"C'était une grande histoire d'amour" : le château Mennechet, dernier vestige d'un domaine extravagant et inachevé

Sur les hauteurs de Chiry-Ourscamp dans l'Oise, un édifice en ruines regarde passer le temps depuis plus de 150 ans. Dernier vestige d'un domaine sur lequel trônaient deux manoirs et une tour de 42 mètres, le château Mennechet est tout ce dont il n'a pas l'air. C'est l'histoire du dimanche.

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On dirait un dandy déchu et sans le sou. Dont les atours, autrefois raffinés, aujourd'hui mités par la ruine, sont tout ce qui lui reste de sa splendeur passée. Un dandy rococo et grandiloquent qui garde pourtant une certaine superbe.

Depuis près de 150 ans, le château Mennechet regarde vivre le village de Chiry-Ourscamp qui s'étend au pied des 13 hectares de son domaine.

Figé dans un autre temps, ce géant de pierre est intrigant à bien des titres. Son aspect, effilé, interpelle celui qui l'examine avec attention : 60 m de long sur 9 m de large et 40 m de haut, le tout découpé par près de 70 hautes fenêtres.

Un propriétaire riche et amoureux

"Quand j’ai commencé à faire des recherches en 1994, tout le monde me disait 'c’est le château' et c’était tout. Et quand je demandais comment il avait été détruit, on me disait 'c'est la guerre'. Sorti de ça, tout était dit, raconte Jean-Yves Bonnard, maire de Chiry-Ourscamp et professeur d'histoire. En travaillant sur la question, je me suis rendu compte qu'il n’a jamais été destiné à être habité. Il a été construit pour être un musée. En fait, c'est une galerie, extrêmement éclairée, avec des fenêtres très hautes et très nombreuses. C’est un bâtiment d’architecte qui a été construit pour un usage précis : l’exposition d’œuvres d’art."

L'édifice n'est effectivement rien de ce qu'il paraît : ce n'est donc pas un château, son état n'est pas uniquement dû à des destructions et il n'était pas seul sur le flanc de ce coteau qui domine la vallée de l'Oise. Il est le dernier souvenir des deux amours d'Alphonse Mennechet de Barival, son bâtisseur : son amour pour l'art et celui pour sa femme, Henriette-Caroline.

Alphonse Mennechet - "il ajoutera de Barival plus tard", indique Jean-Yves Bonnard - naît en 1812 à Saint-Quentin dans une famille d'industriels drapiers. Vers 1834, il tombe éperdument amoureux de sa cousine Henriette-Caroline Paillet. La jeune femme, d'un an sa cadette, est la fille unique d'un expert auprès des musées nationaux et collectionneur d'art : Charles Paillet est en effet l'un des fondateurs de l'hôtel des ventes de la rue Drouot. Élevée dans la riche société parisienne, elle reçoit une éducation très artistique et érudite.

Une fois marié, le couple s'installe rue Grange-Batelière, dans le très chic 9e arrondissement de Paris. Alphonse est lui aussi devenu expert auprès des musées nationaux et collectionneur d'art. Henriette-Caroline Mennechet de Barival, elle, s'adonne à sa passion pour la musique. Elle compose plusieurs pièces pour piano qui ont un certain succès. Elle écrit également quelques poèmes et nouvelles que Victor Hugo qualifiera de "littérature charmante". La jeune femme compte en effet de nombreux artistes renommés parmi ses amis qui viennent régulièrement chez elle faire salon. L'ouvrage Une chère mémoire, dédié à la gloire d'Henriette-Caroline Mennechet de Barival et publié en 1889, égrène les noms des visiteurs : Théophile Gautier, Eugène Sue, Lamartine, Balzac ou encore Eugène Delacroix :

"Ce livre évoque la période entre 1840 à 1860 où Mennechet de Barival vivait à Paris et où il y tenait salon, indique Jean-Yves Bonnard. L'auteur est anonyme mais on suppose très fortement que c’est lui qui l'a écrit. Le livre est entièrement consacré à sa femme et ses mérites. Apparemment, c’était une grande histoire d’amour."

Deux manoirs et une Folie

Riche grâce à son activité d'expert et la fortune de sa femme, Alphonse Mennechet de Barival investit son argent dans l'art et dans la terre. Vers 1855, il achète plusieurs dizaines d'hectares à Chiry-Ourscamp : "on dit qu'il a choisi la commune parce qu'elle est à mi-chemin entre Saint-Quentin et Paris et qu'il y a une gare. À l’époque, il y a aussi une grosse filature de coton dans le village, selon Jean-Yves Bonnard. Le lien se fait-il par le textile ou est-ce seulement une question géographique ? On n’a pas tout démêlé. Ce qui est certain, c’est que c’était une personnalité dans la commune, qu’il achetait beaucoup de terres. Il était également propriétaire des biens dans les communes voisines. Il avait de grosses fermes. Il a beaucoup investi dans la pierre. À Ribécourt-Dreslincourt, il avait ouvert un hospice qui est aujourd’hui un institut médico-professionnel."

