Bien que quelques communes échappent à cette règle, le Rassemblement national est le parti majoritaire dans les Hauts-de-France. Aux dernières élections européennes, la région est, encore une fois, la première de France hexagonale à avoir voté pour le parti d'extrême droite. Décryptage.
Les résultats des dernières élections européennes le démontrent encore une fois. Avec 42,4% des voix en faveur du Rassemblement national, la région Hauts-de-France est la première de France hexagonale à avoir voté pour le parti d'extrême droite. Des scores élevés, tout comme aux dernières élections présidentielle et législatives de 2022.
Lors du premier tour de la Présidentielle, Marine Le Pen a obtenu 33,36 % des voix, soit 10 points de plus qu'à l'échelle nationale. Au second tour, Picards et Nordistes ne se sont pas ravisés. Comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, la plupart des communes ont choisi le Rassemblement national. Seules exceptions : les métropoles, le sud de l'Oise et la baie de Somme.
Tristan Haute, maître de conférences en sciences politiques à l'université de Lille, identifie de multiples raisons qui font des Hauts-de-France, une région "sociologiquement disposée au vote RN".
Selon une étude de l'Ifop 57 % des électeurs de Marine Le Pen sont des ouvriers, peu ou pas diplômés. "C'est clair que c'est corrélé au vote RN, mais souvent c'est une variable qui masque d'autres choses. C'est-à-dire que tout centrer sur la question de l'éducation, c'est parfois assez sommaire, nuance le chercheur. Ça conduit à un discours assez misérabiliste de dire : 'oh les pauvres, on va les éduquer et puis ils voteront mieux'. Ce n'est pas la question."
Un chômage largement sous-estimé
L'un des facteurs qui explique ce vote, c'est le niveau de vie. "Même à l'échelle nationale, les classes populaires, elles vont beaucoup plus s'orienter vers l'extrême", affirme Tristan Haute. Or, la région est la plus pauvre de France hexagonale au sens du PIB par habitant.
L'économiste revient sur l'histoire qui a plongé le nord de la France dans la précarité. "L'héritage économique et industriel, avec des secteurs d'activité dans lequel on était spécialisés, a connu des difficultés. La sidérurgie ou le travail dans les mines qui se sont arrêtés, ça a sinistré des régions économiques entières." Résultat de ces nombreuses fermetures d'usines : 9,2 % de chômage dans la région au troisième trimestre 2023, contre 7,2 % en France.
La sidérurgie ou le travail dans les mines qui se sont arrêtés, ça a sinistré des régions économiques entières.
Tristan Haute, politologue à l'université de Lille
Là aussi, le chiffre serait sous-estimé dans la région, selon Thomas Dallery : "si vous avez travaillé dans la semaine précédant une enquête, même une heure ou deux, vous travaillez. Donc, vous n'êtes pas dépourvu d'emploi. Idem quand vous êtes en temps partiel ! Il y a des gens qui sont en temps partiel qui voudraient travailler plus... C'est ce qu'on pourrait appeler le halo du chômage. Dans les populations en inactivité, on peut aussi avoir ce qu'on appelle des chômeurs découragés : des gens qui ont arrêté de chercher, qui pensent qu'ils ne trouveront pas parce que la situation économique est trop dégradée", détaille-t-il.
C'est un phénomène qui touche particulièrement le nord de la France. "Dans la région, on a plus de personnes découragées qu'ailleurs", indique l'économiste. De fait, dans les Hauts-de-France en 2019, ce halo représentait 160 000 personnes pour 320 0000 chômeurs, soit 50 % de plus.
De quoi renforcer un peu plus le nombre des sans-emploi plus disposés à voter pour les partis d'extrême droite, puisque "leur rapport à la situation économique structure leur vote et les amène à la fois sur une forme de rejet des politiques économiques actuelles, centrée sur une redistribution des richesses et favorable à l'État-providence, mais aussi sur une forme de critique de ce qu'ils vont appeler l'assistanat", expose le politologue Tristan Haute.
Une faible mobilité qui n'arrange pas les choses
"Et même si les emplois partent, les gens restent", souligne Thomas Dallery, maître de conférences en économie à l'Université de Lille. "Dans les Hauts-de-France, on a aussi une population qui a une faible mobilité vers les autres régions. Les gens vivent à un endroit et meurent au même endroit. Ils sont attachés à leur territoire", ajoute-t-il.
