80 ans de la Bataille d'Angleterre : quand les Nazis voulaient débarquer en Grande-Bretagne depuis le nord de la France

Juillet 1940, Seconde Guerre Mondiale. Alors que la Bataille d'Angleterre a déjà débuté dans le ciel entre Britanniques et Allemands, Hitler lance l'Opération Seelöwe, projet de débarquement sur les côtes anglaises, avec une importante flotte rassemblée à Boulogne, Calais et Dunkerque.

La Bataille d'Angleterre, plus grand affrontement aérien de l'Histoire, débute officiellement le 10 juillet 1940 lorsque la Luftwaffe  - l'aviation allemande commandée par le maréchal Hermann Göring - lance, depuis ses bases du Nord Pas-de-Calais, un premier raid d'envergure au-dessus de la Manche pour bombarder des convois de navires britanniques.

Après l'armistice signé par la France le 22 juin, le but est d'asphyxier la Grande-Bretagne, en désorganisant ses voies d'approvisionnement et son commerce, afin de la contraindre à déposer rapidement les armes.

Bien que les combats soient déjà engagés dans les airs, Adolf Hitler n'a pas encore de stratégie claire face à cet ennemi esseulé mais protégé par le Pas de Calais, ce petit détroit d'une trentaine de kilomètres qui sépare ses fameuses falaises blanches des rives du continent désormais occupées par les Nazis.
A Berlin, un point crucial reste en suspens : le Reich doit-il débarquer ses soldats et ses Panzers de l'autre côté de la Manche, sur les côtes anglaises ? 
   

Les hésitations allemandes

Autour du Führer, les avis divergent. Le Großadmiral Erich Raeder, commandant de la marine de guerre, n'est pas favorable à un débarquement. Il le répète encore à Hitler le 11 juillet 1940.
Son état-major avait planché sur la question depuis novembre 1939. Il avait estimé l'opération faisable mais extrêmement complexe à mettre en œuvre en raison de la météo imprévisible, des marées, de la configuration des côtes anglaises et de la nécessité de neutraliser - au préalable - l'aviation britannique, tout en tenant à distance la redoutable Royal Navy.

"La conscience de l'insuffisance de ses moyens pèsera lourdement sur lui", jugera, après la guerre, le général Erich von Manstein, l'homme qui avait imaginé le plan d'attaque sur la France et pour qui "l'invasion de l'Angleterre, si elle possédait des chances de réussir, constituait incontestablement la solution juste".
Du côté de la Heer (armée de terre), le succès-éclair de la campagne de France en mai/juin 1940 a fait tomber quelques réticences. "Nous étions convaincus du succès, sans nous dissimuler les dangers", dira von Manstein.

Le 30 juin 1940, Alfred Jodl, le chef des Opérations, a remis à Hitler un memorandum. "Si les moyens politiques ne réussissent pas, il nous faudra broyer par la force la volonté de résistance de l’Angleterre", y indiquait-il, proposant "trois possibilités : 1. Siège ; 2. Attaques terroristes contre les centres de population anglais ; 3. Débarquement de troupes".

"Un débarquement en Angleterre ne doit pas avoir comme objectif la conquête militaire de l'île, objectif qui peut être obtenu par la Luftwaffe et la marine allemande", estimait-il toutefois. "Son seul objectif doit être de porter le coup de grâce, si cela est nécessaire, à un pays dont l'économie de guerre est déjà paralysée et dont les forces aériennes ne sont plus capables d'agir".  
"La victoire finale sur l'Angleterre n'est qu'une question de temps", concluait Jodl.

Le 16 juillet 1940, suivant cet avis, Hitler diffuse sa Directive n°16 qui déclenche les préparatifs de l'Opération Seelöwe ("Lion de Mer" ou "Otarie" en français) : "Puisque l'Angleterre, en dépit d'une situation militaire désespérée, ne montre aucun signe de compréhension, j'ai décidé de préparer une opération de débarquement et, si besoin, de la mettre à exécution. Le but de cette opération sera d'éliminer toute possibilité que le territoire national anglais serve de base à la poursuite de la guerre contre l'Allemagne et, le cas échéant, de l'occuper entièrement".

Tout doit être prêt initialement pour la mi-août.

