En 1940, 145 pilotes de chasse polonais participèrent à la Bataille d'Angleterre, au sein de la Royal Air Force britannique. Ils jouèrent un rôle décisif dans ce premier tournant de la Seconde Guerre mondiale, s'offrant ainsi une revanche éclatante contre l'Allemagne nazie qui occupait leur pays.
C'était il y a 80 ans jour pour jour, le 7 septembre 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Du haut du cap Gris-Nez, dans le Pas-de-Calais occupé, le Reichsmarschall Hermann Göring, commandant de la Luftwaffe, assiste tout sourire, en fin d'après-midi, au départ d'une immense flotte de 300 bombardiers et de 700 chasseurs allemands en direction de l'Angleterre.
Pour renforcer ses effectifs et remplacer les pilotes tués, blessés ou tout bonnement épuisés, l'aviation britannique a commencé à former, dès juillet, des centaines d'aviateurs étrangers, issus des anciens pays alliés désormais occupés par les Nazis.
"Il faisait très chaud. Le ciel était immaculé. Depuis 40 minutes en "stand-by" (position de départ), je cuisais dans mon cockpit ; la sueur coulait le long de mon échine", se souvient Jan Zumbach, alors âgé de 25 ans. Le jeune pilote est basé à Northolt, à l'ouest de la capitale, prêt à décoller aux commandes de son Hawker Hurricane. Il appartient au 303 Squadron Kosciuszko, l'une des deux escadrilles de chasse polonaises nouvellement créées au sein de la RAF.
"Tout à coup, la radio hurla dans mes oreilles : "303, Scramble ! 303, Scramble !...", c'était le signal que j'avais déjà tant de fois entendu, en vain. Au même moment, les fusées rouges montèrent dans le ciel. Trente secondes plus tard j'étais en l'air".
Ludwik Paszkiewicz, 32 ans, est l'un des piliers du 303 Squadron, véritable hussard volant, débordant de panache. Une semaine plus tôt, c'est lui qui a ouvert le tableau de chasse du 303 Squadron en sortant de sa formation pour aller dégommer en solo un appareil ennemi pendant un vol d'entraînement. Ce 7 septembre, c'est encore lui qui accroche le premier bombardier allemand. "Avant même de commencer mon attaque, le Dornier de Paszka était déjà en feu", témoignera son camarade Witold "Tolo" Lokuciewski, 23 ans. Alors que le ciel s'embrase au-dessus de l'agglomération londonienne, Jan Zumbach, lui, éprouve de grosses difficultés avec ses mitrailleuses qui ne fonctionnent pas. "Les balles traçantes passaient de tous les côtés et, brusquement, je réalisai que j'avais oublié d'enlever le cran de sécurité de mon bouton de tir ! Je virai à mort ! Ecrasé par la force centrifuge, courbé en deux sur mon manche, je me retrouvai à l'arrière de mon groupe. Et soudain, devant moi, surgit un Dornier 215".
Le pilote polonais ne laisse pas passer sa chance. "Je vis le mitrailleur arrière qui tirait sur moi. J'appuyai enfin sur le bouton, et mes huit mitrailleuses secouèrent mon avion". C'est sa première victoire en combat aérien.
"Brusquement, tout me sembla facile. Dans mes écouteurs, j'entendais tout le monde crier, en anglais, en polonais. Regardant vers la droite, j'aperçus un autre Dornier 215, un peu en arrière de sa formation. (...) Celui-là serait sans doute plus facile à tirer. Son mitrailleur arrière ne me gênait pas, comme le précédent. Sans doute, quelqu'un de chez nous avait déjà dû le saler un peu. Dès ma première rafale, cet avion explosa, et si je passai sans casse à travers ses débris fusant en tous sens, ce fut sans doute par miracle".Notre tableau de chasse était sensationnel : 11 Dornier abattus, 3 endommagés, 2 Messerschmitt 109 descendus et 3 endommagés !
A son retour sur la base de Northolt, c'est l'euphorie. "Je pus en beauté, effectuer le tonneau de la victoire, mes premières victoires ! avant d'aller me poser. Sur l'aérodrome, tout le monde gesticulait de joie. il y avait de quoi. Notre tableau de chasse était sensationnel : 11 Dornier abattus, 3 endommagés, 2 Messerschmitt 109 descendus et 3 endommagés !".
