Des associations alertent sur les risques de l'extrême droite au pouvoir : "il va y avoir une résistance, on ne peut pas renoncer à nos valeurs humanistes"

19 jours avant le premier tour des législatives, annoncées par Emmanuel Macron le soir du 9 juin, les associations des Hauts-de-France pour les droits des femmes et des étrangers, celles qui défendent les droits de l’homme et les libertés dans notre pays, s’inquiètent d’une possible accession au pouvoir de l’extrême droite. Elles alertent sur le recul des droits des femmes, des personnes étrangères, des médias, de la démocratie.

Quelques heures après l’annonce du président de la République d’anticiper les élections législatives, partis politiques, militants et société civile sortent de la sidération et s’organisent. L’extrême droite n’a jamais été aussi proche de l’accession au pouvoir. Les associations, défenseuses des droits des personnes étrangères, des femmes, des personnes LGBT, des militants engagés pour la défense des minorités prennent les devants, allant même jusqu'à s'exprimer publiquement dans des communiqués. Toutes sont unanimes : elles poursuivront leur engagement.

L'expulsion des migrants

Parmi les mesures présentées par le Rassemblement national dans son programme des législatives de 2022, "Arrêter l’immigration contrôlée" figure en première position. En détail : "mettre fin au regroupement familial", "expulser systématiquement les clandestins", "supprimer le droit du sol".

Sybille Luperce, membre du Réseau éducation sans frontière (Resf) à Amiens, depuis 2007, aide quotidiennement des familles et des mineurs non accompagnés (MNA) à la rue. Son association les conseille, les soutient matériellement et moralement en leur trouvant des hébergements souvent temporaires lorsque l’administration, via le 115, ne peut les loger.

"L’accompagnement de ces personnes est déjà très compliqué. Depuis 2007, je vois la dégradation des mesures d’accueil et de plus en plus de refus de délivrer des titres de séjours par la préfecture", constate la militante. Elle accompagne de nombreux jeunes sans-papiers, en fin de formation, qui trouvent un emploi mais ne peuvent pas y accéder faute de papiers. "Actuellement, je suis un jeune sans papier de 23 ans qui a trouvé un patron mais il attend un titre de séjour depuis neuf mois. Il ne peut donc pas travailler. Pourtant, tout a été fait dans les règles avec l’employeur. Et ce n’est pas un emploi de complaisance. Le patron l’a choisi car c’est le meilleur candidat. Ces jeunes ont souvent un très bon parcours scolaire et sont souvent cités en exemple."

On va fabriquer de la maltraitance. On va se retrouver avec une foule de gens pauvres qui errent dans les rues. On va créer le chaos.

Sybille Luperce, bénévole à RESF, Amiens

Le réseau aide toute l’année des familles avec enfants qui n’ont pas d’hébergement et dorment dans la rue. "Si l’extrême droite accède au pouvoir, ce sera une catastrophe. Le risque c’est que les personnes sous obligation de quitter le territoire (OQTF) n’aient plus aucun droit, d’accès aux soins, et même d’appeler le 115. Cela signifie des centaines de personnes à la rue à Amiens et bien plus en France parce qu’il est certain qu’elles ne repartiront pas dans leur pays où elles sont menacées", s’inquiète la militante, qui dénonce des mesures anti-humanistes. "On va fabriquer de la maltraitance. On va se retrouver avec une foule de gens pauvres qui errent dans les rues. On va créer le chaos."

Une autre menace plane sur les associations d’aide aux migrants : "les sanctions pénales" pour les bénévoles. "Si cela arrive, je ne me détournerai pas de mon engagement. Ce serait un acte de désobéissance mais je ne me soumettrais pas à une volonté raciste. Il est impossible que ce système d’exclusion soit mis en place. Les associations ne laisseront pas faire. Il va y avoir une résistance. On ne peut pas renoncer à nos valeurs humanistes."

Inquiétudes sur le recul des droits des femmes

Des valeurs humanistes et des inquiétudes partagées par le collectif féministe Nous Toutes. "Tous les acquis pour les droits des femmes et des personnes LGBT ont été arrachés par la lutte. Comme disait Simone de Beauvoir, 'Il suffit d’une crise économique, politique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question'", rappelle Blandine Cuvillier, représentante du collectif Nous Toutes à Lille. Cette militante alerte sur un recul des droits des femmes, en cas de victoire de l’extrême droite. "Nous avons peur que les subventions des associations, des plannings familiaux, des centres d’avortement, soient remis en question. Le Rassemblement national ne supprimerait peut-être pas le droit à l’avortement mais le rendrait impossible."

