L'histoire du dimanche - Le procès rocambolesque d'Alexandre Marius Jacob, anarchiste et cambrioleur

C'est le plus gros procès de l'histoire judiciaire de l'époque. Après avoir été arrêté près d'Abbeville dans la Somme, Alexandre Marius Jacob sera jugé à Amiens en mars 1905. Il profitera de l'occasion pour véhiculer l'idéologie anarchiste, lui qui avoue avoir réalisé 156 cambriolages pour la cause. (Première publication le 20/09/2020).

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"Vous savez maintenant qui je suis : un révolté vivant du produit des cambriolages. De plus, j’ai incendié plusieurs hôtels et défendu ma liberté contre l’agression des agents du pouvoir. J’ai mis à nu toute mon existence de lutte, je la soumets comme un problème à vos intelligences. Ne reconnaissant à personne le droit de me juger, je n’implore ni pardon ni indulgence. Je ne sollicite pas ceux que je méprise et que je hais. Vous êtes les plus forts ! Disposez de moi comme vous l’entendez ; envoyez-moi au bagne, à l’échafaud, peu m’importe ! Mais avant de nous séparer, laissez-moi vous dire un dernier mot."

Ce dernier mot, Alexandre, dit Marius Jacob, ne le prononcera jamais dans la salle d'audience du palais de justice d'Amiens. Suite à une série d'incidents, lui et plusieurs autres coaccusés seront expulsés dès la 6e audience. Sa dernière déclaration sera alors publiée dans le journal Germinal.

Depuis le début des audiences, le 8 mars 1905, Jacob en est à sa 8e déclaration. De longues explications sur ses centaines de cambriolages commis au nom de l'anarchisme. Son banc des accusés sera sa tribune, où il tentera d'être le plus convaincant possible. Pas assez pour éviter le bagne, mais suffisamment pour retourner l'opinion publique en sa faveur. C'est grâce notamment à son sens de la répartie que son procès restera dans les annales.

Voler pour la cause

Pour comprendre le personnage, il faut revenir plusieurs années en arrière. Né à Marseille en 1879, Jacob est nourri aux lectures anarchistes. Dès l'âge de 18 ans, il est fiché par la police. "Il se fait avoir en tant que gamin, on lui donne une brochure avec des recettes d'explosifs et la police tombe dessus. C'est l'engrenage, ils ne le lâcheront plus", indique Jean-Marc Delpech, auteur d'une thèse, de plusieurs ouvrages et d'un blog dédié à Alexandre Jacob.

Plus la police est à ses trousses, plus Jacob commet d'infractions. "Il adhère à une mouvance anarchiste qu'on appelle l'individualisme qui considère que l'individu doit se libérer tout seul et qui estime que le vol est une arme révolutionnaire, au même titre que la grève et le sabotage. Très tôt, il a une dialectique et une rhétorique anarchiste. On ne peut pas comprendre le vol si on ne comprend pas ça. C'est un bonhomme qui ne vole pas pour voler, il vole pour la cause", explique l'historien.

En 1900, il monte sa bande : "les travailleurs de la nuit" à Sète chez un anarchiste nommé Saurel. "Ce n'est pas une bande au sens traditionnel du terme, c'est une bande qui est mouvante, chacun s'agrège à un cambriolage en fonction de ses envies. J'ai réussi à recenser une quarantaine de noms. La presse de l'époque parle d'ailleurs "des quarante voleurs". Grossièrement, il y a une douzaine de noms qui reviennent constamment", précise Jean-Marc Delpech. Sa mère, Marie Jacob et sa compagne Rose Roux font partie du mouvement.

Bandit, c'est son métier

Grâce à sa bande, Jacob réussit à professionnaliser la fonction. Bandit, c'est son métier. "Sa dernière compagne m'a dit que quand il partait en tournée de cambriolage, il avait sa sacoche et avait l'impression d'être un ouvrier qui allait à l'usine, confie Jean-Marc Delpech. En vérité, il a élevé le vol à un niveau quasiment industriel." D'ailleurs, lorsque le président du tribunal d'Amiens lui demandera pourquoi il cambriolait en province, Jacob répondra : "parce que je fais de la décentralisation."

À travers la France, "les travailleurs de la nuit", cambriolent uniquement les bourgeois, les rentiers, les nobles. Les "parasites sociaux" dans la dialectique anarchiste. "En revanche, il y a des gens qu'ils ne volent pas, parce qu'ils sont utiles socialement : les écrivains, les instituteurs, les médecins, explique Jean-Marc Delpech. Par exemple, quand il s'est rendu compte qu'il était en train de cambrioler l'écrivain et officier Pierre Loti, il a tout remis en place sans rien prendre."

Comme pour une entreprise, Jacob impose des règles, notamment le principe de 10 % des gains des cambriolages reversés à la cause. "Ce principe sera très vite remis en question. Tout le monde ne va pas faire comme lui", indique Jean-Marc Delpech. Pourtant, Jacob, fidèle à ses convictions, s'y tient. "On ne sait pas exactement ce qu'il a fait de tout cet argent. La police sera étonnée quand elle va mener l'instruction de voir que ce bonhomme-là, à qui on attribue plus de 4 millions de francs de vol à l'époque, vivait chichement dans le 19e arrondissement de Paris, dans un garni", poursuit l'historien.