Sous le feu allemand en Pologne puis en France
Avant de rejoindre l'Angleterre, les pilotes polonais avaient déjà vécu deux débâcles face au Reich hitlérien : celle de leur propre pays en septembre 1939, puis celle de la France - où ils étaient venus poursuivre le combat - en mai/juin 1940.Quand les chars allemands ont pénétré en Pologne, Jan Zumbach, lui, était en convalescence à Zaleszczyki, une station thermale du sud-est du pays (la ville est aujourd'hui rattachée à l'Ukraine). Jeune sous-lieutenant au sein de la 111e escadrille de chasse polonaise, il s'était fracturé la jambe gauche quatre mois plus tôt lors un accident survenu à l'atterrissage, près de la capitale, Varsovie, à l'issue d'un vol d'entraînement. Le jeune homme avait réussi à intégrer la dure et exigeante école d'aviation polonaise, à Deblin, en 1936. Bien que né en Pologne, où sa famille vivait depuis trois générations, il était de nationalité suisse, comme son grand-père (un riche grainetier devenu un important propriétaire terrien), ce qu'il cacha lors de son incorporation.
"Quand j'arrivais à Varsovie, ce fut pour apprendre que mon escadrille était partie au combat bien sûr, mais où ? On ne savait pas", raconte Zumbach. "Pas dessus le marché, l'officier rond-de-cuir qui me reçut au commandement de la place militaire de Varsovie, voyant mes béquilles, exigea d'abord de moi un certificat médical de validité".
"Je ne parvenais pas à comprendre comment l'armée polonaise, si durement disciplinée, avait pu être si rapidement désorganisée. Et ce que je comprenais encore moins, c'était pourquoi les restes de troupes que je rencontrais, faisant retraite, étaient privés de toutes communications téléphoniques avec les états-majors".
Zumbach reçut de l'ordre de se rendre sur une base vers l'est de Pologne, à Brest-sur-le-Boug (aujourd'hui en Biélorussie). "Je ne vis qu'une vingtaine d'avions de tourisme et de liaison. Etait-ce donc tout ce qui restait de notre fière , et trop petite, phalange de guerriers acrobates ?". A peine eut-il le temps de se poser, qu'un chasseur-bombardier allemand passa détruire une bonne partie de cette modeste flotte.
Le 17 septembre, alors que les Soviétiques attaquaient à leur tour la Pologne à l'Est, on ordonna à Zumbach de se replier vers la Roumanie.
Ce navire arriva à Beyrouth, dans l'actuel Liban, le 21 octobre 1939.
A son arrivée en France, il fut dirigé vers Salon-de-Provence puis la base de Bron, près de Lyon, où des entraînements débutèrent en janvier 1940. "Mais ensuite, faute d'avions à nous mettre effectivement sous les fesses, vint une période de désœuvrement total. Nous passions notre temps dans les bistrots et les bordels de Lyon", rapporte l'aviateur polonais. "Cette longue période de démoralisation, pour nous qui brûlions de rendre aux Fritz la monnaie de la pièce polonaise, ne prit fin que le 10 mai 1940".
Parmi ses compatriotes, deux futurs membres du 303 Squadron : l'expérimenté capitaine Zdzislaw Krasnodebski, 36 ans, et Stanislaw Karubin, 25 ans.
L'entente avec sa hiérarchie française n'était pas bonne, et les tâches frustrantes. "Le commandant se contentait de nous "faire garder les cheminées" des usines de la région", déplore Jan Zumbach. Jusqu'à ce que les Allemands vinrent bombarder la base aérienne d'Etampes, contraignant le GC 1/55 à se replier sur Villacoublay, toujours en banlieue parisienne. Le pilote polonais effectua alors sa première véritable mission de guerre, le 10 juin, pour "protéger un mouvement de troupes françaises dans la région de Laon", dans l'Aisne, aux commandes d'un Morane-Saulnier MS.406.
Il fut abattu par un essaim de Messerschmitt Bf109 en surnombre et dut sauter en parachute, tandis que trois de ses camarades polonais trouvaient la mort. Zumbach revendiqua un appareil ennemi descendu.