Le risque est que l’avortement ne soit accessible qu’à une classe favorisée [...] pour les autres, le seul choix serait l’avortement clandestin avec des risques de séquelles et de mort.

Blandine Cuvillier, représentante du collectif Nous Toutes à Lille

En 2012, pour sa première candidature à l'élection présidentielle, Marine Le Pen avait proposé le déremboursement de l'IVG pour les avortements dits "de confort". Depuis, la stratégie du RN a changé. La volonté est de dédiaboliser l'extrême droite, notamment autour de la question de l'IVG. La candidate a même fait un mea-culpa sur l'avortement "de confort" lors de la campagne présidentielle de 2022.

Mais Marine Le Pen s'est toutefois opposée à l'allongement du délai, et à l'inscription de ce droit dans la Constitution. Des élus RN s’étaient même déclarés contre la constitutionnalisation de l’IVG. Comme Caroline Parmentier, députée dans le Pas-de-Calais. "Après avoir 'génocidé' les enfants français à raison de 200 000 par an, on doit maintenant les remplacer à tour de bras par les migrants", avait-elle déclaré.

Le chiffre de 200 000 correspondait au nombre annuel d’avortements en France. Début 2022, Marine Le Pen s’est aussi montrée opposée à l’allongement du délai légal de grossesse de 12 à 14 semaines, un projet de loi finalement adopté par l’Assemblée nationale. "Le risque est que l’avortement ne soit accessible qu’à une classe favorisée, des femmes pourraient aller se faire avorter à l’étranger après le délai autorisé. Ce serait une discrimination économique. Et pour les autres, le seul choix serait l’avortement clandestin avec des risques de séquelles et de mort", plaide la militante.

"Concernant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le plus grand levier, c’est l’information dans les écoles, les collèges et les lycées, imposée par la loi Evrard. Le RN pourrait nous en priver". Blandine Cuvillier s’appuie là sur la déclaration faite par Marine Le Pen en 2022 concernant les interventions d’associations sur le thème de la sexualité à l’école : "L’école est là pour transmettre les savoirs, la sexualité ne relève pas de sa responsabilité."

"Pour les femmes victimes de violence, dans les Hauts-de-France, nous dénonçons déjà un manque de places d’hébergement. Avec le RN, ce serait pire. Le gouvernement a le pouvoir de supprimer toutes les avancées et les subventions", alerte la porte-parole du collectif Nous Toutes. En 2018, le Rassemblement national s’était abstenu de voter la loi Schiappa, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette loi porte à trente ans, après la majorité des victimes présumées, le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs et elle renforce les dispositions du Code pénal pour réprimer les infractions sexuelles sur les mineurs.

Dans le programme 2022 du Rassemblement national, présentant 22 mesures, aucune n’est spécifiquement consacrée aux femmes, à leurs droits ou à la lutte pour l'égalité.

Privatisation de l'audiovisuel public et fin des radios associatives

Dans les médias publics et associatifs, les scores importants aux élections européennes de l’extrême droite et l’annonce d’élections législatives anticipées font craindre une restructuration complète.

Dans le programme, présenté par le RN en 2022, figure bien la privatisation de l’audiovisuel public. Sébastien Chenu, porte-parole du rassemblement national, a confirmé lundi 10 juin, que leur volonté n'avait pas changé. S’ils sont élus, ils comptent lancer un appel d'offres afin de récupérer trois milliards d'euros dans les caisses de l'État. Cette somme correspond au budget 2024 pour Radio France et France Télévisions, les seules entreprises que veut privatiser le RN. L'INA, de son côté, resterait public. Les acheteurs potentiels seraient les mêmes milliardaires qui investissent progressivement dans les médias : Rodolphe Saadé, Daniel Kretinsky, Xavier Niel et Vincent Bolloré.

Les radios associatives, comme l’audiovisuel public, seraient récupérés par le pouvoir économique, donnés au plus offrant, qui pourrait ne pas supporter qu’on mette le nez dans ses affaires.

