Parce qu’il "manque des enseignants", même hors période covid, des remplaçants des Hauts-de-France vont se relayer à vélo jusqu’au Ministère de l’Éducation nationale pour obtenir l’ouverture de postes supplémentaires au concours de professeur des écoles.
Après avoir manifesté chaque vendredi en novembre et décembre devant leurs inspections à Roubaix (Nord) pour réclamer des effectifs, des professeurs remplaçants - statut à part entière - vont interpeller le ministre Jean-Michel Blanquer d’une manière originale : ils vont dénoncer "l'enfer des remplaçants" en se rendant à son ministère à vélo, clin d’oeil à la mythique course du Paris-Roubaix, dite "enfer du Nord".
De mardi à vendredi, cinq enseignants feront tout le trajet et seront en grève tout ce temps. D’autres se relaieront au fil des étapes : à Arras (Pas-de-Calais) mardi soir, Amiens (Somme) mercredi et Beauvais (Oise) jeudi. À l’arrivée rue de Grenelle, ils déposeront leurs revendications et des témoignages sur les difficultés rencontrées par les remplaçants de l’Education nationale et aggravées par l’épidémie de Covid-19. Une cagnotte a été ouverte pour les soutenir.
Environ 8% des enseignants sont remplaçants. Selon des modalités définies dans chaque département, ils sont sollicités en cas de maladie, de maternité, de formation, de pondération (un temps de travail hors-classe accordé aux professeurs en REP+) ou de décharge (un directeur d’école se fait remplacer en classe le temps de gérer l’école elle-même). Très occupés en période de grippe et de gastro, ils le sont particulièrement cet hiver sous l’effet du variant Omicron.
Tension particulière dans le Nord
"Au 11 janvier, il y avait 417 classes non-remplacées dans le Nord", souligne Alain Talleu, co-secrétaire départemental du SNUIPP-FSU.
Le covid s’ajoute ici à des problèmes structurels. "Il manque des enseignants, affirme le syndicaliste. 124 postes inoccupés, ça pose problème tous les ans et, avec des conditions sanitaires particulières, on se retrouve en grande difficulté." Alain Talleu pointe aussi un effet pervers du maintien des petites écoles rurales : "Il aurait fallu le courage politique de fermer ou alors plus de moyens, car beaucoup de postes de remplaçants ont été supprimés pour éviter des fermetures de classes qui n’avaient plus assez d’élèves, or ça désorganise l’école au quotidien et ce sont les grandes villes qui en souffrent."
Pour faire face à la pénurie actuelle, 107 contractuels auraient été recrutés dans le département. Souvent étudiants ou jeunes retraités, diplômés Bac+2 minimum, ils remplissent temporairement la fonction de professeur, sans en avoir réussi le concours.
"Des gens à qui on a expliqué qu’ils n’étaient pas suffisamment bons et qui doivent finalement faire classe quatre jours par semaine", commente Alain Talleu, qui préfèrerait qu’on forme davantage de titulaires : "On ne comprend pas pourquoi on a réduit le nombre de places au concours, de 700 à 500 dans l’académie de Lille, alors qu’il manque du monde."
Actuellement, des établissements en éducation prioritaire renforcée (REP+) seraient particulièrement victimes de cette crise des ressources humaines. "Des remplaçants qui s’occupent normalement de la pondération sont appelés ailleurs, ça laisse des trous dans la raquette, des dédoublements de classe ne peuvent pas se faire", affirme le syndicaliste.
Pas de problème selon le rectorat d’Amiens
Dans l’académie d’Amiens, le recteur assure que "95% des classes ont bien un professeur" et que "le dédoublement des classes n’est pas une variable d’ajustement". Pour Raphaël Muller, la question des moyens "ne se pose pas" : "Nous avons les effectifs dont nous avons besoin pour remplacer hors période covid et, en ce moment, le nombre de contractuels n’est pas limité."
L’académie a néanmoins fait le choix de suspendre les formations d’enseignants qui auraient nécessité des remplacements. "Ça se faisait déjà avant le covid pendant les fortes tensions épidémiques, des formations étaient annulées du jour au lendemain, regrette Guillaume Gressier, co-secrétaire départemental du SNUIPP de l’Oise. Nous revendiquons à ce que les collègues puissent partir trois semaines en formation par an, or on n’en a pas depuis des années."
Le syndicat estime qu’"il faudrait 150 postes supplémentaires dans le département, et ce, depuis les années Sarkozy, en 2008-2009". Il demande un "concours exceptionnel" pour recruter des enseignants titulaires.
L’Oise compte environ 400 remplaçants pour 5000 enseignants, dans la moyenne nationale. En faut-il vraiment plus ? Le recteur est sceptique : "Soit vous allez prendre ces moyens dans les classes, soit vous allez payer des gens qui ne sont pas en classe." Le syndicaliste argumente : "On travaille tout le temps ! Même lorsqu’on est en surnombre, on peut aider des directeurs dans leurs tâches administratives, ou s’occuper de la classe d’un professeur quand il a une réunion sur un élève en grande difficulté."
Ouvrir des postes pour plus de confort toute l’année. Ou se contenter de contractuels comme variable d’ajustement. Le débat est ouvert mais un point fait l’unanimité : le métier manque d’attractivité. "Il y a une forme de désaffection, chaque année nous avons moins de candidats", s’inquiète le recteur d’Amiens. "On a de plus en plus de démissions et de retraites décidées au dernier moment", observe Alain Talleu. L’école doit être assurée en toutes circonstances mais, dans un cycle non-vertueux, les candidats manquent à l’appel.