Sur l'aérodrome girondin, régnait alors une atmosphère de chaos. "Un millier d'avions de tous types, tailles et âges, se serraient sur l'herbe, jusqu'aux bords mêmes de la piste. Pour y atterrir sans provoquer de collision, il nous fallut réaliser des prodiges d'adresse prudente".
Le maréchal Pétain ayant annoncé le 17 juin qu'il fallait "cesser le combat", Zumbach chercha immédiatement à quitter la France. Avec d'autres aviateurs de sa connaissance, français, polonais et tchèques, il essaya le soir-même de "piquer un bon bimoteur" à Mérignac pour voler jusqu'en Angleterre. Ils choisirent "un bombardier apparemment tout neuf, dans lequel nous pourrions tous nous serrer". Manque de chance, il y avait déjà du monde à bord.Vous aurez du mal à trouver ce qu'il vous faut, dit le pilote français, tous les bons zincs sont déjà en main
"Un mécano français, un pistolet à la main, et derrière lui un pilote et d'autres hommes que nous ne distinguions guère dans l'obscurité, nous faisaient très clairement comprendre qui'ils avaient eu la même idée que nous, mais une heure avant. Nous nous excusâmes. "Vous aurez du mal à trouver ce qu'il vous faut", dit le pilote français. "Tous les bons zincs sont déjà en main"".
Jan Zumbach et ses camarades trouvèrent finalement un plan de secours, le lendemain, sur les quais de Bordeaux : le Kmicic II, un charbonnier polonais, prêt à lever les amarres pour rejoindre Plymouth en Angleterre.A bord, il y retrouva, à sa grande surprise, une des légendes vivantes de l'aviation polonaise de l'époque, le lieutenant-colonel Leopold Pamula, qui fut son premier chef d'escadre à Varsovie.
A 42 ans, il était le modèle, le mentor de toute une génération de pilotes. Un instructeur réputé pour son extrême exigeance. "Si vous travaillez beaucoup et buvez moins, vous arriverez peut-être un jour à ressembler à l'ombre d'un pilote de chasse", avait-il conseillé à Zumbach avant la guerre.
La formation des premières escadrilles polonaises en Angleterre
Jan Zumbach et les passagers du Kmicic II débarquèrent à Plymouth, quatre jours plus tard. "La Croix-Rouge britannique y accueillit 300 types affamés, assoiffés, hirsutes et sales", commente le pilote.L'armée britannique séparara immédiatement le personnel aérien des fantassins et des artilleurs. "On nous achemina à Blackpool (dans le nord-ouest de l'Angleterre NDR) où, pendant trois semaines, nous subîmes la quarantaine du contrôle et des interrogatoires du contre-espionnage britannique, puis des examens médicaux".
C'était le cas notamment du fameux lieutenant-colonel Pamula, avec qui Zumbach était arrivé. "A Blackpool, le contrôle médical avait décelé une dent malade depuis longtemps. "Elle ne vous fait pas mal?", avait demandé, étonné, le médecin militaire. "Yes, sir", avait seulement répondu Pamula, bien forcé d'être laconique car il aurait été bien en peine d'en dire davantage en anglais. Aussitôt, on lui arracha sa dent. Mais l'abcès, trop négligemment soigné, provoqua une scepticémie dont, stoïquement, il ne voulut pas se plaindre. Trois jours plus tard, il était mort. Pauvre, incomparable professeur de voltige aérienne et de maîtrise des nerfs. Il avait été l'un des rares as polonais à compter quelques victoires dans le ciel de son pays. Ce que les maîtres-tireurs de la Luftwaffe n'avaient pas réussi, une simple mauvaise dent l'obtenait : envoyer sous terre un homme qui n'aimait que le linceul des nuages".
Après trois semaines à Blackpool, Zumbach reçut le tampon "A-1", apte pour le service. L'arrivée de centaines d'aviateurs polonais ayant quitté la France allait fournir à la Royal Air Force ce qui lui manquait le plus en ce début d'été 1940 : des pilotes d'expérience, aguerris, ayant déjà affonté les Allemands en de multiples situations et circonstances."Quand il commença à expédier des aviateurs polonais et tchèques sur différents aérodromes, l'Etat-major britannique avait l'intention de les disperser au milieu d'escadres anglaises", se souvient Zumbach. "Leur loyauté pouvait y être mieux surveillée, et d'éventuelles désertions massives pouvaient y être prévenues (sentir cette défiance, quand on brûle sincèrement du désir de descendre du Boche, ce n'est pas agréable). Nous n'en continuions pas moins à demander de constituer des escadrilles polonaises homogènes - pour l'honneur du drapeau".