Le premier plan de débarquement

Dès le 17 juillet, un plan de base est déjà établi. Il suit principalement les vues de l'armée de terre qui souhaite opérer sur un large front afin de séparer les troupes britanniques.

Initialement, trois groupes d'assaut sont désignés en fonction de leur point d'embarquement principal : Cherbourg, Le Havre et Calais.

Celui de Calais intègre également une flotte stationnée à Boulogne-sur-Mer et Ostende en Belgique. Le port de Dunkerque - inutilisable après les bombardements destructeurs de la Luftwaffe pendant l'Opération Dynamo - ne figure pas dans ce premier plan.Le groupe de Cherbourg doit débarquer le plus à l'ouest, dans la baie de Lyme, entre Lyme Regis et Weymouth. Celui du Havre doit attaquer la baie de Brighton. Celui de Calais doit s'établir juste de l'autre côté du détroit, entre Hastings et Douvres, avec le soutien de parachutistes. 

Ce premier plan prévoit l’utilisation de 2028 navires (dont 980 barges) et la mobilisation de 26 régiments, dont 10 pour le seul groupe de Calais.
Le débarquement doit être réalisé en trois vagues successives : d'abord l'infanterie pour établir les têtes de pont, ensuite les forces mobiles (divisions blindées et infanterie motorisée), puis l'infanterie de réserve. 

Les Allemands ne disposent pas à l'été 1940 d'un matériel spécifiquement conçu pour cette opération dont l'ampleur est alors inédite pour une armée moderne. Ils doivent donc aménager des péniches à la va-vite pour en faire des barges de débarquement.

"On amena dans les ports des bateaux rhénans dont l'avant avait été coupé pour permettre le chargement et le déchargement de chars", décrit le général Alexander von Falkenhausen, qui vient d'être nommé gouverneur militaire de la Belgique et des deux départements occupés du Nord et du Pas-de-Calais.
La Werhmacht tente aussi d'adapter ses blindés pour des manœuvres amphibies.Vers la fin du mois de juin 1940, des premiers essais de Panzers submersibles ont été conduits en Allemagne.
Etanchéifiés, ces chars sont équipés de gros tubes reliés à des bouées pour permettre à la fois l'entrée d'air pour les équipages et la transmission des ondes radio. Les échappements sont dotés de clapets anti-retour.
Plongés avec succès à 7 mètres sous l'eau, ils parviennent à rouler sur le sable marin mais le moindre obstacle, le moindre arrêt, peut provoquer leur enlisement. Plusieurs incidents surviennent pendant ces tests, avec la mort notamment d'une personne, asphyxiée. 
Des Panzers amphibies, dotés de flotteurs et de propulseurs amovibles, sont également testés. Mais ces chars semblent particulièrement vulnérables dans cette configuration.

En août 1940, le Land-Wasser-Schlepper (LWS), un remorqueur chenillé véritablement conçu pour les opérations amphibies, est présenté à l'état-major allemand, mais il faudra attendre l'automne pour que trois prototypes soient mis à disposition des unités qui préparent le débarquement en Angleterre.
"Si les Allemands avaient disposé en 1940 de forces amphibies bien entraînées et dotées de tout le matériel indispensable aux opérations amphibies modernes, leur entreprise n'en aurait été pas moins désespérée, face à notre puissance navale et aérienne. Mais en l'occurrence, ils n'avaient ni les outils, ni l'entraînement nécessaires", ironisera le Premier ministre britannique, Winston Churchill, dans ses Mémoires de guerre.

Le plan de base de l'Opération Seelöwe ne plaît pas vraiment à la marine de guerre allemande. Dès les premiers échanges, le 1er juillet, entre le général Franz Halder, chef d'état-major adjoint de la Heer, et l'amiral Otto Schniewind, son homologue de la Kriegsmarine, des désaccords majeurs sont apparus.
Là où l'armée de terre souhaite un front élargi, la marine recommande le couloir le plus étroit possible afin d'être en mesure de le sécuriser et d'assurer rapidement plusieurs vagues de transport.

Ce couloir correspond en fait au détroit du pas de Calais, avec une zone de débarquement réduite, comprise entre Eastbourne et Folkestone.La Kriegsmarine estime qu'elle ne sera pas capable d'apporter un soutien logistique si des troupes doivent débarquer dans la baie de Lyme, dans le sud-ouest de l'Angleterre.

