Douze élèves et deux professeurs de la Cité scolaire d'Amiens ont été invités à Omaha beach à la cérémonie internationale de commémoration des 80 ans du Débarquement. L'aboutissement de leur projet pédagogique autour des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale et de la Libération des résidents d'un Ehpad.
"Dès qu’on arrivait avec le bus, on s’est retrouvés face à la mer. Et ça a été tout de suite très émouvant. Il y a des bateaux, des militaires, plein de gens. On voit tellement de choses d’un coup. Et puis c’est la première fois que je viens sur les plages du Débarquement. Donc depuis tout à l’heure, j’ai une petite larme qui ne va pas tarder à tomber, je pense !", lâche Mickaela dans un rire un peu nerveux qui ne cache pourtant pas son émotion.
À l’origine, un projet pédagogique
Depuis la fin de la matinée, cette étudiante post-bac en diplôme national Métiers d'art et de design (DN Mad) au lycée Edouard Branly d'Amiens est à Saint-Laurent-sur-Mer, en Normandie. À Omaha beach. Assise dans une tribune où elle va assister avec onze autres élèves à la cérémonie internationale de commémoration du 80e anniversaire du Débarquement. En présence d'une trentaine de chefs d'États et de gouvernements dont Emmanuel Macron et Joe Biden. Mais surtout des derniers vétérans.
Et c'est justement la parole des derniers témoins de la Seconde Guerre mondiale et la Libération qui les a conduits là. L'aboutissement d'un projet pédagogique pour ces six élèves en bac pro Accompagnement soins et services à la personne (ASSP), ces six étudiants en DN Mad et deux de leurs professeurs de la Cité scolaire d'Amiens.
À l’origine de tout, des photos de la reconstruction d'Amiens prises en 1952 par Henri Salesse, photographe au ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Louis Teyssedou, professeur d'histoire au lycée Edouard Gand, met la main sur ces clichés. Il voit là l'occasion "d'enseigner un peu différemment la Seconde Guerre mondiale et la Libération. Mes élèves de seconde bac pro ont cette période au programme. Et les élèves d’ASSP travaillent avec les personnes âgées à partir de la classe de première. Donc l’idée, c’était de prendre les photos, les élèves, aller dans l’Ehpad Les jardins d’Henriville qui est en face de la cité scolaire et de montrer ces photos aux anciens et aux anciennes pour qu’ils nous racontent leurs souvenirs de la reconstruction."
Mais rapidement, le projet initial prend une autre trajectoire : "sur la mémoire de la reconstruction, les anciens parlent très rapidement de la guerre, explique Louis Teyssedou. On leur montrait des photos du début des années 50 et eux, tout de suite, c'était les Allemands, la guerre, la Libération. Donc le projet a en fait un peu dévié du point de départ".
Apprendre l'Histoire grâce aux petites histoires
Pendant presque la totalité de l'année scolaire, les élèves de seconde ASSP ont travaillé sur ce projet intitulé Reconstruction Amiens 1945-1955. "Quand Mr Teyssedou nous a proposé le projet, j’ai bien aimé l’idée, raconte Rose, 16 ans, en Première ASSP. Donc je me suis investie. Je trouve que c’était une super bonne idée de faire ça. Dans ma famille, on ne parle pas de tout ça. Du coup, quand j’ai appris ce qu’on allait faire, j’ai posé des questions à mes grands-parents. Mais ils ne m’en ont pas dit beaucoup parce qu’ils ne sont pas restés à Amiens pendant la guerre."
Pendant un mois, deux heures par semaine, elles ont écouté les résidents de la maison de retraite leur raconter leur histoire dans l'Histoire. Puis il a fallu retranscrire des heures d'enregistrement audio et sélectionner les souvenirs les plus marquants.
Dès le départ, Louis Teyssedou avait l'idée de faire un livre de cette expérience. Un livre auquel vont être associés les étudiants post-bac en DN Mad option patrimoine à Edouard Branly. "Ça avait du sens avec leur cursus : les photos sont dingues, les témoignages sont dingues. Et on a su qu'on pourrait imprimer le livre grâce au financement du rectorat, avec leur professeur d'art et de design, Philippe Merlot, on s’est lancés."
Un livre illustré et une exposition
Les DN Mad sont intervenus pour finaliser le projet : ils ont travaillé sur la conception graphique du livre, sur la couverture et sur sa mise en page avec les illustrations du dessinateur amiénois David François (coloriste sur la BD La guerre des Lulus). "On a vraiment apprécié le sujet parce que ça change de ce qu’on a l’habitude de faire, avoue Mickaela. J’ai été vraiment contente de pouvoir travailler sur ça. Ce que j’ai préféré dans cette conception graphique, c’est de découvrir les témoignages, les photographies et faire la mise en page. J’ai découvert plein de choses, notamment le bombardement d’Amiens. Et avec les photos, on découvre la ville comme elle était avant. C’était un gros boulot, mais très intéressant."
Il leur a également travaillé sur la scénographie de l'exposition dont fait l'objet Reconstruction Amiens 1945-1955 à la Maison de l'architecture d'Amiens durant tout le mois de juin.
Car aller au-delà de la matière enseignée et de la spécialité, c'était aussi l'un des objectifs de Reconstruction Amiens 1945-1955. "Elles ne travaillent avec la personne âgée qu'à partir de la première. Et en seconde, certaines sont très angoissées par ça, explique Louis Teyssedou. Donc ça leur a permis à certains élèves de désangoisser par rapport à ça. Mais l'idée, c'était surtout d'approcher la personne âgée sous un autre angle que l'angle médical ou le soin. La volonté du projet, c’était d’aller voir la personne âgée non pas en tant que soignant, mais en tant que citoyen".
Un projet repéré par la mission 80 ans de la Libération
Reconstruction Amiens 1945-1955 a reçu le label de la mission nationale Les 80 ans de la Libération. C'est cette distinction qui a valu aux douze élèves et étudiantes d'être invités à la cérémonie internationale des 80 ans du Débarquement à Omaha beach. "Depuis à peu près une semaine, elles se rendent compte qu’elles font partie de la dernière génération qui verra et qui entendra les vétérans qui, finalement, sont en train de partir, remarque Louis Teyssedou. Et elles m’ont étonné parce qu’elles m’ont dit que ça avait été une chance pour elle d’entendre directement une dernière fois ces témoins de l’histoire".
Et Mickaela de conclure : "Je suis fière d’avoir participé à ce projet. Et encore plus maintenant que je me retrouve assise là, pour cette cérémonie. C’est l’achèvement de ce projet. C’est une accumulation de belles choses..."