’à devenir le chef de musique de la garde républicaine en 1927, à l’issue d’un concours particulièrement difficile. "C’est une particularité qui existe toujours aujourd’hui. Le recrutement des musiciens se fait au rideau. C’est anonyme et le jury ne choisit qu’à l’oreille. Les chefs de musique doivent aussi se faire accepter des membres de l’orchestre", indique l'historien. À 38 ans, il était le plus jeune candidat.

La genèse de la sonnerie "Aux Morts"

Le 11 novembre 1919, à l’occasion du premier anniversaire de l’armistice, une minute de silence officielle, et à dimension nationale, est observée en France. C’est une première dans le pays.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, cette minute de silence est précédée d’une sonnerie réglementaire : le "Last Post" et le "Taps" qui renforce le recueillement du public.

À la fin des années 20, la France rend hommage à ses morts et aux anciens combattants et mutilés de guerre de la Première Guerre mondiale, lors des 10 ans de l’armistice. C’est alors, que l’absence d’une musique marquant la solennité de l’hommage se fait ressentir.

L’initiative d’une sonnerie précédant la minute de silence revient au général Henri Gouraud. Il demande alors au commandant Pierre Dupont, chef de la musique de la garde républicaine, de la composer. Un choix tout naturel, car il est le chef de la formation musicale de l’époque. L’Audomarois s’évertue ainsi à la tâche et ne laisse rien au hasard. C’est la sonnerie "Aux Morts".

Un tambourin et des clairons, c’est tout. Pierre Dupont fait exprès de composer la sonnerie la plus simple possible.

Thomas Delvaux, capitaine de gendarmerie et historien

"Il voulait qu’elle puisse être jouée au sein d’un petit village, qu’une toute petite formation puisse aussi la jouer. Vous trouvez un tambour et un clairon et c’est bon, vous pouvez la jouer. C’est vraiment une volonté populaire. En revanche, si vous voulez jouer la Marseillaise, il faut une formation beaucoup plus importante, poursuit le gendarme, je pense que c'est marqué aussi par son enfance, il a conservé des attaches populaires". Le titre choisi, "Aux Morts" se veut consensuel. Personne n’est mis en valeur et il n’y a aucun parti pris. Notons que rien ne suit la minute de silence puisque rien ne peut égaler le recueillement obtenu.

Le soir du 14 juillet 1931, la sonnerie "Aux Morts" est jouée pour la première fois sous l’Arc de triomphe, devant le ministre de la Guerre de l’époque, André Maginot. Directement appréciée, elle devient réglementaire quelques mois plus tard.

Toujours utilisée aujourd’hui, elle est connue de tous et est devenue intemporelle : "on a l’impression qu’elle a toujours existé, que cela fait plusieurs siècles, mais elle a tout juste 90 ans. Elle est vraiment rentrée dans la mémoire collective".

La multiplication des concerts et des diffusions radio

Au-delà de la création de la sonnerie "Aux Morts", Pierre Dupont a modernisé à son échelle et a soufflé un vent de fraicheur sur l’orchestre de la garde républicaine. Avec ses musiciens, il va enchaîner les concerts en France et à l’international. Toujours dans cette volonté populaire d’aller à la rencontre du public, même dans les petits villages. Et les concerts de l’orchestre de la garde républicaine ont du succès. Le 28 juin 1936 à Valenciennes, 8 000 personnes viennent y assister.

Ils se déplaçaient toutes les semaines, ils faisaient vraiment des tournées.

Thomas Delvaux, capitaine de gendarmerie et historien

"C’est monstrueux ce qu’ils faisaient. Ils sont partis plusieurs semaines en Amérique du Nord, ils ont fait tout le tour. Autant, aujourd’hui, l’orchestre de la guerre fait régulièrement des concerts à l’étranger, mais à son époque, c’était vraiment nouveau et ce n’était pas aussi facile qu’aujourd’hui". Le chef audomarois maintient une moyenne de 22 concerts annuels. C’est un rythme qui n’avait alors jamais été atteint.

Le temps de présence de Pierre Dupont à la tête de l’orchestre de la garde républicaine est également marqué par la diffusion radiophonique des concerts. C’est justement par ce biais que le grand-père de Thomas Delvaux découvrit Pierre Dupont. "Dans les années 20, la TSF (télégraphie sans fil, ndlr) prend de l’ampleur. La radio rentre dans toutes les maisons, à l’époque il n’y a que ça. La diffusion des concerts chaque semaine permet de faire connaître l’orchestre de la garde. Donc auprès du public, il gagne en notoriété".

Une fierté locale

Dans la région, et notamment à Saint-Omer, Pierre Dupont est considéré comme un héros local. Ses péripéties au sein de l’armée sont suivies jour après jour. En 1927, suite à sa désignation en tant que chef de musique de la garde républicaine, une réception est organisée en son honneur dans sa ville d’origine. Près d’une dizaine de gerbes de fleurs lui sont offertes et la plupart des habitations, des rues que devait suivre le cortège, avaient arboré les couleurs nationales.

"Soyez persuadé […] que je n’oublierai jamais cette journée que vous vous êtes ingénié avec tant de succès à rendre inoubliable pas plus que je n’oublierai que je suis issu de cette bonne ville de Saint-Omer, ce dont je resterai toujours fier", déclare, ce jour-là, Pierre Dupont dans son discours de remerciements.

En 1931, l’enfant du pays viendra jouer pour la première fois à Saint-Omer, en qualité de chef d’orchestre de la garde républicaine dans le cadre de l’inauguration du monument Monsigny. "À chaque fois, il est accueilli de manière incroyable", ajoute Thomas Delvaux.

La Seconde Guerre mondiale et le retour à la vie civile

1939, la Seconde Guerre mondiale débute et change la donne. Sur fond de tension internationale, les concerts se font de plus en plus rares et les déplacements sont presque inexistants. Pierre Dupont, père de famille, se retrouve dans une situation complexe. "Son rôle a été comme tout chef militaire, de protéger ses hommes avant tout et le matériel qui lui a été confié, en l’occurrence les instruments".

Il se replie à Chamalières avec le gouvernement face à l’avancée des Allemands. Sous le régime de Vichy, le commandant Pierre Dupont n’entre pas dans la résistance et continue les concerts radiophoniques toutes les semaines. "Il a quand même une famille avec deux enfants en bas âges et il est chef. Prendre le maquis n’est pas simple dans cette situation. Il s’est retrouvé coincé par crainte que l’on rende une petite visite à sa famille", justifie Thomas Delvaux. "D’après son fils que j’ai rencontré, il était gaulliste. Et il a refusé la Francisque, ce qui est quand même, déjà en soi, un acte de résistance", poursuit le gendarme.

Au moment de la libération en 1945, alors qu’il aurait pu être écarté, son grade de lieutenant-colonel - obtenu pendant la guerre - lui a été confirmé, signe qu’il n’était pas considéré comme un collaborateur. La même année, Pierre Dupont est atteint par la limite d’âge de son grade et est contraint de revenir à la vie civile. Il devient alors le directeur de l’harmonie des mines de Courrières puis vice-président de la Sacem.

Le 18 septembre 1969, il décède à Suresnes, dans les Hauts-de-Seine, à l’âge de 81 ans, dans l’anonymat. "Il continue de vivre à chaque fois qu'on joue sa musique. C'est le principe d'un musicien. C'est surtout ça qui compte".

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