Conséquence de cette faible mobilité : la socialisation est particulièrement propice à un vote Rassemblement national. "Avec une faible mobilité, il y a plus de difficultés à accéder aux études supérieures. Et puis, les études supérieures se font beaucoup en local. Par exemple, la fac de droit où je travaille a une antenne à Cambrai, un site en Artois, etc. Ce sont des études ancrées dans le territoire, raconte le politologue Tristan Haute. Les gens vont à la fac en voiture depuis chez leurs parents, ils repartent en voiture. La socialisation des études supérieures est complètement différente de celle des gens qui vont à Paris ou à Lille." En bref, les étudiants de Cambrai viennent de Cambrai et ne rencontrent que peu de diversité.
Un discours politique axé sur l'immigration
"Les gens qui votent Rassemblement national, ce sont des gens qui ne connaissent pas l'immigration ou la discrimination, qui sont assez à distance des populations immigrées, commente Tristan Haute. C'est très net. On le voit même dans des villes comme Roubaix, l'endroit où le vote RN est le plus fort, c'est finalement en périphérie de la ville, dans des quartiers qui sont beaucoup moins marqués par la présence de populations immigrées."
Si la question de l'immigration est essentielle pour les électeurs des Hauts-de-France, la région est pourtant peu concernée par l'arrivée de travailleurs étrangers. La majorité des immigrés s'installent dans des grandes métropoles pourvues d'emplois et surtout en Île-de-France.
Le Pas-de-Calais est même le département le moins concerné en France puisque seuls 2,1 % de la population y est immigrée. D'ailleurs, ce sont les secteurs les plus proches de l'immigration qui votent le moins RN. Le Nord, qui comptait 7,2 % d'immigrés en 2021, a voté pour Emmanuel Macron à presque 53 % au second tour de la dernière élection présidentielle.
Causes ou conséquences de ce déplacement de l'intérêt citoyen, "les questions migratoires ont pris une place centrale dans l'agenda politique qui structure beaucoup plus les attitudes politiques que par le passé. C'est polarisant !", relève le politologue.
"Aujourd'hui, une hostilité à l'immigration produit quasi mécaniquement un vote pour le Rassemblement national, ce qui n'était pas le cas il y a vingt ans", commente-t-il. De fait, les électeurs de François Mitterrand et de Georges Marchais en 1981 étaient souvent hostiles à l'arrivée de travailleurs étrangers.
Des populations qui côtoient peu ou pas l'immigration et qui en font pourtant un sujet clé, ça peut sembler étonnant. Tristan Haute y voit une explication claire : "ils n'ont pas de contact direct avec l'immigration, mais ils peuvent avoir un contact indirect via l'exposition de leur emploi à la concurrence internationale. Ça joue beaucoup parce que dans ces zones, il y a beaucoup d'entreprises qui ont fermé à cause d'une délocalisation à la suite d'un rachat par des groupes étrangers. Ce sont des histoires extrêmement nombreuses ici." La confusion entre immigration et délocalisation, donc perte d'emploi, favorise le vote RN.
"Le sentiment d'une forme de délaissement"
Immigrés et électeurs du RN se côtoient peu. Et pour cause, contrairement aux travailleurs étrangers davantage présents dans les grandes métropoles comme Lille ou Amiens, les votes RN sont le plus souvent comptés dans les zones rurales isolées. Le politologue note par ailleurs une "distance vis-à-vis des services publics et notamment le sentiment d'une forme de délaissement de certains territoires des Hauts-de-France, vis-à-vis de certains services publics. Ils apparaissent de plus en plus loin, de plus en plus difficilement accessibles. Cet éloignement crée une distance politique qui est propice à l'abstention et aussi, dans certaines configurations, propice à un vote RN."
L'éloignement est d'autant plus problématique que c'est dans les Hauts-de-France que les habitants sont parmi les plus dépendants de leurs voitures. L'inflation grandissante pénalise de plus en plus les automobilistes et donc l'accès à l'emploi, aux services de santé, aux services publics. De quoi renforcer l'isolement un peu plus.
Pourquoi pas l'extrême gauche ?
Les classes populaires votent souvent pour les extrêmes, mais dans les Hauts-de-France, c'est plus particulièrement l'extrême droite qui a la cote. Pourtant, dans le nord de la France, le Parti communiste français a longtemps été très puissant. "L'hypothèse d'un transfert de voix de l'extrême gauche vers l'extrême droite a été beaucoup critiquée en sciences politiques. Si transfert il y a eu, ce sont des transferts qui sont effectués sur un temps très très long, qui sont souvent passés par l'abstention", analyse le politologue Tristan Haute avant d'ajouter : "Ce profil de personnes qui pouvaient voter avant pour le PCF, il y a 45 ans, ce ne sont plus les mêmes gens. Ils ont été politisés différemment, ont fait une expérience différente du travail, de l'emploi, même du territoire. L'encadrement syndical politique n'est plus même et en fait."
