Plusieurs femmes accompagnées par le centre d’information sur le droit des femmes et des familles d’Amiens (CIDFF80) ont participé à la production de courts métrages. Objectif, sensibiliser sur les violences faites aux femmes et leur dire "qu’il est possible de s’en sortir."
Les vidéos, sorties à l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, sont aussi courtes qu’efficaces. Un huis clos dans une voiture avec "un gros con" qui débarque, comme le décrit son interprète Philippe, une salariée filant dans une rue pour rentrer de son travail un homme menaçant sur les talons, ou encore une épouse s’appliquant à la confection d’un énième gâteau "pour espérer apaiser la colère de son mari" et éviter les coups "sans succès", précise Sylvie qui porte à l’écran, ces compagnes encore si nombreuses.
Les vidéos sont viscérales, touchantes, rageantes, et pourtant si familières, si communes, si quotidiennes. Ce sont ces violences conjugales, mais aussi celles perpétrées dans la rue, au détour d’un covoiturage par des inconnus que Sylvie et plusieurs victimes ont choisi de dénoncer dans le cadre d’un projet lancé par le CIDFF80.
"Nous avons l’habitude de proposer des projets similaires aux femmes que nous accompagnons dans le cadre de violences. Avec le confinement, la situation sanitaire, elles se sont accrues. C’était important de trouver un moyen d’en parler, l’an dernier l’événement était axé sur le théâtre il est tombé à l’eau à cause de la crise sanitaire. L’audiovisuel permet de mettre les choses plus vite en place, de leur faire découvrir un monde qu’elles ne connaissaient pas et de valoriser leurs témoignages dans des scénettes écrites et réalisées ensemble. Pour nous, c’était la meilleure solution", confie Mme Delignières directrice du centre.
Comment refuser aujourd’hui d’apporter son témoignage pour montrer qu’il n’y a pas que des impasses ? J’ai réussi à m’en sortir seule, on peut également être accompagnée, le plus important c’est que le plus grand nombre sache que c’est possible.
"La vidéo c’était une première, une expérience magique. Tant qu’on m’apporte d’autres idées qui peuvent aider à ce que des hommes ou des femmes se sortent de leurs monstres, je serai toujours partante", abonde Julie*, dont l’histoire a largement inspiré l’ensemble des courts-métrages.
"Je faisais des gâteaux pour l'apaiser"
Pour toucher le plus grand nombre, les femmes ont raconté leur parcours lors de trois ateliers d’écriture organisés par la toute jeune association La Francelinade, portée par des étudiants "entre 20 et 23 ans", précise son président Allan Masson.
D’abord, il a fallu apprendre à se connaître, créer un climat de confiance : "Ce sont des femmes qui ont un lourd vécu, une nouvelle asso, deux jeunes débarquent qu’elles ne connaissent pas, c’est évidemment difficile de parler des agressions qu’elles ont subi ou dont elles ont été témoins, encore plus à des inconnus. Francelin, qui était l’un des deux intervenants, a été formé sur l’écriture de soi, il a proposé des tous petits exercices de deux, trois phrases et au fur et à mesure c’était de plus en plus facile d’écrire, les langues se sont déliées" raconte-t-il.
"L’ambiance était parfaite", confirme Sylvie. "Bien sûr que c’était difficile de faire remonter ces souvenirs, on ne peut pas s’empêcher de revivre la situation, de pleurer, mais être entourée de personnes qui ont vécu la même chose ou presque et d’autres très à l’écoute, ça nous a libéré. Parler a un effet thérapeutique pour moi et c’est vraiment ce que j’ai ressenti en participant à ce projet", souffle-t-elle. "Ça a été un échange merveilleux, il y a eu tout de suite de la compréhension de l’empathie. J’en tire quelque chose de magique", confirme Julie.
Une fois les témoignages partagés, les membres de l’association portée sur la production audiovisuelle ont façonné les textes pour les transformer en de courts scénarios. "L’idée était de rester au plus près du vécu des victimes et de créer trois histoires qui parleraient au plus grand nombre en exposant une diversité de situations, mais aussi de générations", reprend Allan Masson.
Quand j’ai interprété la femme qui fuit dans la rue, on m’a félicité. Mais je n’ai pas eu à me forcer. Quand on a un tel vécu, qu’on sait ce que c’est d’être confronté à quelqu’un qui nous veut du mal, c’est facile de se mettre à la place de cette femme. Le simple fait d’y penser fait remonter les angoisses.
Mais la phase d’écriture ne s’est pas arrêtée après les ateliers. "Julie qui a été la plus capable de s’exprimer a complètement repris certains dialogues le jour du tournage. Cela fait partie des moments les plus intéressants. Le moment de l’enregistrement de la voix off a été le dernier moment d’écriture. On a fait plusieurs essais, elle nous disait - ce n’est pas possible comme ça, personne ne réagirait comme ça, ça ne sonne pas vrai", relate Allan Masson.
Tournage auxquels les femmes ont été invitées à participer, selon leur ressenti. Là encore, l’écoute était au cœur du processus : "ça s’est fait naturellement. Je n’aurais pas été capable de préparer des gâteaux. Le troisième court métrage, c’est vraiment mon histoire. Cuisiner c’est ma passion et je faisais toujours en sorte de préparer des gâteaux pour qu’il soit apaisé en rentrant du travail, malheureusement c’était un leurre. Apporter ma voix, il n’y avait pas de souci, même si après le montage, écouter cette voix chargée d’émotion, ça a été difficile", expose Julie.
"Il faut aller plus loin et plus vite"
Pour Julie et Sylvie, il était avant tout essentiel d’offrir une lueur d’espoir. "L’ouverture de cette fenêtre, à la fin du troisième court métrage était vraiment très importante, très symbolique. Malheureusement, il y aura probablement toujours des violences, alors c’est important de leur donner le courage d’aller jusqu’au bout, de porter plainte", affirme Sylvie.
"Toutes les vidéos se terminent sur cette note positive, ce motif d’espoir, notamment inspiré par l’exemple de Julie qui s’en est sortie seule, c'était la volonté qui ressortait à l’issue des séances d’écriture. C’était aussi l’occasion de montrer que le CIDFF existe, qu’on peut se faire accompagner, que les choses peuvent changer. La vidéo, le fait que l’on soit très présent sur Instagram, c’est aussi important pour toucher la jeune génération", atteste le président de l’association La Francelinade.
Des avancées qui doivent se faire de concert avec les autorités publiques. "Il n’y a pas longtemps lors de l’Agora à Amiens (rencontre entre les associations), nous avons notamment parlé des numéros d’aides qui sont donnés à la télé et à la radio, mais on a l’impression qu’ils ne bougent pas. Trop souvent encore, quand on appelle la police, les victimes sont ignorées. On ne peut plus attendre qu’elles soient mortes pour se déplacer", poursuit-elle.
"Le plus terrible, aujourd’hui, c’est qu’on porte cette parole, on essaie de faire bouger les choses, mais que ce n’est pas suffisant. L’arrivée du bracelet anti-rapprochement est une bonne chose, mais il faut aller plus loin et plus vite", conclut Julie.
*Certains noms ont été changés.
Selon les chiffres recencés par le collectif Noustoutes, 22 femmes sont mortes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint depuis le 1er janvier 2021. Si vous êtes victimes ou témoins de violences conjugales vous pouvez vous tourner vers ce numéro d'aide : le 3919, numéro d'écoute, d'information et d'orientation ; et/ou signaler sur cette plateforme en ligne des violences conjugales, sexuelles ou sexiste.