Mais le 7 août, toujours pas de compromis. Le général Halder oppose à son tour quelques objections, au nom de l'armée de terre.
Un débarquement entre Beachy Head, près d'Eastbourne, et Folkestone lui paraît compliqué, en raison de la nature parfois marécageuse du terrain.

Il suggère plutôt d'opérer de part et d'autre de ce secteur : la baie de Brighton, à l'ouest, et sur une zone côtière Deal-Ramsgate, à la pointe sud-est de l'Angleterre. Nouvelle opposition de la Kriegsmarine : la baie de Brighton est bien trop proche des bases de la Royal Navy à Portsmouth et les conditions de navigation n'y sont pas favorables ; quant au secteur Deal-Margate, il n'est accessible qu'en s'approchant des falaises de Douvres où les Britanniques installent pendant l'été de grosses batteries d'artillerie. 
Le général Halder tape du poing sur la table. "Je rejette fortement la proposition de la Marine pour un débarquement sur le front étroit Folkestone-Beachy Head et considère que ce serait un complet suicide pour l’Armée", insiste-t-il savoir.

Et pour bien se faire se faire comprendre, il emploie une métaphore toute germanique : "Ce serait comme mettre directement les troupes qui débarquent dans une machine à saucisses". 
La Heer et la Kriegsmarine ne parviendront à s'accorder que vers la fin du mois d'août. A ce moment-là, l'Opération Seelöwe est déjà mal engagée. L'Adlerangriff  ("attaque de l'aigle"), grande offensive aérienne lancée par la maréchal Göring à la mi-août, a tourné au fiasco (voir notre précédent article) et la Luftwaffe peine à imposer cette suprématie des airs, préalable indispensable au débarquement.
Cependant, début septembre, les avions allemands semblent reprendre l'avantage sur la Royal Air Force, affaiblie par les bombardements intensifs et répétés de ses aérodromes.

Les préparatifs à Boulogne, Calais et Dunkerque

Le 29 août, 34 barges d'entraînement sont déjà arrivées dans le port d'Ostende, en Belgique. Le lendemain, trois convois de vedettes motorisées et de chalutiers quittent le port allemand d'Emden, en Frise orientale : le n°506 se rend au Havre, les n°504 et 505 à Boulogne-sur-Mer, où un commandement de la Kriegsmarine s'est installé (il est situé sur la commune voisine de Wimille).Le 12 septembre, les mouvements s'intensifient : ce sont cette fois plusieurs centaines de barges, de péniches et de chalutiers qui convergent vers les principaux ports de la Manche et de la Mer du Nord, entre Le Havre et Rotterdam. 
Dunkerque figure désormais parmi les zones d'embarquement de l'Opération Seelöwe. Pendant l'été, les Allemands ont mobilisé 7000 hommes pour rendre son port de nouveau opérationnel.
"Mon secteur constituait le tremplin idéal pour un débarquement en Angleterre, avec les ports d'Anvers, Zeebruge, Ostende, Dunkerque, Calais, Boulogne", écrit le gouverneur militaire allemand von Falkenhausen. "La 16e armée se préparait dans la région, de Rotterdam à Abbeville (son QG avait quitté Tourcoing pour Guînes, près de Calais NDR), la 9e armée du Havre à Cherbourg. Les préparatifs techniques furent confiés à l'OT (Organisation Todt). (...) Un grand nombre de Belges furent requis pour le travail obligatoire. L'interdiction de construire, que je craignais, arriva et tous les matériaux furent réquisitionnés, principalement le ciment".   
A Dunkerque, les écluses Trystram et Guillain ont été réparées, une cartographie précise des 177 bateaux coulés en mai/juin 1940, a été établie, et quatre gros navires, sabordés par les Britanniques à la fin de l'Opération Dynamo, ont été en partie dégagés pour libérer l'entrée du port.
Le commandant allemand de la place, le capitaine Bartels, fait jouer de la musique dans des hauts-parleurs pour motiver ses hommes et accueillir les navires qui viennent jeter l'ancre.
Les quais du bassin Freycinet sont équipés de sept pontons en acier, spécifiquement fabriqués en Allemagne, pour permettre les embarquements (Boulogne et Calais en ont également reçu six chacun).