Le profil type du citoyen des Hauts-de-France est passé en 50 ans de l'ouvrier d'usine à l'employé de petits commerces. Les usines ont fermé, mais il faut toujours nourrir les habitants qui ne déménagent que rarement puisque la mobilité dans cette région est plus faible que dans les autres.
"Paradoxalement, les fractions des classes populaires qui soutiennent le plus le RN, ce sont aussi celles qui sont salariées du privé, mais dans des configurations salariales où il y a une forme de proximité avec l'employeur où les conflits qui peuvent exister entre salariés et employeurs sont atténués par rapport à d'autres conflits sociaux perçus qui vont les opposer soit à l'État, soit aux immigrés, commente le politologue. Il n'y a plus ce côté opposition salarié/employeur avec la présence du délégué syndical qui pouvait constituer une matrice de politisation à gauche."
Aujourd'hui, les questions économiques et notamment la question de l'État-providence sont beaucoup moins structurantes dans leur vote que le rapport à l'immigration.
Tristan Haute, politologue à l'université de Lille
Tristan Haute observe le changement de vie des classes populaires de la région, passées d'un travail précaire en usines à plus de travail du tout. Désormais, 45 % des électeurs de Marine Le Pen sont des chômeurs. Leurs quotidiens ont changé ; leurs préoccupations aussi. "Aujourd'hui, les questions économiques et notamment la question de l'État-providence sont beaucoup moins structurantes dans leur vote que le rapport à l'immigration. Par exemple, on va y trouver des gens qui ont été hostiles à la réforme des retraites, mais pour eux, la réforme des retraites est finalement moins un enjeu de vote que l'immigration."
L'abstention, encore plus élevée que le vote RN
C'est aussi la disparition des votes de gauche qui laisse davantage de place au vote RN : "les électeurs du RN sont un peu moins prédisposés à s'abstenir. Ils sont beaucoup moins jeunes que les électeurs de la France insoumise. Il y a aussi une forme de croyance dans l'importance du vote chez les électeurs du RN qui est beaucoup plus ancré que chez les électeurs de LFI, qui finalement voient peu l'intérêt de participer électoralement", démontre Tristan Haute.
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Plus fort dans les Hauts-de-France qu'ailleurs, le Rassemblement national ne fait pourtant pas l'unanimité. "L'abstention est un phénomène plus important que le vote RN au niveau national. Et c'est particulièrement vrai dans les Hauts-de-France qui sont une région plus abstentionniste", explique le politologue qui y voit une raison très claire. "Cela s'explique sociologiquement. La population des Hauts-de-France est prédisposée à s'abstenir davantage."
Qui sont ceux qui votent pour d'autres partis ?
Dans le sud de l'Oise, et dans les grandes métropoles telles que Lille ou Amiens, d'autres partis tirent leur épingle du jeu. "On sait que la métropole lilloise et notamment les villes-cœurs de la métropole lilloise sont des zones où le RN est faible parce que les populations qui sont très différentes", précise Tristan Haute.
Son confrère économiste, Thomas Dallery, dresse les portraits de ces populations aux profils "différents" qui votent autrement : "Le sud de l'Oise profite d'une attraction de la région parisienne avec les phénomènes de navetteurs. Vous avez des gens qui gagnent des revenus à Paris et en Île-de-France, qui résident dans l'Oise et dont les revenus vont résider dans l'Oise".
Le pôle économique de Lille et les villes qui l'entourent comprennent le même type de profil. "Il y a le même genre de dynamique dans d'autres grandes villes de la région autour de la métropole lilloise, dans la Pévèle notamment, il y a des gens qui vivent en Pévèle mais qui travaillent dans la métropole lilloise et donc statistiquement, ces territoires vont paraître relativement riches", ajoute-t-il.
Le littoral est occupé par un dernier profil sociologique, plus surprenant : les retraités. "Vous pourrez retrouver aussi une autre source de richesses qui peut être liée à la localisation des activités, touristiques ou résidentielles. Il y a la présence de retraités aisés sur le littoral (...). Ils ont envie de couler des jours heureux au bord de la côte plutôt que de rester vivre dans des villes qu'ils perçoivent comme congestionnées.", éclaircit le chercheur.
Ces trois zones qui votent moins RN sont moins touchées par le chômage et ont des salaires médians plus élevés qu'ailleurs. Leurs préoccupations politiques sont plus orientées vers le travail que vers l'immigration.