Depuis le confinement, les signalements pour violences intrafamiliales ont augmenté de plus de 30%. Dans la Somme, enseignants et services sociaux s’inquiètent pour les mineurs les plus vulnérables qui n'ont pas la possibilité de s'exprimer et de signaler leur situation.
[#EnfanceEnDanger] Sur la semaine du 13 au 19 avril, le nombre d’appels au 119 a augmenté de 89% #confinement
— Secretariat d'Etat pour la Protection de l'Enfance (@Enfance_gouv) April 23, 2020
? Pour en savoir plus : https://t.co/ocoY5vURlA
cc @AdrienTaquet pic.twitter.com/XJUxiM79J3
Les enseignants à l'écoute des souffrances
Le ministère de l'Education Nationale et de la Jeunesse en appelle à la vigilance des enseignants, sur le site éducation.gouv.fr. "Dans vos contacts, à distance, par téléphone, mail, ENT (Espace Numérique de Travail) ou tout autre outil avec les élèves, vous pouvez être amené à entendre un élève qui fait état de difficultés à trouver son espace de travail et de concentration, qui évoque des tensions ou des violences dans la famille ou au sein de la fratrie. Un parent peut également confier des difficultés dans les relations avec les enfants. Tout cela constitue des signes qui doivent nous alerter collectivement."Face aux violences intrafamiliales, les circuits habituels de transmission d’informations préoccupantes et de signalements assurent une continuité de service. L'enseignant doit alors prévenir la direction de l'école ou le chef d'établissement, orienter les enfants, les adolescents et les familles vers le 119 et en cas de danger grave et imminent, prévenir les services de police ou de gendarmerie.
#EnfanceEnDanger
— Gouvernement (@gouvernementFR) April 16, 2020
Tant qu’on ne fera rien, les violences continueront.
Pour arrêter ça, il faut agir, même en cas de doute il faut appeler le 119.
Témoin d'une situation, pour agir : https://t.co/leFOeKWhVL pic.twitter.com/ld07nkHEQY
Nous avons enregistré entre 10 et 15 situations d'élèves en grande difficulté
Cette procédure n'a pas changé avec le confinement mais les acteurs de l'éducation nationale ont dû adapter leurs méthodes avec le contact à distance. "Nous avons toujours une veille, constituée d'enseignants, d'infirmières, de psychologues scolaires, de chefs d'établissement et directeurs d'école qui font remonter les signalements aux inspecteurs académiques. Pendant cette période, nous sommes particulièrement vigilants. Après analyse de la situation, l'assistante sociale départementale intervient. Nous avons enregistré entre 10 et 15 situations d'élèves en grande difficulté dans chaque département de Picardie depuis le début du confinement", explique Eric Alexandre, directeur de cabinet au rectorat d'Amiens.
Les classes virtuelles permettent aux enseignants de garder le lien avec les élèves mais ce n'est pas le lieu adéquat pour repérer les violences, d'après Haydée Leblanc, co-secrétaire départementale SNUIPP/FSU Somme et professeur des écoles à Abbeville. "L'école à distance ne permet pas d'identifier la violence intra-familiale si elle existe. Les enfants victimes de violences physiques ou psychologiques sont rarement ceux qui se connectent. Ça ne peut pas se faire par simple connexion à l'ENT mais en prenant le temps d'échanger et d'écouter les souffrances potentielles".
Cette enseignante et ses collègues n'ont pas attendu les recommandations du ministère de l'Education Nationale pour agir. "Dans notre école, mes collègues et moi-même avons appelé chaque famille de notre classe et parlé aux parents et aux enfants. Nous faisons un travail de prévention et non de repérage."
On imagine le pire pendant le confinement
Dans la Somme, dès l'annonce du confinement, les assistantes sociales scolaires ont préparé un kit de l'élève confiné. Des conseils pour gérer le stress, des propositions d'entretien en visio et des numéros utiles, comme le 119 et le 3919 (numéro d'appel pour les violences conjugales). Un kit de soutien pour les parents a également été mis en ligne sur l'ENT.