Les premières unités polonaises furent créées au sein la Royal Air Force le 1er juillet 1940 : les 300 et le 301 Squadrons, deux escadrilles de bombardiers.
Leurs qualités de pilotes n'étaient pas en cause. Le souci de la RAF avec les Polonais, c'était plutôt la barrière de la langue, la communication étant un élément essentiel du vol en formation et du combat aérien.
"Il n'y en avait que deux qui parlaient un vague anglais", expliquera John Kent, officier originaire du Canada, bientôt surnommé "Kentowski" par ses subordonnés. "Ronald Kellett et Athol Forbes se débrouillaient avec eux en français, ce qui n'était malheureusement pas mon cas. Il faut dire que je suis de l'Ouest du Canada et que ma connaissance du français à l'époque était des plus élémentaires. La morale de l'histoire, c'est que j'ai fini par parler quelque chose qui approchait du polonais".
Le premier pilote polonais à s'illustrer, pendant la Bataille d'Angleterre, fut un certain Antoni Ostowicz, 29 ans. Le 19 juillet 1940, cet ancien navigateur de bombardier, intégré au sein du 145 Squadron, abattit un Heinkel He 111, aux commandes de son Hurricane, au large de Brighton.
Près de 240 avions allemands abattus
Pendant la Bataille d'Angleterre, les escadrilles et pilotes de chasse polonais de la Royal Air Force remporteront près de 240 victoires aériennes homologuées, dont 126 pour le seul 303 Squadron.Wojtowicz était un as en devenir. Opposé à des ennemis bien plus nombreux au-dessus du Kent, il a quand même pu descendre un Messerschmitt (et probablement un second) avant d'être atteint mortellement par un obus tiré par un chasseur allemand. Son Hurricane s'est brutalement écrasé à Westerham, pas loin de Chartwell, la demeure du Premier ministre britannique, Winston Churchill.
Puis arrive le 15 septembre 1940, resté dans les mémoires britanniques comme le "Battle of Britain Day". Un combat décisif et titanesque qui scellera l'issue de l'affrontement...
Depuis les aérodromes du Nord, du Pas-de-Calais et de Belgique, Göring lance un nouveau raid massif sur Londres, dès 9h du matin. Face aux centaines de bombardiers et chasseurs allemands qui franchissent la Manche, 22 escadrilles de Spitfire et de Hurricane sont mobilisées.
"J'avais abattu un Dornier et ensuite, j'avais été pris en chasse par tout un essaim de Messerschmitt que je ne parvins à semer qu'en me réfugiant dans les nuages", témoignera Jan Zumbach. "Pour la première fois de ma vie, j'avais eu vraiment peur".Pour la première fois de ma vie, j'avais eu vraiment peur.
L'historien Robert Gretzynger, qui a épluché minutieusement tous les rapports d'activité des pilotes polonais pendant la Bataille d'Angleterre, donne la véritable version : "(Zumbach) vit une douzaine de Dornier 17 retournant en France, sans chasseurs pour les protéger. Il l'a signalé à un autre appareil qui l'a rejoint et ils ont attaqué, mais Zumbach était presqu'à court de munitions, il a donc renoncé à aller plus loin et est rentré à Northolt".
Pourquoi Zumbach inventera-t-il une telle péripétie dans ses mémoires ? Cherchera-t-il uniquement à distraire le lecteur avec ce récit pimenté ? Sera-t-il encore gêné d'avoir rejoint sa base plus tôt que ses camarades du 303 Squadron à un moment aussi décisif de la Bataille ? Ou voudra-t-il ainsi réhabiliter son camarade Frantisek dont les méthodes et le flatteur tableau de chasse sont encore aujourd'hui sujets à débat...