Jacob avoue au total avoir réalisé 156 cambriolages, dont 76 seront examinés au procès d'Amiens. "On ne connaît pas précisément le chiffre exact. À priori, ce sont plutôt 300, à raison de deux cambriolages par semaine entre 1900 et 1903", estime Jean-Marc Delpech. La série prendra fin dans la Somme.

Fin de la partie à Abbeville

Le 22 mars 1903, Jacob et deux de ses complices, Felix Bour et Léon Pélissard, projettent de cambrioler la maison de la veuve Tilloloy à Abbeville. Alors qu'ils sont sur le point de s'y introduire, ils sont repérés par un voisin. Ils décident alors de s'enfuir en direction de Pont-Rémy, commune située à 10 km de là, pour prendre un train vers Boulogne. À l'arrivée du train, descendent deux agents de police avertis d'une tentative de cambriolage dans le coin. Une bagarre éclate entre les deux hommes, Jacob et ses complices. L'un des agents mourra, l'autre sera grièvement blessé et les trois cambrioleurs évaporés dans la nature.

Jacob sera arrêté 11h plus tard à Airaines. "On s'aperçoit que finalement il, va faire un énorme tour. Et ce tour cause sa perte parce qu'il est complètement épuisé. Une voiture va finir par s'arrêter avec le procureur de la République à l'intérieur. C'est fini pour lui", raconte Jean-Marc Delpech. Les deux complices seront également arrêtés. Deux ans plus tard, le procès débute.

2 000 militaires sécurisent le procès

En 1905, toute la presse est devant le palais de justice d'Amiens. 2 000 militaires sont chargés d'assurer la sécurité. "C'est un procès énorme. Il se tient surtout dans un contexte d'insécurité. Depuis 1885, ce thème est récurrent. On est en pleine Belle Époque, des vols, il y en avait tout le temps", précise Jean-Marc Delpech.

Le parcours de Jacob depuis l'ancienne prison de Bicêtre (dans l'actuel quartier de la Hotoie) jusqu'au palais de justice est quadrillé. "Il y a 2 km à pied. Tout est calculé au millimètre près pour le parcours, pour la surveillance. Pour qu'il n'y ait pas le moindre problème. Il y a un gros groupe anarchiste qui va soutenir Jacob donc ça maintient la pression", indique l'historien.

Les réparties sont cinglantes, les coups d'éclats sont parfois brillants. L'un des journaux de l'époque écrit même : "On n'est plus au palais de justice, on est au Grand palais". C'est la foire.

Jean-Marc Delpech, historien

Mais le procès de Jacob et de 22 autres co-accusés, qui débute le 8 mars 1905, va vite prendre une autre tournure. "À partir du moment où Jacob est arrêté on passe dans une autre pratique militante qui est de la propagande, souligne Jean-Marc Delpech. Jacob retourne la situation, il sait qu'il va être condamné, il n'a plus rien à perdre." L'accusé étonne son auditoire par son aplomb et son sens de l'humour. "Les réparties sont cinglantes, les coups d'éclats sont parfois brillants. L'un des journaux de l'époque écrit même : "On n'est plus au palais de justice, on est au Grand palais". C'est la foire", relate l'historien.

Jacob réussit surtout à convaincre une partie de l'opinion publique. "Ce n'est plus le bandit sinistre, les gens vont avoir de la sympathie pour lui. Il y a des cartes postales qui sont éditées. On voit la foule qui se masse devant le tribunal. Lorsqu'il sera transféré à Orléans pour son deuxième procès, certains vont même lui tendre des sandwichs", affirme l'écrivain.

Après le bagne, une vie "plus tranquille"

Au terme des 15 jours de procès, la sentence tombe : le bagne à perpétuité. Il sera envoyé sur l'île du Salut, en Guyane, où il restera 19 ans avant d'être finalement rapatrié en France puis relâché. "Sa mère, acquittée au procès de Laon, a tout fait pour faire sortir son fils. Elle a tissé un réseau incroyable. Et finalement ça marche, sa peine est réduite à 5 ans en métropole. Elle réussit à avoir une deuxième remise de peine et il sort de la prison de Fresnes en 1927", explique Jean-Marc Delpech.

Un avocat lui trouve un travail de chef d'atelier dans un magasin qui sous-traitait pour Le Printemps. "Ce qui est drôle pour un anarchiste", lance l'historien. Sans surprise, le métier ne lui convient pas. "Il deviendra alors marchand forain à Paris puis dans le Berry où il aura une vie plus tranquille. Encore que, en 1936, il part quand même faire la guerre en Espagne. Je vous laisse deviner de quel côté", sourit l'écrivain.

La légende dit qu'il aurait réalisé un dernier cambriolage. "Il aurait remarqué une maison avec un portant en or. Ça l'a tellement choqué qu'il l'aurait volé et l'aurait remplacé par du cuivre. Mais rien dans les sources ne le prouve", précise Jean-Marc Delpech. Jusqu'à sa mort, Alexandre Marius Jacob restera fidèle à ses convictions. "Il décide de se suicider en 1954 à l'âge de 75 ans. Il commençait à être malade, il ne voulait pas dépendre des autres", explique l'historien.

Le 28 août 1954, Jacob organise son suicide de manière à ce qu'on le trouve le dimanche, un moment où on ne pouvait pas le réanimer. Tout est calculé. Il prend même le soin de laisser une lettre dans laquelle il est écrit : "Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. Vous trouverez deux litres de rosé près de la panetière. À votre santé."

Il sera enterré près de sa mère à Reuilly, dans l'Indre. Reuilly où se trouve aujourd'hui encore, l'impasse Marius Jacob.

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