Seconde Guerre mondiale : retour sur la bataille d'Abbeville, du 27 mai au 4 juin 1940

À l'occasion du 80ème anniversaire de la bataille d'Abbeville, notre journaliste Dominique Patinec revient sur cet événement de la Seconde Guerre mondiale. Alors que les combats font rage à Dunkerque, dans le même temps, les troupes franco-britanniques affrontent les Allemands à Abbeville.

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C'est une bataille méconnue, occultée par la tragédie qui se jouait dans le même temps à Dunkerque. Du 27 mai au 4 juin 1940, Français et Britanniques combattirent à Abbeville. Une contre-attaque dans laquelle près de 500 chars furent engagés. Des blindés stoppés par l'infanterie et l’artillerie allemande. L'essentiel du combat fut mené par la quatrième division cuirassée, dirigée par le général de Gaulle.
 
La conquête de la France a été extrêmement rapide depuis la percée des Ardennes. Les troupes du général Guderian sont parvenues jusqu'à la mer, enfermant les troupes alliées du nord dans une nasse. En Picardie, les Allemands ont atteint la Somme, établissant plusieurs têtes de pont au-delà du fleuve. La Somme, c'est justement là que le nouveau général en chef français, Maxime Weygand, veut bâtir sa ligne de défense : il faut rejeter l'ennemi au-delà du fleuve.  

Les Anglais massacrés

 
Quand la bataille débute, le 27 mai, les Allemands sont privés de chars et d'avions ! Les Panzers et les Stukas sont partis plus au nord pour détruire la poche de Dunkerque. L'infanterie et l'artillerie devront se débrouiller. Face à elle, des troupes franco-britanniques. À l'époque officier de liaison, le futur Compagnon de la Libération Pierre Julitte décrit les officiers qu'il a côtoyés. Ils ont passé la Manche munis de tout le nécessaire : raquettes, club de golf, argenterie. Le colonel honoraire d'un de ces régiments, le Queen's Bays, n'est autre que la reine mère ! Le lieutenant français raconte le courage à toute épreuve manifesté par les Anglais alors qu'ils se font massacrer : leurs tanks légers sont décimés par les canons antichars manœuvrés par l'infanterie allemande, soigneusement cachés dans ce paysage de talus et de vergers. 120 blindés sur 180 sont détruits ou tombent en panne.

L'entrée en scène de De Gaulle

 
Les Britanniques hors de combat, place à une nouvelle unité : la quatrième division cuirassée, commandée par un général dont les galons viennent de lui être attribués à titre temporaire, Charles de Gaulle. Dans ses mémoires de guerre, il décrit son unité, venue à marche forcée de l'Aisne : "On peut dire que, depuis sa naissance dans les champs de Montcornet, elle n'a pas cessé  de combattre ou de marcher. L'état des chars s'en ressent. Il en est resté une trentaine sur l'itinéraire." La 4ème D.C.R. a effectivement été montée à la hâte, des soldats chevronnés y côtoient des néophytes ; ils n'ont jamais manœuvré ensemble. Un exemple révélateur de cette impréparation : des écussons sont distribués aux hommes du 46ème bataillon peu avant l'assaut. Ils doivent les fixer sur leurs vestes de cuir afin d'arborer une tenue règlementaire. Sinon, les éventuels prisonniers pourraient être considérés comme des francs-tireurs et fusillés.
 

"Une pagaille noire "


L'assaut est lancé le 28 mai, à 17 heures. Les blindés parviennent à grand peine sur place. Ils n’auront pas le temps de mener une reconnaissance. Cependant, les Français disposent d’un atout, le char lourd B1 Bis, quasi invulnérable face aux canons légers manœuvrés par les Allemands. Seule faiblesse, les chenilles. 29 de ces machines sont déployées. S’y ajoutent 57 chars de cavalerie, du moins en théorie. Car les trois-quarts de ces engins vont s’égarer. Les Français n’ont ni carte ni liaison radio, ils manoeuvrent à l’aveuglette dans un dédale de taillis.
 


Voici ce que raconte le lieutenant Vadon, chef du char Vercingétorix :  "J'ai surtout le souvenir d'une pagaille noire. Les combats d'Abbeville, qui ont duré cinq jours pour moi, sont passés comme un mauvais rêve : ordres et contrordres continuels, actions désordonnées, coups de boutoir sur des pièces antichars ou des nids de mitrailleuses."
 
Les Français avancent laborieusement, mais gagnent quand même du terrain. Les fantassins allemands sont terrifiés par ces machines qui encaissent leurs tirs sans broncher. L'un d'entre eux décrit les obus qui rebondissent sur le blindage "comme des balles de tennis". Les canons PaK-36 sont inefficaces, le salut viendra de pièces de DCA. En temps normal, ces canons combattent l'aviation, mais une des ces unités est déployée face aux chars. Baptisées "Anton", "Bertha", "César" et "Dora", ces batteries changent la face de la bataille. Leurs projectiles perforent les protections les plus épaisses. Leur intervention permet d'endiguer l'avancée française.  De Gaulle et ses troupes ont tout de même repris plusieurs villages, dont Huppy.
 

 
 

 
Suspendu par la nuit, l'assaut reprend dès 4 heures, le lendemain. De Gaulle compte sur 107 chars : seuls 57 participeront au combat. Machines en panne ou égarées, le général fulmine face à un officier dépassé : "Capitaine, si vous revenez vivant de cette attaque, je vous ferai fusiller à votre retour !"