En plus des soldats, il faut aussi pouvoir charger des blindés, des camions, des voitures, des motos, des sidecars, des bicyclettes, des chevaux, des canons, des munitions, des vivres, du matériel de construction... bref, toute la logistique nécessaire à une campagne militaire.
Pour rejoindre les ports d'embarquement, la flotte acheminée par les Allemands ne longe pas seulement les côtes, elle emprunte aussi l'intérieur des terres via l'Escaut et les canaux qui relient Terneuzen (Pays-Bas) à Calais. La consigne est de ne pas hisser de pavillon. Les marins doivent naviguer en costume civil pour éveiller le moins possible les soupçons des Britanniques.

Peine perdue... "Nos photographies aériennes montraient quotidiennement ces mouvements avec précision", dira Churchill. "Il n'avait pas été possible de redéployer notre champ de mines au plus près des côtes françaises. Nous commençâmes immédiatement à faire attaquer les embarcations en transit par nos petites unités et l'activité du Bomber Command fut concentrée sur ce nouvel ensemble de ports d'invasion qui s'offrait à nous".
Dans la nuit du 8 septembre, un premier raid des bombardiers britanniques a tué 150 soldats allemands qui dormaient dans une école maternelle de Dunkerque. 10 civils ont également péri à Saint-Pol-sur-Mer. Entre le 8 septembre et le 10 octobre, les bombes anglaises vont faire 46 morts parmi les Dunkerquois et 45 blessés. 60 habitations seront détruites.

Dès le mois d'août, nous avions appris que les Anglais avaient lancé des tracts sur la côte, demandant à la population de s'éloigner, car ils seraient obligés de bombarder les ports où pouvait avoir lieu l'embarquement des troupes allemandes partant vers l'Angleterre.

Denise Delmas-Decreuse, institutrice à Bailleul.

"Chaque jour, nous voyions quelques personnes quitter Dunkerque pour se réfugier à Hazebrouck, Bailleul, Armentières ou Lille", écrit en octobre 1940 Denise Delmas-Decreuse, institutrice à Bailleul qui habitait auparavant dans la cité de Jean Bart. "Nous recevions des nouvelles de Monsieur et Madame Lasuye, installés dans notre maison : il y avait eu des victimes, des maisons avaient été démolies, en particulier une maison en face de la nôtre. Nous nous demandions si nous reverrions un jour nos meubles".

"Dès le mois d'août, nous avions appris que les Anglais avaient lancé des tracts sur la côte, demandant à la population de s'éloigner, car ils seraient obligés de bombarder les ports où pouvait avoir lieu l'embarquement des troupes allemandes partant vers l'Angleterre", indique également l'enseignante dans son journal.
A Calais, les bombardements britanniques tuent 49 civils et en blessent 46 entre septembre et octobre 1940.

Boulogne-sur-Mer est aussi la cible des raids nocturnes ordonnés par le Bomber Command. En seulement neuf jours, du 18 au 27 septembre, elle reçoit 143 tonnes de bombes. Selon un bilan dressé en novembre par le préfet du Pas-de-Calais, 800 immeubles ont été détruits, 2000 autres endommagés.
Les Britanniques estiment que ces bombardements de septembre 1940 ont permis de détruire, en deux semaines, 12,5% des barges de débarquement allemandes. "Ce fut une proportion suffisante pour persuader une Kriegsmarine hésitante qu'elle devrait disperser davantage ses navires", affirme Sebastian Cox, le directeur du Service historique de la Royal Air Force. 
Pendant les préparatifs de l'Opération Seelöwe, les raids britanniques ne sont pas qu'aériens : entre le 7 et le 14 septembre, des vedettes-torpilleurs (MTB), des croiseurs et des destroyers de la Royal Navy mènent des opérations nocturnes sur la Manche et la Mer du Nord et parviennent à couler quelques navires allemands dans les ports de Boulogne-sur-Mer, Dunkerque et Ostende.
Les Allemands effectuent des comptages réguliers de la flotte constituée pour le débarquement. Le 17 septembre 1940, leurs registres indiquent à Dunkerque :
  • 136 barges (sur 200 planifiées)
  • 3 remorqueurs (sur 75 requis)
  • 15 vedettes
  • aucun chalutier alors qu'il en faudrait 150
Le même jour, à Boulogne-sur-Mer, il y a  :
  • 236 barges (sur 330 planifiées)
  • 276 vedettes et chalutiers (sur 330 voulus)
  • 49 remorqueurs (sur 165 requis)
A Calais, les Allemands disposent de :
  • 202 barges (sur 250 planifiées)
  • 130 vedettes et chalutiers (sur 200 voulus)
  • 23 remorqueurs (sur 100 requis)   
Le port de Gravelines, de moindre dimension, a été réquisitionné à son tour pour désengorger Calais. A la même date, il rassemble :
  • 40 barges (objectif fixé atteint)
  • 7 remorqueurs (sur 20 requis)
  • aucun remorqueur-pousseur alors qu'il en faudrait 40 pour le jour "J"