C'est à la même époque qu'Alphonse Mennechet de Barival fait construire sur le flanc de la montagne d'Attiche, également appelé le mont Conseil, les premiers éléments de son futur domaine : deux petits manoirs, l'un pour y habiter, l'autre pour abriter sa collection de peintures, de sculptures, de mobilier divers et de faïences qui s'étoffe. Les deux bâtisses, en pierre de taille, affichent le style très éclectique du Second Empire :

"On n’a pas d’éléments factuels qui permettraient une datation des manoirs, nous apprend Jean-Yves Bonnard. Le seul élément de datation que l’on ait, c’est pour la tour : en 1863, un enfant s’est tué en en tombant. Ça veut dire qu’en 1863, elle était construite."

Cette tour, c'est le deuxième élément du domaine Mennechet de Barival. L'élément le plus triste de l'histoire : en 1861, Henriette-Caroline meurt de maladie. Alphonse est dévasté. Il fait alors construire, sur le deuxième replat de la montagne d'Attiche, un mausolée en hommage à son épouse, enterrée au cimetière de Montmartre. Une Folie de 42 m de haut, rythmée par plus de 230 marches au style mauresque très surchargé, inédit dans la région et dans laquelle il allait régulièrement se recueillir.

Alphonse Mennechet de Barival s'installe dès lors définitivement à Chiry-Ourscamp dont il devient le maire en 1865. Fonction qu'il occupera jusqu'en 1881. C'est à cette époque qu'il décide de parachever son domaine en lançant la construction de son musée-galerie, entre la tour et les manoirs.

Un château qui n'en est pas un

L'idée est d'y transférer ses œuvres d'art pour leur offrir un bel écrin. "Il y a des dates sculptées sur le fronton : 1882 et 1884. La façade est extrêmement ouvragée : il y a 96 colonnes. C’est très très sculpté. C’est même surchargé comme bâtiment. On n’a pas du tout de photos du chantier. Aucune information. Simplement ça et là, des témoignages de personnes qui y ont travaillé. Parce que Mennechet de Barival était considéré comme un bienfaiteur, une sorte de philanthrope dans la commune : il faisait travailler les habitants du village en dehors de la saison des moissons pour qu’ils aient un peu d’argent. Il est quand même allé très loin dans ce chantier : il a fait déplacer à ses frais le chemin qui, à l’origine, passait à mi-coteau entre le château et la tour pour qu’il ne passe plus dans sa propriété. Ce qui n’est pas forcément une bonne chose parce qu’il a été remplacé par un chemin plus abrupt et qui est aujourd’hui sujet à des ravinements. Mais ça, c’est mon problème de maire d’aujourd’hui !"

Mais cette dernière construction ne va pas aller plus loin. "Le bâtiment n’a jamais été terminé. Les toits ont été posés mais il n’y a jamais eu de planchers, de fenêtres. Uniquement les ouvertures. Il est resté en l'état ouvert à tous les vents. Il ne restait plus grand-chose à faire dans le château. Il était hors d’eau. C’était vraiment bien avancé. Il ne restait plus que les menuiseries à l’intérieur à mettre."

Quand les travaux s'arrêtent-ils ? On ne sait pas. Pour quelle raison ? On ne le sait pas plus. On ne peut que faire des suppositions. Peut-être Alphonse Mennechet de Barival avait-il perdu, avec la mort de sa femme, son goût pour l'art. Cessant dès lors d'agrandir une collection d'œuvres qui n'étaient pas en nombre suffisant pour justifier un château-musée. Peut-être a-t-il été gagné par la lassitude de voir les travaux s'éterniser, d'autant qu'il avait alors plus de 70 ans.

Il meurt en mai 1903 dans l'un des deux manoirs de sa propriété de Chiry-Ourscamp. Il cède par testament sa collection au musée Antoine Lecuyer, "notamment des pastels de Quentin Delatour". Il fait des legs à la ville de Saint-Quentin. De l'argent mais aussi sa maison familiale pour qu'elle devienne un hospice pour femmes.