Quelques familles en difficulté ont répondu à l'appel. "De nombreux parents m'ont contacté parce qu'ils se sentaient dépassés par les devoirs. Ils n'arrivaient plus à gérer leurs enfants. J'ai appelé ces familles tous les deux jours pour les accompagner et aussi les décomplexer. Il faut avancer doucement mais surtout tenir bon", raconte Guillemette Quiquempois, secrétaire académique du syndicat national des assistantes sociales FSU de l'Académie d'Amiens et assistante social attachée à deux collèges d'Amiens Nord.
Surveiller à distance
Pour ces employés de l'Education Nationale, le travail social a continué en ligne. "Avec les professeurs, les chefs d'établissements et les conseillers principaux d'éducation, on a établi une liste des enfants dont nous avions perdu la trace depuis la fermeture des collèges. Toutes les familles connues pour avoir des difficultés ont été appelées. On sait ce qu'il peut se passer et on imagine le pire pendant le confinement. On ne peut pas savoir ce qu'il se passe derrière les portes fermées", explique Guillemette Quiquempois.Parfois, les problèmes sont plus profonds et les actions des équipes éducatives ne se limitent pas à la prévention et aux conseils. "On était très inquiets pour une jeune fille qui était déjà très fragile avant le confinement. On n'arrivait pas à la joindre. Nous avons pu la localiser et j'ai immédiatement appelé l'équipe mobile de l'hôpital Philippe Pinel. Elle a finalement été orientée vers les urgences psychiatriques", ajoute l'assistante sociale.
Ces appels aux familles ont aussi permis de révéler des cas d'alcoolisme et de violence au sein du foyer. Plus de 1000 familles sont ainsi suivies par le service social de l'Académie d'Amiens dans la Somme depuis le début du confinement. Dans chaque département de Picardie, environ trente nouveaux cas ont été détectés depuis deux mois. Tous ont fait l'objet d'une alerte auprès du conseil départemental ou du procureur de la République.
#EnfanceEnDanger Campagne d’affichage dans les immeubles des bailleurs sociaux : https://t.co/TBGlye6vUp pic.twitter.com/zn0eWpr5c8
— El Ghalloussi Rachid (@rachidelgha) May 6, 2020
Dans la Somme, le nombre "d'informations préoccupantes sur mineurs" a baissé de moitié
Les cellules de recueil de l'information préoccupante des conseils départementaux (CRIP) sont les premiers partenaires de l'Education nationale en ce qui concerne la protection de l'enfance. L'alerte doit être donnée par les chefs d'établissement et les assistantes sociales à la moindre suspicion de maltraitance ou négligence grave sur enfant.Dans la Somme, les informations préoccupantes ont baissé de moitié : 203 mineurs sont suivis contre 456 mineurs à la même période l'année dernière. Un chiffre à nuancer car les enquêtes de terrain se poursuivent dans les familles dites "à risque" et pourraient révéler d'autres cas dans les fratries.
Pendant cette période de confinement, ces informations préoccupantes émanent majoritairement des hôpitaux, des établissements scolaires et de la police et gendarmerie. Alors que les signalements de l'Education Nationale ont baissé de 10%, ceux des forces de l'ordre ont considérablement augmenté depuis le début du confinement. "Malgré la vigilance des équipes enseignantes, les enfants ont des difficultés à exprimer leur mal-être au téléphone surtout s'il y a un contrôle parental qui les empêche de signaler les problèmes. Et c'est encore plus flagrants chez les plus petits. Souvent l'alerte était donnée par un camarade. Mais il y a plus d'interventions des forces de l'ordre dans le cadre des conflits conjugaux en ce moment et donc plus d'informations préoccupantes qui nous parviennent via ce biais. Un enfant témoin de violences conjugales est un enfant en danger. Ils ne sont pas équipés pour supporter la souffrance de leurs parents", explique Odile Maquet, chef de service de l'Espace droits de l'enfant, CRIP du conseil départemental de la Somme.