Le plan définitif du débarquement 

Les Allemands ont arrêté le plan définitif de leur débarquement en Angleterre le 14 septembre 1940.C'est la flotte de transport E, positionnée en Normandie, qui doit effectuer les premiers mouvements.

L'état-major a calculé qu'il lui faudrait au moins 72 heures pour s'assembler face au Havre, car des embarcations doivent aussi converger depuis Caen, Rouen, Trouville et Fécamp.
Une avant-garde de 200 vedettes et chalutiers, accompagnés de 100 caboteurs, la précédera pour déposer au plus vite des troupes de choc sur la côte sud de l'Angleterre. 7000 à 8000 hommes, dotés d'un armement léger, auront pour mission de s'emparer d'un secteur compris entre Brighton et Beachy Head, là où se trouvent les fameuses falaises des Seven Sisters, à l'ouest d'Eastbourne.
La tâche s'annonce complexe : la base navale britannique de Portsmouth n'est pas loin et la 6.Gebirgs-Division (6e divison de montagne) devra débarquer au pied de ces falaises, dans la petite embouchure de Cuckmere Haven.
Ces soldats devront escalader au plus vite ces hauteurs pour y installer des canons.
Cette position stratégique surplombe à l'est, une seconde zone de débarquement, située entre Eastbourne et Bexhill-on-Sea. Elle a été attribuée à la flotte de transport D qui partira de Boulogne-sur-Mer..

L'assaut doit être mené par deux divisions d'infanterie commandées par le général Erich von Manstein. 
L'une des plages de débarquement est celle de Pevensey, où étaient déjà arrivés les chevaliers normands de Guillaume le Conquérant lors de leur conquête de l'Angleterre en 1066.
En Mer du Nord, la flotte de transport B doit commencer à se former peu de temps après celle du Havre. Le point de départ du premier convoi est Rotterdam aux Pays-Bas. 

Ce convoi recevra l'escorte de dragueurs de mines, à partir de Hoek van Holland, puis mettra le cap à l'ouest vers le pas de Calais. En chemin, il fera la jonction avec les barges et les embarcations parties de Zeebruges, Ostende et Dunkerque.

Leur zone de débarquement en Angleterre est un secteur côtier situé entre New Romney et Hythe, près de Folkestone.
Quatre régiments d'infanterie devront s'emparer de ce secteur stratégique qui donnera ensuite accès au port de Douvres.
Ils seront soutenus dans leur mission par deux régiments aéroportés. La mission de ces parachutistes sera de sécuriser les routes entre Folkestone et Canterbury. 
Une quatrième et dernière flotte de transport doit participer à ce débarquement en Angleterre : elle porte la lettre C et son premier convoi devra partir du port belge d'Anvers.

Escorté par des dragueurs de mines à partir de Flessingue, à l'embouchure de l'Escaut, il sera rejoint en chemin par les barges et les navires rassemblés à Gravelines et à Calais.

Leur cible : les plages situées entre Hastings et Camber.
Deux régiments de montagne devront s'emparer des hauteurs de Cliff End, derrière Hastings, pendant que deux régiments encercleront la ville de Rye. 

