En mai prochain, la station Météo France d'Abbeville perdra l'un de ses deux derniers prévisionnistes. Jean-Michel Meunier partira à la retraite après 40 ans à regarder les nuages et à prévoir le temps qu'il fera. Quatre décennies durant lesquelles son métier s'est considérablement transformé.
Pluviomètre manuel, thermomètre et baromètre. Jean-Michel Meunier est fier de nous montrer ces instruments d'un autre temps, installés depuis des décennies sur la pelouse de la station d'Abbeville. Prévisionniste à Météo France, il se plaît à les dépoussiérer. Un geste plus symbolique qu'utile. En plus de 40 ans de carrière, il a vu le métier bien changer.
Prévisionniste, longtemps un métier de terrain
"À l'époque du pluviomètre manuel, quand il pleuvait, la pluie était recueillie dans le seau avec une échelle graduée. On venait lire la quantité de pluie. On vidait. On reposait et trois heures plus tard, s'l avait plu, on revenait à nouveau faire les relevés. Et le matin, c'était les pluies de toute la nuit, raconte Jean-Michel Meunier. Maintenant, plus rien. C'est un pluviomètre automatique. Il a un avantage : s'il n'y a personne, la mesure existe et en plus de la quantité, il mesure l'intensité. Ce qui n'était pas possible avec le pluviomètre manuel. Il n'est plus là que pour l'histoire !"
"Jusque dans les années 90, il y avait ici un métier qui a complètement disparu, c'est le métier d'observateur. Il passait son temps à regarder par les fenêtres les nuages, leur altitude, la pluie, son intensité et consigner ça dans un cahier. (...) C'est pour ça qu'il y a beaucoup de fenêtres ici ! Il fallait pouvoir regarder au nord, au sud, à l'est et à l'ouest."
Jean-Michel Meunier, prévisionniste à Météo France
Jean-Michel est en poste à la station d’Abbeville depuis maintenant seize ans. Il a vu les effectifs fondre comme neige au soleil, passant d'une dizaine de personnes à deux aujourd'hui.
De plus en plus de bulletins météo à fournir
Il a vu aussi les métiers propres à la météorologie disparaître. "Jusque dans les années 90, il y avait ici un métier qui a complètement disparu, c'est le métier d'observateur. La détermination des nuages, de leur quantité, de leur altitude, c'était fait humainement. (…) La personne qui tenait ce poste dans la journée passait son temps à regarder par les fenêtres les nuages, leur altitude et consigner ça dans un cahier. La visibilité aussi, l'intensité des pluies. Et les jours de mauvais temps, c'était un travail sans discontinuer. (...) C'est pour ça qu'il y a beaucoup de fenêtres ici ! Parce qu'il fallait pouvoir regarder au nord, au sud, à l'est et à l'ouest."
On est capable de faire une prévision tout seul. Mais ce n’est plus le travail demandé aujourd’hui. Si on devait faire 70 bulletins quotidiens seul, on n’y arriverait pas. Donc il faut une automatisation. Et nous, on passe derrière en tant qu’experts pour vérifier que le texte est conforme à la prévision.
Jean-Michel Meunier, prévisionniste à Météo France
Aujourd'hui, tout est informatisé. Plus besoin de faire de relevés. Les données sont disponibles en temps réel grâce à internet et aux satellites. Désormais, le son du clavier rythme les journées de Jean-Michel. "On est capable de faire une prévision tout seul. Mais ce n'est plus le travail demandé aujourd'hui. Si on devait faire 70 bulletins quotidiens seul, on n’y arriverait pas. Donc il faut une automatisation. Et nous, on passe derrière en tant qu'experts pour vérifier que le texte est conforme à la prévision. Et cela plus qu'il y a 20 ou 30 ans. Il y a 20 ans ou 30 ans, le nombre de clients qui voulaient des bulletins météo était faible. Aujourd’hui, notre société est très sensible à la météorologie. Par exemple, les transports routiers. Et donc le nombre de bulletins rédigés est plus grand. La majorité, on ne les voit même pas : ils sont 100 % automatisés. Mais dans des situations ou des secteurs plus sensibles, les bulletins passent par l’analyse et la correction humaines."
Témoin privilégié du changement climatique
Pendant ses journées, le prévisionniste fait des graphiques ou encore le traditionnel bulletin météo diffusé sur France 3. Un travail davantage de bureautique que de terrain. Et ce n'est pas uniquement sa façon de travailler que Jean-Michel a vu se transformer en 40 ans de carrière. Il est malheureusement un témoin privilégié du changement climatique. "On le constate à titre personnel : les brouillards sont moins fréquents aujourd'hui qu'il y a 50 ans, le nombre de jours de gel l'hiver est plus faible et les fortes gelées n'existent plus. À titre professionnel, on le voit aussi : les prévisions sont plus chaudes en été que ce qu'elles étaient avant et elles sont moins froides en hiver. Aujourd'hui, on va faire des bulletins sur des périodes de grand froid en citant des -5°C, des -8°C. Il y a 30 ou 40 ans, les grands froids, c’était -10°C ou -15°C. Et pareil pour les températures élevées : Abbeville a déjà franchi trois ou quatre fois la barre des 40°C en été alors qu'avant, les records étaient aux alentours de 35 - 37°C".
"Prévisionniste un jour, prévisionniste toujours"
En mai 2024, Jean-Michel partira à la retraite. Mais celui qui est capable de déterminer l'altitude d'un nuage rien qu'en levant les yeux ou la température extérieure au simple ressenti sur sa peau n'oubliera pas la météorologie.
"Quand on sort, on a toujours les nuages au-dessus de la tête. On est toujours dans notre environnement de travail, qu'on soit le samedi, qu'on soit le dimanche, qu'on soit en service, qu'on soit en vacances. On a toujours le ciel au-dessus de notre tête. On est toujours environné de notre instrument de travail. Même à la retraite, la météo restera une occupation de tous les jours. On regarde le ciel comme un chasseur de champignons regarde à terre dans la campagne s'il ne voit pas des champignons."
Après son départ, il ne restera plus qu'un seul prévisionniste à Abbeville. La quasi-totalité des techniciens du nord de la France est désormais regroupée à Villeneuve-d'Ascq.
Avec Mary Sohier / FTV