Les travailleurs sociaux du conseil départemental de la Somme ont continué leurs enquêtes de terrain malgré le confinement. Une évaluation est faite par téléphone et pour les cas prioritaires, l'équipe intervient au domicile de la famille. Si aucune solution n'est trouvée par le département, c'est la justice qui prend le relai.
[#EnfanceEnDanger] Pendant le #confinement, le @gouvernementFR reste pleinement mobilisé dans la lutte contre les violences faites aux enfants.
— Secretariat d'Etat pour la Protection de l'Enfance (@Enfance_gouv) April 23, 2020
?Pour en savoir plus : https://t.co/ocoY5wcsKa
cc @AdrienTaquet @NBelloubet @CCastaner pic.twitter.com/XKyXDma19s
Dans la Somme, 42 enfants ont été confiés à des familles d'accueil ou des établissements dans le cadre d'une ordonnance provisoire de placement. Les enfants, qui, il y a encore, sept semaines, pouvaient trouver refuge dans l'écoute d'un enseignant à l'école, d'un éducateur dans un centre aéré, n'ont plus de lieu pour s'exprimer. "On ne sait pas comment on va les récupérer à la reprise de l'école. Très abîmés ou soulagés psychologiquement", insiste Odile Maquet.
Le déconfinement : une solution pour les enfants en difficulté
La reprise des cours pourrait permettre un retour à la normale pour les enfants baignés dans la précarité sociale et l'instabilité familiale. Ce déconfinement pourrait également permettre aux équipes enseignantes d'organiser des temps de parole dans leur classe. "Nous attendons des outils de recueil de la parole de la part de notre Ministère mais si on ne les a pas, on va les fabriquer nous-même. Il faudra demander à nos élèves comment ils ont vécu le confinement. L'école sera le lieu de recueil principal. La confidence peut passer par le dessin pour les plus petits. Et pour les CM1, CM2, nous pourrons organiser des débats et libérer la parole", précise Haydée Leblanc.Pour les professeurs du collège, ces temps d’échange s’annoncent plus laborieux. "Nos élèves changent de classe toutes les heures. Nous avons très peu de temps avec eux. Lors de la reprise, à l'issu du premier cours, je vais rester générale sur mes questions, leur rappeler que s'ils ont un souci chez eux, ils peuvent venir m'en parler ou évoquer le cas d'un camarade. La situation est assez préoccupante pour que nous n'en fassions pas l'impasse", confie Isabelle Millérioux, professeur de français dans un collège d'Amiens.
88 assistantes sociales scolaires pour 250 établissements du second degré, ce n'est pas suffisant
D'après le syndicat national des assistantes sociales FSU de l'Académie d'Amiens, aucune consigne n'a été envoyée concernant l'accompagnement psychologique des élèves et les services sociaux sont en tension. "Nous sommes un maillon essentiel de la protection de l'enfance. Mais pour l'Académie d'Amiens, 88 assistantes sociales scolaires pour 250 établissements du second degré, ce n'est pas suffisant. On ne peut pas être partout. Il faut créer des postes. Il existe forcément d'autres situations qui nous ont échappé pendant le confinement. Dès la reprise, il va falloir mobiliser des équipes de psychologues, d'assistantes sociales, d'infirmières et de médecins scolaires", déclare Guillemette Quiquempois, assistante sociale scolaire à Amiens.
Selon le rectorat d'Amiens, des formations virtuelles ont été proposées aux chefs d'établissement pour les former à l'accompagnement psychologique des élèves et du personnel. Dès la reprise, des temps de parole pendant les heures de classe devraient être réservés à l'écoute.
Les professionnels de l'enfance que nous avons interrogés sont unanimes : l'ouverture des écoles et des collèges sera bénéfique pour les enfants en difficulté scolaire et familiale. Mais une question reste en suspens : ces élèves retourneront-ils en cours à la reprise ? "Certaines familles sont soulagées que l'école rouvre mais pour d'autres, il n'est pas question de laisser leurs enfants retourner en cours, s'inquiète Haydée Leblanc, professeur des écoles à Abbeville. Pour les parents maltraitants, sortir, c'est s'exposer aux regards des autres. C'est révélateur d'une situation sociale explosive".