Depuis le début du confinement, les médecins urgentistes comme les médecins de ville voient le nombre de patients diminuer. Par crainte d'être contaminés par le Covid-19 ou pour ne pas déranger, beaucoup attendent la dernière minute pour se faire soigner ou reportent des consultations essentielles.
Les urgences de la clinique Pauchet à Amiens n'ont jamais été aussi calmes. De 100 patients par jour en temps normal, on est passé à 50 patients depuis le début du confinement. 1/3 sont atteints du Covid-19. Les 2/3 restants sont des malades qui arrivent avec des pathologies à un stade plus avancé que d'habitude .
Des urgences plus graves que d'habitude
Toussia Zegar est médecin coordonnateur des urgences de la clinique. Son inquiètude, elle l'affirme avec force : "Ce que je remarque, et c'est là que c'est grave, c'est que nous avons des tableaux cliniques qui sont plus graves, plus aigus de gens qui ont trop attendu. Alors oui, il faut rester chez soi mais des patients qui ont des pathologies cardiaques ou respiratoires, il faut qu'ils continuent à consulter".Et d'énumérer les exemples de malades qui auraient pu être pris en charge plus tôt : "J'ai eu un patient de 80 ans, bon état général, aucun facteur de risque cardio-vasculaire. Il vient en disant "voilà docteur je ne voulais pas vous déranger mais cette douleur dans la poitrine je la ressens depuis hier et je n'arrive pas à faire 100 mètres dans ma cour". Il a attendu et quand il vient, il a déjà une nécrose installée. Pareil pour cette dame qui vient avec des douleurs abdominales et qui arrive avec une perforation digestive et qui aurait pu être prise en charge avant avec un tableau clinique moins sévère. On a eu une petite dame de 80 ans confinée chez elle depuis trois semaines; On nous dit "c'est parce qu'elle est confinée qu'elle est un petit peu désorientée. Et en fait c'était un AVC. C'est ces tableaux là, on va avoir plus de décès du non-Covid que du Covid."
Des circuits parfaitement séparés
D'autant que les urgences se sont adaptées . "Comme dans toutes les urgences, on a divisé le service en deux avec un côté Covid, fermé avec une bâche pour qu'on ne puisse pas y accéder, détaille Toussia Zegar, et un côté non-Covid pour les pathologies autres. On a fait en sorte de pouvoir prendre en charge tout le monde".Ce que confirme et martèle l'Ordre des médecins par la voix de Henri Foulques, président du Conseil départemental de la Somme de l'Ordre des Médecins : "Les médecins sont disponibles pour les consultations Covid mais aussi pour les autres pathologies. Les deux circuits sont parfaitement séparés. En allant consulter son médecin traitant, on ne risque rien.. En revanche, on prend un risque de complications si on n'y va pas".
Convaincre les patients
Une attitude qui oblige l'Ordre des médecins à alerter les patients. "La situation n'est peut-être pas dramatique aujourd'hui mais elle va le devenir. D'abord, il y a le problème des urgences : les gens qui ont des douleurs au ventre et qui se disent "ça va passer, je ne vais pas embêter mon médecin pour ça". Or ils ont tort. On voit des pathologies qu'on ne voyait plus comme des péritonites. Des gens font des infarctus ou des accidents vasculaires cérébraux alors qu'ils avaient une petite alerte 10 jours avant et qu'ils n'ont pas consulté. Ensuite, on a les malades de pathologies chroniques. Des pathologies qui peuvent continuer à évoluer. C'est pour ça qu'il faut continuer à consulter".Et le rare silence qui règne dans les étages de la clinique Pauchet tend à donner raison au Dr Foulques. Les salles d'attente sont vides ou presque. Les patients qui ont une maladie connue voire avancée ne viennent pas au rendez-vous. "En regardant les examens de patients faits avant l'épidémie, je me rend compte qu'il y a des pathologies comme des cancers de la prostate ou de la vessie assez avancés et qui nécessitent des soins. Ces patients avaient un rendez-vous mais ils l'ont annulé par crainte de venir et d'être contaminés par le virus, déplore Jorge Villamizar Vesga, urologue. (...) Ça reflète bien l'état d'esprit de la population : en étant isolés, ils sont peut-être à l'abri du virus mais ils oublient les pathologies chroniques. On est obligés de les rappeler et de les convaincre que tout a été mis en place pour éviter toute contamination. On doit également les convaincre que la prise en charge de leur pathologie est une priorité pour éviter une perte de chance. Ce comportement peut être très grave".
Et Toussia Zegar de conclure : "Donc venez. Ne restez pas chez vous avec une douleur ou avec une pathologie qui pourrait s'aggraver. Venez aux urgences s'il n' y a pas de médecin disponible ou faites le 15".