Hervé Dujardin, président de la fédération des radios associatives du nord de la France

Les radios associatives aussi sont sur la sellette, d’après Hervé Dujardin, le président de la fédération des radios associatives du nord de la France. Dans un communiqué de presse, diffusé mercredi 12 juin, il rappelle son attachement à l’indépendance et la liberté de la presse. "Des valeurs et positions […] en contradiction totale avec les projets que porte l’extrême droite." Un amendement, déposé au projet de loi de finance en 2023 par Philippe Ballard, alors député RN de l’Oise, réduisait de 1,7 million d’euros le financement aux radios associatives.

"Le RN s’est toujours opposé aux radios associatives. Toutes nos activités sont tournées vers la cohésion sociale, nous allons à la rencontre des personnes les plus à la marge, les plus précaires. On se retrouve dans des valeurs communes de laïcité, du respect du droit de culte, de la défense de l’égalité pour tout être vivant dans ce pays et contre toute forme de discrimination. Si les subventions s’arrêtent, nous ne pourrons plus poursuivre", explique Hervé Dujardin, qui est aussi journaliste à Radio Scarpe Sensée. Il alerte sur le risque que représente le RN pour le débat démocratique. "Les radios associatives, comme l’audiovisuel public seraient récupérés par le pouvoir économique, donnés au plus offrant, qui pourraient ne pas supporter qu’on mette le nez dans ses affaires. C’est un vrai risque pour l’indépendance des médias, pourtant essentiel au débat démocratique."

Dans son communiqué, le président de la fédération des radios associatives du nord de la France conclut : "Plus que jamais, la Franf réaffirme ses valeurs et prendra sa place aux côtés des composantes du mouvement associatif et des organisations de défense des droits de l’homme". Une position qui a semé le trouble au sein de la fédération. "Certaines radios auraient voulu s’abstenir de prendre position et me reprochent la diffusion du communiqué de peur des représailles du Rassemblement national, si le parti accédait au pouvoir. Ce qui en dit long sur l’usage de la peur comme moyen de pression sur les associations", déplore Hervé Dujardin, qui ne se reconnaît plus dans le groupement et a décidé de démissionner de son poste de président de la fédération.

L'alerte de la Ligue des droits de l'homme

Selon la Ligue des droits de l’homme, le scénario avancé par l’extrême droite est celui de l’exclusion de certains aux droits fondamentaux sur des critères de nationalité, d’origine, de religion et d’orientation sexuelle. La LDH, qui a créé des observatoires des libertés publiques, c’est-à-dire des démarches citoyennes pour surveiller les pratiques de forces de l’ordre, se dit préoccupée par une éventuelle accession au pouvoir de l’extrême droite.

Les policiers n’auraient plus à rendre de comptes, nous n’aurions plus la possibilité de contester. Transférer le pouvoir préfectoral à un gouvernement d’extrême droite, ce serait tragique.

Emmanuelle Jourdain-Chartier, membre du bureau national de la LDH et présidente de la section de Lille

Une mesure attire l’attention de l’association : celle concernant la sécurité. Le RN prévoit d’instituer une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre. "Le maintien de l’ordre avec des préfets issus d’un gouvernement d’extrême droite, cela menacerait gravement notre droit d’observation de la ligue qui met régulièrement en avant les usages disproportionnés et dangereux de la force publique, notamment pour réprimer les mouvements sociaux. Ces répressions violentes peuvent prendre différentes formes, à la fois physiques, administratives et juridiques, avec la multiplication des arrestations. Chacune et chacun est susceptible de les subir. Sans oublier la répression des syndicats. Les policiers n’auraient plus à rendre de comptes, nous n’aurions plus la possibilité de contester. Transférer le pouvoir préfectoral à un gouvernement d’extrême droite, ce serait tragique", affirme Emmanuelle Jourdain-Chartier, membre du bureau national de la LDH et présidente de la section de Lille, qui observe également l’évolution de l’extrême droite à l’étranger.

"Au début, elle avance masquée mais il faut tenir compte de l’Histoire et de la réalité de leur pouvoir à l’étranger. Trump aux États-Unis, Orban en Hongrie, Milei en Argentine, Duda en Pologne… Dans ces pays dirigés par l’extrême droite, les droits sont bafoués, les politiques sociales écrasées. Il n’y a aucun respect de la séparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs. C’est très dangereux", conclut la militante.

Préoccupée par l'avenir du pays, des droits de l'homme, des libertés acquises, plusieurs associations de la société civile souhaite intégrer le débat politique. Elles appellent à participer massivement aux initiatives et manifestations prévues ce week-end, à l’appel des organisations politiques de gauche et des syndicats.

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