Le CHU d’Amiens doit chaque jour adapter son organisation et réaffecter ses personnels auprès de patients atteints du Covid-19. En un mois, ses capacités de réanimation sont passées de 52 à 92 lits. Une montée en charge qui risque d'être freinée par le manque de respirateurs et de médicaments.
"Nous avons des problèmes d’approvisionnement graves, tendus, sur les respirateurs et sur les médicaments. Pour augmenter encore notre capacité d'accueil des patients, il faudrait avoir des respirateurs adaptés et des médicaments spécifiques pour les prendre en charge. Aujourd’hui, nous ne les avons pas. C’est un vrai sujet".
Le cri d’alerte de Danielle Portal, la directrice générale du CHU d’Amiens est sans équivoque. Sur la brèche depuis un mois, le centre hospitalier et universitaire amiénois s’adapte en temps réel à la situation de crise sanitaire, en réaffectant des personnels et en augmentant chaque jour ses capacités d’accueil des malades atteints par le Covid-19.
Nous n’avons plus aucun respirateur disponible
En un mois, le service de réanimation est passé de 52 à 92 lits (et autant de respirateurs), nécessaires à la survie des patients gravement atteints. Mais aujourd’hui, cette montée en charge permanente risque d’être dangereusement freinée par la pénurie nationale de respirateurs. "Nous n’avons plus aucun respirateur disponible. Nous avons des commandes en cours, centralisées au niveau national, mais on nous annonce une livraison mi-avril. C’est beaucoup trop tard", explique Danielle Portal.
"La durée des séjours en réanimation est très longue, deux semaines en moyenne voire trois. C’est un vrai problème en raison de l’arrivée constante de nouveaux malades. Il nous faut donc des respirateurs supplémentaires et en plus, pas n’importe lesquels. En raison de la gravité des symptômes, il nous faut des respirateurs de qualité, de haut-niveau", prévient le Pr Michel Slama, du service Médecine intensive-Réanimation.
Le 31 mars, Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé la mise en place d'un consortium français qui permettra de fabriquer 10 000 respirateurs pour les hôpitaux débordés d'ici mi-mai.
On risque de manquer de médicaments dans les jours qui viennent
À cette pénurie de respirateurs s’en ajoute une autre : celle des médicaments. Et elle semble inquiéter encore davantage les médecins amiénois. "Nous avons un problème sur des médicaments spécifiques à la réanimation, des molécules très particulières et dont nous avons besoin en très grande quantité", alerte Danielle Portal.
"Pour maintenir les patients graves sous respiration artificielle, il nous faut absolument les endormir afin d'éviter qu’ils bougent, comme s’ils étaient sous anesthésie générale, et on a donc notamment besoin de médicaments hypnotiques. Et c’est de ce type de médicaments, fondamentaux pour la prise en charge des patients dans un état grave, dont on risque de manquer dans les jours qui viennent", précise le Pr Hervé Dupont, chef du pôle Anesthésie-Réanimation au CHU d’Amiens.
À tel point que la directrice générale du CHU d’Amiens doit trouver des solutions en urgence : "On n’a plus de marge. Hier soir, j’ai fait une chose que je n’avais jamais faite depuis le début de ma carrière : à 22h, j’ai passé une commande de médicaments à un fournisseur qui pouvait enfin répondre à notre demande. Sur cette molécule, nous allons avoir 3 jours de répit".
Les CHU de Lille et de Rouen en soutien
Et si les respirateurs ou les médicaments n’arrivent pas à temps ? "On ne préfère pas l’imaginer", répond, anxieuse, Danielle Portal, avant d’ajouter : "il est clair que nous arrivons au bout de notre capacité de prise en charge et à partir de ce moment, on ne pourra plus accepter de nouveaux patients". Le CHU d’Amiens n’aura alors plus le choix. L’ultime solution de repli : le transfert des nouveaux arrivants vers le CHU de Lille, en priorité, mais aussi vers celui de Rouen.
Depuis le début de la crise, "5 à 7 patients ont ainsi été transférés chaque semaine vers ces deux centres hospitaliers et même d’autres, moins sollicités pour le moment", confirme le Dr Christophe Boyer, responsable du pôle Médecine d’urgence qui gère le Samu, le Smur et les urgences du CHU d’Amiens.
Le tout est organisé par une cellule de crise qui se réunit quotidiennement sous l’égide de l’ARS, l’Agence régionale de santé. "Grâce à un logiciel informatique, on connait en temps réel le nombre de lits disponibles – aujourd’hui, il y en a une centaine - dans toutes les structures de santé de la région Hauts-de-France. C’est très important car il ne faut surtout pas saturer tous les lits d’un même hôpital. On essaye de répartir la charge sur tous les hôpitaux de la région", explique le Pr Michel Slama.
Les autres services continuent de fonctionner
Cette situation d’urgence sanitaire liée au Covid-19 a évidemment un impact très important sur le reste de l’activité du CHU d’Amiens. Mais la direction rappelle que "l’hôpital continue de fonctionner pour les autres types de pathologies chroniques, d’urgence et pour la cancérologie".
Depuis le début de la crise, le nombre de personnes arrivant aux urgences pour des pathologies autres que le Covid-19 a très fortement baissé (-75%). Une chute brutale qui inquiète les médecins. Ils tiennent à rappeler la possibilité et surtout la nécessité de venir consulter au CHU d’Amiens en cas de besoin. L'hôpital est en effet organisé avec deux filières : une filière spécialisée "Covid-19" et une filière dite "classique" pour séparer les personnes suspectées ou atteintes de Covid-19 des autres patients, et ainsi éviter tout risque de contamination au sein de l’hôpital.
Le Covid-19 au CHU d’Amiens en chiffres
Le CHU d’Amiens est concerné par la crise sanitaire du Covid-19 depuis le 24 février. Il a d’ailleurs été le premier hôpital en France à accueillir un malade atteint du Covid-19 (hors « filière chinoise ») en réanimation.
- En 5 semaines, il a pris en charge plus de 1500 patients.
- 435 d’entre eux ont nécessité une hospitalisation.
- Au 31 mars, 112 ont pu rentrer chez eux et 40 sont décédés.
- La moyenne d’âge des patients décédés est de 82 ans.