Ce qui est certain en tout cas, c'est que la Royal Air Force a bien infligé, ce dimanche 15 septembre 1940, de lourdes pertes à la Luftwaffe. Selon les chiffres officiels, 58 appareils allemands ont été abattus, dont 16 mis au tapis par le 303 Squadron entre Londres et Hastings, puis au-dessus du côté de Gravesend, à l'est de la capitale.L'autre Squadron polonais, le 302, n'est pas en reste. Jusqu'ici cantonnés dans le nord de l'Angleterre, ses pilotes ont été intégrés au "Big Wing" de Duxford, une énorme formation de cinq escadrilles (soit une soixantaine de chasseurs) commandée par le fameux "as cul-de-jatte" anglais Douglas Bader. A la fin de la journée, ils revendiquent 11 avions ennemis descendus, alors qu'il s'agissait de leur première confrontation majeure avec la Luftwaffe.
"C'était les Polonais, je pense, qui disposaient de la plus forte dose de haine", estimera Douglas Bader après la guerre. "A la suite de leur triste expérience longue de quelques six cents ans sous le joug alterné des Allemands et des Slaves, ils avaient appris la rigueur, oublié la pitié. Je me revois encore les maudire à l'époque, alors qu'ils m'abandonnaient en combat pour poursuivre jusqu'au sol des avions allemands déjà perdus et les achever au lieu de rester en altitude pour en attaquer d'autres. Je les maudissais mais je les comprenais".
Leur sacrifice ne sera pas vain : la Luftwaffe n'ayant toujours pas réussi à s'assurer la maîtrise du ciel à l'approche de l'automne, Hitler décidera deux jours plus tard de reporter l'Opération Seelöwe, son projet de débarquement en Grande-Bretagne qui n'aura donc... jamais lieu. Même si la Bataille d'Angleterre se poursuit officiellement jusqu'au 31 octobre 1940, la messe est dite. L'Allemagne nazie subit sa première défaite dans cette Seconde Guerre mondiale. Pour les Polonais de la Royal Air Force, la revanche est éclatante ! Mais 30 d'entre eux, morts en mission, en ont payé le prix...Witold Glowacki, l'un de ces pilotes polonais tués pendant la Bataille d'Angleterre, a été abattu le 24 septembre au-dessus d'Ambleteuse, dans le Pas-de-Calais. Il repose au cimetière de Guînes.
Certains diront que l'as tchèque a raté une cabriole en passant au-dessus de la maison de sa petite amie anglaise. D'autres expliqueront que Frantisek était alors épuisé et que son état de santé faiblissait de jour en jour.
Mais au deuil, se conjugueront aussi les honneurs : le 26 septembre, le 303 Squadron recevra la visite du roi d'Angleterre George VI, venu en personne à Northolt les féliciter.
Des lendemains amers
Parmi les 145 aviateurs polonais qui ont participé à la Bataille d'Angleterre, 77 survivront à la guerre. Jan Zumbach en fait partie.Après ses exploits pendant la Bataille d'Angleterre, il continuera à voler pour le 303 Squadron, aux commandes d'un Spitfire cette fois
En 1944, Zumbach deviendra le premier Polonais à commander un "wing" non-polonais de la Royal Air Force, le 135e. En avril 1945, lors d'un vol de routine, il se posera par erreur du côté des lignes allemandes, aux Pays-Bas, et sera capturé puis détenu sur l'île de TerschellingIl sera libéré un mois plus tard, lors de la capitulation de l'Allemagne, puis quittera la Royal Air Force en 1946. Non sans une certaine amertume...
"En décembre 1944, à la nouvelle de l'insurrection de Varsovie, les escadrilles polonaises de la RAF avaient voulu voler au secours des hommes qui se battaient dans la taupinière calcinée que la capitale leur pays était devenue", raconte-t-il. "Chef d'une escadre polonaise, j'avais naturellement exprimé cette revendication. La RAF avait aussitôt sanctionné cette manifestation d'indiscipline - qui, pour être sentimentale, n'en avait pas moins le tort de ne pas être politique. Huit jours plus tôt, j'avais été proposé pour une nouvelle décoration, la Distinguished Service Order - DSO, en langage courant ; deux jours après cette "affaire de Varsovie", elle sauta du dossier".
Pour ne pas froisser les alliés soviétiques, le gouvernement britannique interdira aux Polonais de participer au défilé de la Victoire organisée à Londres, le 8 juin 1946, y compris aux anciens héros de la Bataille d'Angleterre.