Mais sans enfant, le reste de sa fortune et de son patrimoine immobilier revient à un lointain cousin, Louis Hugues. Issu lui aussi d'une famille de filateurs saint-quentinois, il ne reprendra pas les travaux du château-musée. "À l’époque, il y a l’impôt sur les fenêtres. Et sur le château, ça allait être un coût conséquent. C'est peut-être pour ça qu'il n'a pas repris le chantier. Mais je pense surtout que c'est parce que ce neveu n’était pas la personne la plus à même d’entretenir un tel patrimoine", avoue Jean-Yves Bonnard.

Un neveu dépensier et une guerre mondiale

L'homme, très dépensier, dilapide en effet sa fortune personnelle et celle d'Alphonse Mennechet de Barival. À tel point que son propre père le fait placer en minorité (sous tutelle, ndlr) pour contrecarrer ses tendances dispendieuses.

Pendant ce temps, les manoirs, la Folie et le château-musée de Chiry-Ourscamp commencent à subir les outrages du temps. Mais c'est surtout la Première Guerre mondiale qui va être dévastatrice pour le domaine Mennechet de Barival.

Au déclenchement de la guerre, celui qui s'appelle désormais Louis Hugues-Mennechet est toujours propriétaire du domaine. Sa femme et sa fille Geneviève, née en avril 1914, vivent sur place. Elles ne quitteront les lieux qu'en 1917 pour se réfugier à Paris et fuir les intenses combats qui déchirent le secteur. "Pendant trois ans, Chiry-Ourscamp est en troisième ligne de front, précise Jean-Yves Bonnard. On est occupé par les Allemands de 1914 à 1917 et on subit les bombardements français. Puis en mars 1917, lors du repli allemand, on a souffert de la destruction systématique de tous les bâtiments du village. Et lors de l’offensive entre mars et août 1918, on s’est retrouvé au milieu de la deuxième phase des batailles de Picardie."

Le conflit va laisser des blessures indélébiles au domaine Mennechet. La Folie, symbole de l'amour d'Alphonse pour Henriette-Caroline, n'est plus qu'un tas de gravats depuis que les Allemands l'ont littéralement mise à terre décembre 1914 :

Des manoirs, il ne reste quasiment plus rien. Quant au château-musée, une grande partie des toitures et de la charpente a été détruite par les bombardements.

L'ampleur des dégâts est telle que la famille Hugues-Mennechet ne reviendra jamais à Chiry-Ourscamp. Laissées à l'abandon, les ruines vont être utilisées par certains habitants de la commune pour reconstruire leur maison. Des pierres auraient même été revendues pour servir à rebâtir d'autres communes.

Le neveu héritier d'Alphonse et sa femme meurent dans les années 20, laissant à Geneviève, leur fille, un héritage suffisamment conséquent pour qu'elle en vive jusqu'à sa mort en 1991. Elle ne reviendra dans le village de sa prime enfance qu'en 1934 pour se marier à un comte.

Abandonné et envahi par la végétation

Le domaine Mennechet va, pendant ce temps, être peu à peu effacé du paysage. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune trace visible de la Folie et des manoirs. "Le château avait encore des toits dans les années 50. Mais tout est tombé petit à petit, selon Jean-Yves Bonnard. Et personne ne s’est vraiment préoccupé de ça. Il n’y a jamais eu vraiment d’intention de préservation. Il n’y a pas eu tant de propriétaires que ça. Le château est resté propriété des Hugues-Mennechet jusque dans les années 1970. Il a été une première fois vendu pour changer à nouveau de main en 2008. Depuis c'est le même propriétaire. Quand il a acquis le site, il a enlevé toute la végétation. Ce qui est un bien parce que la végétation a tendance à desceller les pierres. Il a enlevé aussi des pierres qui étaient instables. Mais ça s’est arrêté là." C'est à l'occasion de ce grand débroussaillage que des caves ont été découvertes à l'emplacement des manoirs.

En 2006, Jean-Yves Bonnard et l'association Prométhée dont il était le président déposent un dossier pour que le château-musée soit inscrit au titre des Monuments historiques. Une première demande rejetée et finalement acceptée en 2011.

Un titre dont le château Mennechet ne semble guère s'enorgueillir. Figé dans un autre temps, il regarde vivre Chiry-Ourscamp, gardien gigantesque et fier de la mémoire de son bâtisseur, amoureux des arts et surtout d'une artiste. Aujourd'hui, le nom d'Alphonse figure sur le tableau des maires et sur des panneaux touristiques récemment installés tandis que celui d'Henriette-Caroline a été donné à la bibliothèque du village. Le château-musée jamais achevé n'est désormais plus seul à veiller au souvenir des Mennechet de Barival.

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