En tout, 138 000 hommes doivent débarquer sur les côtes anglaises lors des deux premiers jours de l'Opération Seelöwe.
Leur premier objectif sera d'établir une tête de pont derrière une ligne Brighton-Ashford-Deal, dans le sud-est de l'Angleterre, avant de progresser vers le nord, en direction de Londres.Le gros des divisions blindées arrivera lors de la deuxième vague. Le plan de l'Opération Seelöwe prévoit de recourir aux mêmes unités qui ont fait des ravages lors de la campagne de France, comme la 7e Panzerdivision du général Erwin Rommel.
Au total, ce sont entre 250 000 et 300 000 soldats allemands qui doivent participer à ce débarquement outre-Manche, transportés par plus de 3600 navires. La Luftwaffe - aux prises depuis deux mois avec la Royal Air Force - mobilisera ses bombardiers en piqué Stukas en soutien des troupes au sol.
Pour protéger les flottes de transport, sept grosses batteries d'artillerie ont été installées, dès l'été 1940, le long de la Côte d'Opale, entre Oye-Plage et le cap d'Alprech, près de Boulogne-sur-Mer. Leurs obus sont capables d'atteindre le territoire anglais, juste en face.
La Kriesgmarine doit également établir des barrières de mines, de part et d'autre du détroit du pas de Calais.

Par ailleurs, le contre-amiral Karl Dönitz a indiqué, le 6 août 1940, qu'une cinquantaine de ses sous-marins seraient disponibles pour l'Opération.
La marine allemande a aussi planifié d'importantes manœuvres de diversion, sous le nom de code Herbstreise ("voyage d'automne"). Des rassemblements de troupes sur la côte atlantique française et des déplacements de navires doivent laisser croire à un possible débarquement en Irlande, pour tenter d'éloigner les vaisseaux de la Royal Navy de la zone de débarquement.

D'autres leurres sont prévus en Mer du Nord, le long des rives orientales de la Grande-Bretagne. 

L'Opération Seelöwe n'aura pas lieu

Malgré toute cette préparation déjà bien avancée, Hitler décide, le 17 septembre 1940, de différer sine die l'Opération Seelöwe. Le 12 octobre, elle est officiellement reportée au printemps suivant. Elle n'aura en fait jamais lieu.

"Deux raisons - ou deux prétextes - conduisirent Hitler, dans l'essentiel, à abandonner le plan Seelöwe", résume le général von Manstein. "Premièrement, le fait que les préparatifs se prolongèrent tant, que le passage de la première vague ne pouvait être envisagé avant le 24 septembre, c'est-à-dire à un moment où (...) on n'avait plus l'assurance de disposer d'une période de beau temps assez longue pour poursuivre l'opération. La deuxième raison, la plus décisive, fut que la Luftwaffe n'était pas parvenue, à cette date, à obtenir la maîtrise aérienne désirable au-dessus de l'Angleterre"

S'il avait existé un "Plan de guerre", qui aurait dû étudier à l'avance la manière de vaincre l'Angleterre, une partie essentielle des préparatifs eussent pu être entrepris avant la fin de la campagne de France.

Erich von Manstein, général allemand

"Dès l'époque, il fut apparent qu'Hitler n'y avait pas mis tout son cœur", estime-t-il. "On observa, même aux échelons d'exécution, que le haut commandement n'imprimait pas aux préparatifs son impulsion habituellement si énergique. (...) S'il avait existé un "Plan de guerre", qui aurait dû étudier à l'avance la manière de vaincre l'Angleterre, une partie essentielle des préparatifs eussent pu être entrepris avant la fin de la campagne de France. S'il avait existé, Hitler n'aurait certainement pas pu avoir l'idée - quelles que fussent ses raisons - de laisser échapper le corps expéditionnaire britannique à Dunkerque".

Von Manstein fait ici référence à l'ordre du dictateur allemand de stopper l'avancée de ses chars le 24 mai 1940, dans le nord de la France, alors qu'ils étaient en mesure de couper le repli de l'armée britannique.
Pour le général allemand, stratège de la Blitzkrieg ("Guerre-éclair"), les hésitations puis le renoncement à envahir la Grande-Bretagne sont avant tout politiques. "Il ne peut exister aucun doute à ce sujet, Hitler a toujours désiré éviter une lutte contre l'Angleterre et l'empire britannique", juge von Manstein. "Il a affirmé assez souvent qu'il n'était pas dans l'intérêt du Reich de détruire cet empire. Il l'admirait comme réalisation politique. Même si l'on se refuse à accorder à ces déclarations une confiance sans réserve, un fait est certain : Hitler savait que si cet empire était détruit, l'héritier ne pouvait être ni lui, ni l'Allemagne, mais les Etats-Unis, le Japon ou l'Union soviétique".
L'Union soviétique obsèdait déjà Hitler lorsque la Bataille d'Angleterre a débuté. Les préparatifs de l'Opération Barbarossa - son plan d'invasion à l'Est - avaient été lancés dès le 21 juillet 1940 alors que son état-major planchait sur Seelöwe.