Jan Zumbach ne rentrera pas en Pologne après la guerre. Il s'en explique : "Les nouvelles qui venaient de Pologne n'étaient pas encourageantes pour nous. Les différentes tendances politiques de la Résistance, de l'extrême-gauche à la droite, se combattaient, l'arme active ; dans les campagnes, on s'étripait furieusement, sous les yeux impavides du "libérateur" soviétique. (...) Ma mère venait de mourir. Notre domaine de Brobowo ne nous appartenait plus. Ma sœur s'était mariée et mes frères étaient rentrés en Suisse. Varsovie n'était plus qu'un amas de ruines et de misère".
Pour ses quelques camarades polonais de la Royal Air Force qui choisiront le retour au pays, l'accueil réservé par le nouveau régime communiste sera rude. "Au début, ils furent fêtés ; de nouvelles décorations s'ajoutèrent à celles qu'ils ramenaient d'Angleterre ; un an plus tard, ils étaient en prison, accusés d'être des agents britanniques".
C'est la douloureuse expérience que connaîtront Witold Urbanowicz et "Tolo" Lokuciewski (qui fut le dernier commandant du 303 Squadron avant sa disssolution en décembre 1946).
A leur libération, le premier décidera de s'enfuir aux Etats-Unis (il y décèdera le 17 août 1996, à l'âge de 88 ans), le second restera en Pologne et deviendra chauffeur de taxi.
Réhabilité dix ans plus tard, avec le dégel politique qui suivra la mort de Boleslaw Bierut, le "Staline polonais", Lokuciewski réintégrera les rangs de l'Armée de l'air de son pays. Il s'est éteint à Varsovie le 12 avril 1990, à 73 ans.
Parmi les vétérans polonais de la Bataille d'Angleterre, 36 resteront vivre en Grande-Bretagne. D'autres émigreront au Canada, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis, en Australie ou en Argentine.
Un ancien pilote du 303 Squadron, Zenon "Charly" Bartkowiak, choisira Auchel, dans le Pas-de-Calais. Il était arrivé au Royaume-Uni en même temps que ses glorieux compatriotes, en 1940, à l'âge de 19 ans. D'abord affecté à une escadrille de bombardiers, il n'intégra le 303 qu'en juin 1943. Le 22 mai 1944, son Spitfire fut abattu près de Camblain-Châtelain alors qu'il escortait des bombardiers. Recueilli et caché par des habitants du coin, il rencontra une jeune femme, Raymonde, qu'il reviendra épouser après la guerre. Il ouvrira ensuite un café.
Et Jan Zumbach dans tout ça ? Après son départ de la RAF, il prendra un passeport suisse et fraiera en eaux troubles : il créera une compagnie d'aviation privée pour se livrer à de la contrebande et du convoyage en tout genre d'individus interlopes, puis montera quelques affaires en France, dont une boîte de nuit à Paris, le Club de l'Etoile.
► Rendez-vous mercredi pour un nouvel épisode de cette série consacrée aux aviateurs de la Bataille d'Angleterre. Nous nous intéresserons aux turbulents débuts à Calais de l'aviateur allemand Hans-Joachim Marseille, enfant terrible et future légende de la Luftwaffe.
SOURCES
► Livres :
- Jan Zumbach, Mister Brown, Aventures dans le Ciel
- Robert Gretzyngier, Poles in Defence of Britain
- Arkady Fiedler, 303 Squadron
- Matthieu Comas, GC 1/55, la dernière garde gouvernementale
- John Frayne Turner, The Bader Wing
- Alfred Pryce, Battle of Britain Day, 15 september 1940
- Douglas Bader, Le Kaléidoscope dans Icare, Revue de l'Aviation Française - La Bataille d'Angleterre (tome I)
- John A.Kent, Un Canadien avec les Polonais dans Icare, Revue de l'Aviation Française - La Bataille d'Angleterre (tome I)
- Imperial War Museums
- Lista Krzystka
- PolishAirForce.net
- Battle of Britain London Monument
- Poland in Exile
- Musée Mémoire 39/45 Calais (Parc Saint-Pierre, Calais). Des pièces du Spitfire du pilote polonais Piotr Lauguna (302 puis 303 Squadron), abattu au-dessus de Coquelles, le 27 juin 1941, y sont conservées.
- La Coupole, Centre d'Histoire et Planétarium 3D (Helfaut, Wizernes)