Une enquête sur un achat d'armes, une garde à vue, et plus rien jusqu'au 22 mars : Khalid El-Bakraoui, kamikaze du métro de Bruxelles et logisticien des attentats de Paris, avait été interpellé trois semaines avant le 13 novembre avant d'être relâché et de disparaître des radars.
Tout commence à l'été 2015. Deux hommes sont repérés après avoir acheté quatorze chargeurs vides de kalachnikov dans une armurerie d'une ville wallonne. Filatures, écoutes: rapidement, l'enquête s'intéresse à Khalid El-Bakraoui, 26 ans, un braqueur en liberté conditionnelle depuis janvier 2014, en contact téléphonique "quasi quotidien" avec l'un des suspects, explique une source proche de l'enquête, confirmant une information du Parisien.Le Belge est interpellé, son appartement perquisitionné. Un brouilleur et un détecteur d'ondes, qui sert à repérer les appareils placés sur écoute, sont retrouvés à son domicile tandis que l'exploitation de son ordinateur révèle de nombreux chants et vidéos à la gloire du jihad, selon la source. Les écoutes téléphoniques mettent en lumière de mystérieux échanges entre El-Bakraoui et l'un des suspects où il est question de chats "avec des longs poils", "de races spéciales". Un code, pour les enquêteurs, visant à dissimuler un trafic d'armes. Placé en garde à vue le 21 octobre, El-Bakraoui nie en bloc, assurant n'avoir "rien à voir dans l'achat de ces chargeurs", avoir voulu vendre "un lot d'électroménager" et se débarrasser d'un chat car sa femme est enceinte. Faute de preuves, il est relâché.
"Dysfonctionnement majeur"
"C'est un dysfonctionnement majeur pas seulement des Belges, mais des services européens dans leur ensemble", dénonce Me Olivier Morice, qui représente une trentaine de parties civiles dans les attentats de Paris. Pour Philippe Stepniewski, autre avocat de victimes, "le raté vient des services de renseignement qui n'ont pas donné à l'époque à la justice les éléments permettant d'évaluer à sa juste valeur sa dangerosité". Sollicité, le parquet fédéral belge n'a pas souhaité faire de commentaires.Les enquêteurs ignorent que quelques semaines avant sa garde à vue l'homme a loué, sous un faux nom, un appartement à Charleroi qui accueillera Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des attentats du 13 novembre, et Bilal Hadfi, l'un des kamikazes de Saint-Denis. Proche de Mohamed Bakkali, autre logisticien de la cellule jihadiste, incarcéré en Belgique et dont la France a récemment demandé la remise, El-Bakraoui loue aussi, encore sous une fausse identité, un appartement dans la commune bruxelloise de Forest, où se cachera pendant sa cavale Salah Abdeslam, seul membre du commando parisien encore en vie.
Disparu des radars
"Tous les préparatifs pour les raids de Paris et de Bruxelles ont commencé avec lui et son frère aîné Ibrahim (kamikaze à l'aéroport de Bruxelles, ndlr). Ils ont acheté des armes, cherché des logements et fomenté des plans", écrit en avril le groupe Etat islamique (EI), qui a revendiqué les attaques, dans son magazine en ligne Dabiq. Quelques semaines après les tueries du 13 novembre, les policiers belges découvrent l'identité du faux bailleur de Charleroi, mais celui-ci a disparu des radars. Sa femme, entendue début décembre, dit ne plus l'avoir revu depuis trois semaines.Rétrospectivement, ses voyages en Europe intriguent les enquêteurs. Le 23 juillet, il s'envole de Bruxelles à destination de Venise. Puis, le lendemain, il prend un aller simple pour Athènes. De là, le 26 juillet, il embarque sur un vol en direction de Düsseldorf. La téléphonie met en lumière de nombreux échanges avec un mystérieux numéro marocain entre le 9 et le 13 novembre qui cessent le soir des attaques. El-Bakraoui a aussi été en liaison avec plusieurs numéros turcs utilisés dans le cadre des filières jihadistes en Syrie, selon la source proche de l'enquête. Malgré ces avancées, El-Bakraoui reste introuvable... jusqu'au matin du 22 mars quand il se fait exploser dans le métro de Bruxelles, tuant seize personnes.