"Je vais devoir recommencer ma vie à zéro" : accompagner les détenus vers le travail après la prison, un levier contre la récidive

L'insertion professionnelle est un moyen de lutte efficace contre la récidive. Pour aider les détenus à trouver un emploi à leur sortie de prison, un forum était organisé jeudi 3 octobre à la maison d'arrêt d'Amiens.

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Dans le gymnase aux murs jaune et vert de la maison d'arrêt d'Amiens, les équipements sportifs ont été poussés contre les murs pour installer de petites tables. Cinquante-trois détenus et quelques entreprises sont au rendez-vous pour ce forum de l'emploi organisé jeudi 3 octobre. 

"L'objectif est d'éviter de les replacer dans le même contexte, les mêmes difficultés qui les ont conduits à être incarcérés", résume Justine Degraeve, directrice fonctionnelle du SPIP (service pénitentiaire d'insertion et de probation) de la Somme. 

D'après les chiffres du gouvernement, "53 % des détenus n’ont aucun diplôme, seuls 9% dispose d’un diplôme de niveau égal ou supérieur au baccalauréat. En ce qui concerne la récidive, 59% des personnes sortant de détention font l’objet d’une nouvelle condamnation dans les cinq années suivant leur libération ; ce taux passe à 7 % quand ils bénéficient d’un accompagnement spécifique." Lors de leur entrée en prison, 65 % des détenus sont sans emploi. 

Le levier de l'insertion professionnelle semble donc essentiel : certains pays comme la Suède et la Finlande mettent depuis des années l'accent sur l'accompagnement des détenus vers l'emploi. Leur taux de récidive est deux fois moins élevé qu'en France. 

"Il ne faut pas rester sans rien faire quand on sort"

Parmi les candidats, Pierre*, la trentaine, doit encore passer un peu plus d'un an derrière les barreaux (les maisons d'arrêt comme celle d'Amiens regroupent les détenus qui ont des peines relativement courtes). S'il est venu au forum, c'est pour préparer un nouveau départ qui s'annonce difficile. 

"Je vais devoir recommencer ma vie à zéro, se projette Pierre. J'ai des dettes à payer, le trésor public et tout... Donc, il faut que je revienne dans le bon sens, j'ai besoin de travail. Pour que mes enfants soient fiers de moi, pour me faire pardonner pour les mauvaises choses que j'ai faites dans ma vie."

Je ne veux pas me sentir inutile. Je n'ai qu'une envie quand je vais sortir, c'est de re-travailler tout de suite

Jean*

Détenu à la maison d'arrêt d'Amiens

Déjà doté d'une expérience en restauration, c'est au stand d'une chaîne de brasseries qu'il présente son CV. Ce n'est pas son seul effort pour se rapprocher de l'emploi : "je vais travailler à la plonge de la prison dès que la place se libère, je suis premier sur la liste", assure-t-il. 

Cette liste est une liste d'attente, car les propositions d'activités dans les lieux de détention sont sous-dimensionnées par rapport au nombre de détenus. Le taux moyen d'occupation dans les maisons d'arrêt est de 154 %, celui de la maison d'arrêt d'Amiens, 149 %. Soit un tiers de détenus en trop, par rapport à sa capacité d'accueil. 

Pierre espère aussi pouvoir bénéficier d'un chantier extérieur, qui lui sera accordé ou refusé après une évaluation de son comportement. 

"Il ne faut pas rester sans rien faire quand on sort, j'ai toujours travaillé, depuis que je suis petit. Je ne veux pas me sentir inutile. Je n'ai qu'une envie quand je vais sortir, c'est de re-travailler tout de suite", espère Jean*, un autre détenu qui a déjà travaillé comme cariste. C'est donc à la table d'une sucrerie de la Somme qu'il est allé déposer sa candidature. 

Une deuxième chance 

La responsable de développement RH de cette sucrerie n'exclut pas de retenir certains CV déposés lors du forum. "Pour nous, c'est vraiment important de faire découvrir l'industrie sucrière à des gens éloignés de l'emploi, souligne Élise Bucamp. Potentiellement, on peut découvrir des talents, des gens qui ont connu d'autres choses et qui sont parfois plus motivés parce qu'ils veulent s'en sortir, tout simplement."

Du côté de la chaîne de brasserie, la recruteuse Pascale Mankowski est aussi là pour conseiller et orienter. Dans le cas de Pierre, "je lui ai conseillé de faire une immersion à sa sortie de détention, pendant une semaine ou deux dans un restaurant (...). Si ça se passe bien pour lui et l'employeur, pourquoi pas lui proposer un emploi par la suite."

Car recruter d'anciens détenus n'est pas un problème pour cette entreprise. "On a tous le droit à une deuxième chance, ajoute-t-elle. Chaque personne a son histoire, son passé, il ne faut pas faire de stigmatisation.

La loi et la réalité 

En principe, depuis 2009, les détenus sont soumis à une obligation d'activité, qui peut être un emploi, mais aussi une formation ou des activités culturelles et sportives.

En 2022, le gouvernement estimait que seuls 30% des détenus, soit 20 000 personnes, travaillent en prison. Vingt ans plus tôt, la moitié des détenus travaillaient. Une situation due au manque d'activités proposées et à la surpopulation carcérale.

"L’activité en détention est limitée par la faiblesse des offres existantes, la baisse de l'employabilité des détenus, la configuration des locaux, les exigences de sécurité ainsi qu’en maisons d’arrêt par la surpopulation carcérale", peut-on lire sur le site vie-publique.fr.

Conséquence directe de cette situation, les détenus tournent en rond dans leurs cellules surpeuplées. "Si l’offre théorique d’activité permet en principe à un détenu de sortir de cellule à de nombreuses occasions (visites, soins, travail, enseignement, promenade, activités diverses, etc.), la réalité est que ces activités sont si rares et restreintes que le temps réellement passé en cellule est très souvent supérieur à 20 heures sur 24 en moyenne, et parfois supérieur à 21 heures" constate le contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2023. 

Lorsqu'on lui demande son avis sur le forum du 3 octobre, Jean* indique d'ailleurs que "ça fait du bien, ça permet de sortir de la cellule." Le gouvernement s'est fixé l'objectif d'atteindre 50% de détenus en emploi pendant leur incarcération. 

Quant à l'insertion professionnelle en sortie de peine, les statistiques montrent l'ampleur de la difficulté : seuls 9 % des détenus ont un emploi à leur sortie et dans les douze mois qui suivent, ils ne sont que 16 % à réussir à retrouver du travail. 

*Les noms des détenus ont été modifiés.

Avec Gaëlle Fauquembergue / FTV

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