Les Allemands mettront d'ailleurs à profit le travail effectué sur ce projet de débarquement en Grande-Bretagne lorsqu'ils lanceront leur offensive contre l'URSS le 21 juin 1941. "Seelöwe permit aux unités blindées d'expérimenter les chars amphibies des types III et IV", notera le général Heinz Guderian. "Avant le 10 septembre, ces chars étaient prêts à intervenir, à l'école de tir des chars de Putlos en Holstein (nord de l'Allemagne NDR). Ils trouvèrent un emploi en 1941 en Russie pour le passage du Boug".

Si les préparatifs du débarquement outre-Manche sont suspendus le 12 octobre 1940, les péniches et les barges rassemblées dans les ports de la Manche et de la Mer du Nord ne sont pas immédiatement dispersées.
Le 13 septembre, bien qu'admettant que les conditions n'éraient pas réunies pour mener à bien l'Opération Seelöwe, le Großadmiral Erich Raeder, chef de la marine de guerre, recommandait de ne surtout pas l'annuler. "Les Britanniques doivent se sentir en insécurité", plaidait-il.

Ainsi, le 8 novembre 1940, les Allemands compteront encore 603 navires à Boulogne-sur-Mer, 465 à Calais, 242 à Dunkerque et 46 à Gravelines. Ce sera le dernier recensement connu de l'Opération Seelöwe.  
Mais les Britanniques ne seront pas dupes. Dès la fin septembre, leurs services de renseignement interceptent et décodent des messages mentionnant l'arrêt des préparatifs. Un soulagement pour le Premier ministre, Winston Churchill, qui prenait la menace d'un débarquement nazi très au sérieux.

"Mon principal sujet de crainte était de voir débarquer des chars ennemis", écrira-t-il dans ses Memoires de guerre. "Nous n'avions pratiquement pas de canons, ni de munitions antichars. On mesura la situation désespérée à laquelle nous étions réduits face à ca danger d'après l'incident suivant. Je visitais un jour nos plages de la baie de Saint Margaret's, près de Douvres. Le général m'informa qu'il n'avait dans sa brigade que trois canons antichars pour couvrir les six à huit kilomètres de cette côte extrêmement menacée".
Si l'essentiel des troupes du Corps expéditionnaire a pu être rapatrié lors de l'évacuation de Dunkerque en mai/juin 1940, l'armée britannique avait dû abandonner en France beaucoup de matériel. En juillet, elle ne disposait ainsi que de 200 chars pour défendre l'ensemble de son territoire.
"Il fallait organiser et déployer notre armée régulière reconstituée et les formations territoriales, plus nombreuses mais moins bien instruites, afin de créer un système de défense perfectionné, et de nous tenir prêts à détruire l'envahisseur s'il se montrait", commentera Churchill.

De part et d'autre, c'était la victoire ou la mort.

