Le 1er mars s'est ouvert le deuxième jour du procès de Jennifer D., "l'empoisonneuse de la Saint-Valentin", devant la cour d'Assises du Pas-de-Calais. L'accusée a été entendue sur le déroulé des faits. Le reste de la journée a été consacré à la victime, Bruno Bénédit, dont la Cour a livré un portrait très contrasté.
Un engrenage de violence qui a mené au drame. Le 13 février 2018, Bruno Bénédit est mort, empoisonné par sa femme pendant leur Saint-Valentin, dans leur domicile de Noeux-lès-Auxi. Depuis le 28 février, Jennifer D. est jugée pour homicide devant la cour d'assises à Saint-Omer.
Le 1er mars, les membres de la famille de Bruno Bénédit et l'accusée elle-même ont été entendus par la cour. Jennifer D. a fait le récit d'une vie désormais rythmée par l'alcool et la violence. Peu de temps avant le drame, elle avait pensé à mettre fin à ses jours, comme en atteste une lettre retrouvée par les enquêteurs.
"Tu ne sais pas de quoi je suis capable"
Selon le témoignage de l'accusée, le 13 février, malgré le climat de tension, Jennifer D. et Bruno Bénédit vont faire les courses ensemble. Ils ont décidé de se prendre un repas de Saint-Valentin avec leurs modestes moyens. En milieu d'après-midi, son compagnon renvoie la jeune femme au supermarché, pour acheter des bières et une flasque de Porto.
A son retour, une énième dispute éclate. "Je me suis disputée avec Bruno à propos de sa consommation excessive d’alcool, un sujet récurrent, assure l’accusée à la barre. Je lui ai dit que j’en avais marre qu’il boive autant et que j’allais partir. Il s’est mis en colère, m’a insulté, m’a poussé et a arraché les câbles du téléphone."
Selon Jennifer D., son compagnon aurait également menacé de s'en prendre à leurs enfants. "Tu ne sais pas de quoi je suis capable. Si tu fais ça, il te faudra beaucoup de flics pour récupérer tes enfants", aurait-il lancé d'après l'accusée.
C'est là que Jennifer "pète les plombs". A l'étage, elle broie des médicaments, notamment de la méthadone et des anti-dépresseurs et verse le mélange dans la flasque de porto.
"J’ai fait semblant de boire, poursuit l’accusée, puis je lui ai tendu la bouteille et je lui ai dit : "tiens, goûte c’est bon, bois cul sec". Bruno Bénédit s'exécute et ne tarde pas à ressentir les effets du mélange. Il se tourne vers Jennifer D. et lui dit : "Tu m’as pas fait ça ? T’es ma femme quand même". Ses derniers mots, avant que Jennifer ne l'étouffe en lui maintenant le nez et la mâchoire.
Quand son compagnon rend son dernier souffle, Jennifer D. maquille la scène en suicide et fait monter ses enfants dans sa voiture, direction le domicile de ses parents.
A l'issue de ce récit glaçant, la présidente de la Cour a interpellé l'accusée. "Tout ça, ça traduit quelqu’un qui était en pleine possession de ses moyens." Non, répond Jennifer D., "j'agissais comme un robot".
Aujourd'hui, la jeune femme assure avoir "honte. Il n'y a pas une journée où je n'y pense pas."
"Tu ne peux pas dire que t'étais seule"
La victime a grandi dans une grande famille, plutôt soudée. Bruno est décrit comme un enfant serviable, qui aime aider son père mais les choses sont bien plus compliquées sur les bancs de l'école.
Il rencontre Jennifer par des amis communs. Quelques mois plus tard, elle s'installe avec la famille Bénédit. Quand Bruno a 20 ans, le couple emménage ensemble à Saint-Pol, puis à Noeux-lès-Auxi. Ensemble, ils ont deux filles. Les proches parlent d'un "papa poule" qui partage avec ses enfants "une grande complicité".
De l'extérieur, tout semble impeccable. Les deux sœurs de Bruno ont parlé de lui comme d'un homme "doux, patient, présent" et souligné auprès de la Cour les failles de leur ancienne belle-sœur. "J’ai vite observé que Jennifer, c‘était un volcan, quand ça explosait, ça explosait. Ils étaient tous les deux renfermés, mais quand ça sortait, ça sortait", note Sylvia.
Alisson, l'autre sœur de Bruno, a réfuté la version d'une Jennifer D. isolée et acculée. "J'ai bien connu ma belle-sœur. On ne t'a jamais laissée. Tu ne peux pas dire que t'étais seule. Tu faisais partie de notre famille. Ce qui est le plus dur pour nous, ce n’est pas un membre de la famille qu’on a perdu mais c’est quatre : mon frère, toi et les petites" a-t-elle conclu, émue.
Bruno Bénédit, un homme, deux portraits
L'enquêtrice de personnalité chargée de dépeindre Bruno Bénédit a cependant fait de lui un portrait plus contrasté. Car il y a des sujets que la famille Bénédit n'aborde pas.
Notamment, les problèmes d'addiction de Bruno. Celui-ci a été consommateur d'héroïne, de cannabis et surtout d'alcool. Entre 2008 et 2017, il est incarcéré plusieurs fois pour détention de stupéfiants ou pour conduite sous l'emprise de l'alcool. Pendant un temps, il porte un bracelet électronique.
Avec ces difficultés vient la précarité. Le couple vit du RSA, des prestations sociales et des Restos du Cœur, où la famille accompagne de temps en temps Bruno. Pas de trace, en revanche, des faits de violence décrits par Jennifer D. A la fin de la journée d'audience, deux portraits de Bruno Bénédit cohabitent désormais devant la cour d'Assises.
"C’était mon meilleur ami, il est parti trop vite. Pour moi, c’était quelqu’un de bien qui ne méritait pas ce qui lui est arrivé" a témoigné Manuel, un ami d'enfance.