Les premières heures sont prometteuses : "Dora", le canon de DCA, est détruit. Son compagnon "César" s'enfuit. Les chars lourds s'attaquent alors à un immense obstacle : le mont de Caubert, où les Allemands ont installé d'autres canons antiaériens. Les Français s'élancent, leurs efforts sont désordonnés, les pertes s'accumulent. Les tirs directs d'"Anton" et "Bertha"sont redoutables. Mais les Allemands souffrent eux aussi. Plusieurs centaines de fantassins se sacrifient en chargeant les blindés en terrain découvert : ils sont fauchés par les mitrailleuses.
 

 

"Un air de victoire"


Plus loin, la panique gagne les rangs : des unités cèdent et refluent vers Abbeville. Certains Français s'en rendent compte, mais l'information ne parviendra pas jusqu'à de Gaulle. Le général ne profitera pas de la débandade ennemie. Parfum enivrant, pourtant le soir, au château d'Huppy. De Gaulle et ses officiers dînent. Une oriflamme nazie frappée de la croix gammée tient lieu de nappe. De Gaulle dans ses mémoires : "Nos chars sont très éprouvés. Une centaine, à peine, est encore en état de marche. Mais, pourtant, un air de victoire plane sur le champs des combats. Chacun tient la tête haute. Les blessés ont le sourire. Les canons tirent allègrement. Devant nous, dans une bataille rangée, les Allemands ont reculé."
 
On retrouve la même espérance dans le témoignage du lieutenant Kressman, interrogé par l'ORTF, en 1974, il évoque son euphorie d'alors : "On a gagné ce bois, et on encore gagné l'autre derrière, et nous partions pour Berlin !"
 

La fatigue gagne les Français


Le succès du jour est un trompe-l'œil. La division est usée, ses efforts sont mal coordonnés. Cité dans l'excellent livre d'Henri de Wailly, De Gaulle sous le casque, voici le commentaire implacable du capitaine Viard, membre de l'état-major de la division : "La radio a été un zéro total. Toutes les liaisons avaient lieu , comme sous l'Empire, par estafette." Autre récit amer et lucide du capitaine Nérot : "Notre infanterie ne suit pas. Où est-elle ? Les unités que je vois, à bout de fatigue et de nerfs, se terrent à la moindre salve, souvent tirée par les nôtres."

Et pourtant, ils remettent ça, le 30 mai. Regroupés et rassérénés par leurs officiers, les fantassins allemands ont réinvesti le terrain, les canons de DCA déciment une nouvelle fois les chars français. La partie est jouée. De Gaulle dans ses mémoires : "Dans mon cantonnement de Picardie, je ne me fais pas d'illusions. Mais j'entends garder l'espérance." La 4ème D.C.R est relevée par d'autres troupes, françaises et écossaises, qui échoueront elles aussi, malgré leurs 150 blindés.
 
 

Le départ de De Gaulle

 
De Gaulle, lui, s'apprête à entrer  au gouvernement. Dernier salut à ses hommes envoyés  au repos, à Roy-Boissy, dans l'Oise. Revue des troupes dans son style inimitable, raconté par le lieutenant Kressman :

"Où est votre char ?"
"Il a été brûlé, mon général.  J'ai reçu deux coups de 105."
"Eh bien, Il fallait éteindre !"
"J'ai éteint, mon général mais ils m'ont repoivré !"
"Il fallait éteindre une deuxième fois. Je n'ai pas besoin d'hommes sans matériel, moi. Il me faudrait du matériel sans hommes !"
 
Autre témoignage, l'officier Louis François , à ses côtés dans la bataille : "Nous l'admirions beaucoup ! C'était un homme d'un courage extraordinaire. Il suffisait que ça aille mal dans un coin pour qu'il s'y rende, redonner l'espoir et la confiance aux hommes. Mais nous ne l'aimions pas parce qu'il était extrêmement distant. Il y avait lui et puis les autres. Mais nous l'admirions infiniment. Ses ordres étaient clairs et parfaitement opportuns."

L'Histoire se répète

 
Des ordres opportuns ? Dans son étude consacrée à la bataille d'Abbeville, Henry de Wailly dresse un parallèle frappant. En 1940, De Gaulle et ses blindés ont manifesté la même obstination que les chevaliers français pendant la Guerre de Cent Ans. En 1346, à Crécy, les archers anglais ont décimé la fine fleur de l'aristocratie, montée sur des chevaux caparaçonnés. Les Français ont chargé sans discernement. Même scénario six siècles plus tard : les fantassins et les canons allemands ont mis en échec des chars puissamment armés mais trop dispersés. "Le commandement d'une division blindée ne s'improvise pas ; de judicieuses idées sur l'emploi des unités ne suffisent pas, il faut une certaine pratique." Ce commentaire est signé d'un subordonné de De Gaulle, le lieutenant-colonel Sudre.
 
Refaire l'histoire est bien sûr chose aisée. En 1940, De Gaulle a osé, et contre-attaqué, en pleine débandade, avec une unité bâtie à la hâte. Il s'est rendu au plus près du combat, puis il a poursuivi la lutte au gouvernement et enfin à Londres, imposant la France dans le camp des vainqueurs. De retour à Huppy, en 1949, entouré par ses anciens camarades, il dit "c'est de ces événements-là qu'est partie une autre histoire, qui fut la lente, longue et dure histoire de notre redressement militaire."

 
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