Winston Churchill, Premier ministre britannique

Le Premier ministre britannique comptait s'appuyer notamment sur la Home Guard, une milice paramilitaire créée en mai 1940 pour contrer une éventuelle invasion. Il s'agissait de volontaires qui, en raison de leur âge, n'étaient pas ou plus aptes à servir dans l'armée, ce qui leur valut le surnom de Dad's Army ("l'armée de papa"). On y trouvait notamment des vétérans de la Première guerre mondiale.
En juin 1940, Tom Wintringham, ancien membre des Brigades Internationales pendant la Guerre d'Espagne, ouvrit un camp d'entraînement "officieux" à Osterley Park, un très chic domaine de l'ouest de Londres, pour former les Home Guards aux techniques de la guerilla : préparation de cocktails Molotov et de grenades artisanales, camouflage, tactiques anti-chars, combats de rue...    
La Home Guard comptera plus d'un million de membres pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle était pleinement intégrée au plan de défense présenté à Churchill le 25 juin par le général Edmund Ironside, commandant en chef des forces intérieures.
"En première ligne, une "carapace" retranchée sur les plages d'invasion probable de notre littoral, dont les défenseurs devaient résister sur place, soutenus par des réserves mobiles destinées à la contre-attaque immédiate", détaille le Premier ministre."En second lieu, une ligne d'obstacles antichars, tenues par les éléments de la Home Guard, tout le long du centre-est de l'Angleterre, protégeant Londres et les grands centres industriels des incursions des véhicules blindés ; enfin, derrière cette ligne, les réserves principales massées en vue de contre-offensives de grande envergure".
"Toute formation attaquée devait tenir bon, non pas en ligne, mais en hérisson, tandis que d'autres unités feraient rapidement mouvement pour détruire les assaillants venus de la mer ou du ciel", poursuit Churchill. "Les hommes coupés de tout secours immédiat ne devaient pas se contenter de tenir sur place ; des mesures actives étaient prévues afin de harceler l'ennemi sur ses arrières, de désorganiser ses communications et de détruire son matériel - ainsi que les Russes devaient le faire avec d'excellents résultats, un an plus tard, lorsque la marée allemande déferla sur leur pays".
Le Royaume-Uni était déterminé à user de tous les moyens pour repousser l'ennemi, y compris les armes chimiques. 1495 tonnes de gaz moutarde avaient été ainsi stockés en 1940. "De part et d'autre, c'était la victoire ou la mort", résumera Churchill.
Finalement, les seuls Allemands que les Britanniques verront sur leur territoire, pendant la Seconde Guerre Mondiale, seront des aviateurs abattus et quelques espions. Avec parfois quelques anecdotes étonnantes...

Dans la nuit du 3 septembre 1940, pendant les préparatifs de Seelöwe, deux hommes, José Waldberg et Carl Meier, quittent Boulogne-sur-mer à bord d'un petit voilier en direction du cap Gris-Nez. Là, ils sont remorqués par un dragueur de mines allemand qui les aide à traverser la Manche. Au petit matin, ils accostent discrètement, à bord d'un petit canot pneumatique, sur une plage du cap de Dungeness, dans le sud-est de l'Angleterre.Leur mission est de collecter des renseignements en vue du débarquement, mais elle tourne court.

A peine arrivé, Meier est vite reperé par les Britanniques dans un pub du village de Lydd : il avait fait l'erreur de commander une pinte de cidre, alors que la vente d'alcool en Angleterre est interdite le matin.
Dénoncé par la patronne de l'établissement, une certaine Mrs Cole, il est arrêté, tout comme le sera son camarade le lendemain, le long d'une voie ferrée.

Les deux hommes seront fusillés le 10 décembre 1940.

Rendez-vous demain pour un nouvel épisode de cette série consacrée aux 80 ans de la Bataille d'Angleterre. Nous irons sur les traces des pilotes de la Royal Air Force abattus pendant cette bataille et inhumés dans le Pas-de-Calais.
 
SOURCES

► Livres :
  • Peter Schenk Operation Sealion - The Invasion of England 1940
  • François Bedarida La Bataille d'Angleterre
  • Erich von Manstein Mémoires
  • Alexander von Falkenhausen Mémoires d’Outre-Guerre
  • Winston Churchill Mémoires de guerre
  • Denise Delmas-Decreuse Journal de guerre d'une institutrice du Nord 1939-1945
  • Heinz Guderian, Souvernirs d'un soldat
  • Andrew Knapp Les Français sous les bombes alliées, 1940-1945
  • Jean-Pierre Azéma 1940, l'année noire : de la débandade au trauma
  • Serge Blanckaert, Dunkerque 1939-1945
  • Alain Lottin (sous la direction) Histoire de Boulogne-sur-Mer, ville d'art et d'histoire
  • Richard NorthThe Many Not The Few: The Stolen History of the Battle of Britain
  • Geoff Hewitt Hitler's Armada : The Royal Navy and the Defence of Great Britain April-October 1940
  • Yves Le Maner (sous la direction), Sebastian Cox Tombés du Ciel : les aviateurs abattus au-dessus du Nord Pas-de-Calais (1940-1944)
  • Joshua Levine Operation Fortitude, The Story of the Spies and the Spy Operation that saved D-Day
Articles : ► Site internet :
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