Mercredi 21 juin, un décret du conseil des ministres actait officiellement la dissolution des Soulèvements de la Terre, un collectif d'organisations de lutte pour la préservation de l'environnement. En Picardie, cette décision provoque l'inquiétude des associations écologistes.
Depuis le 21 juin, le collectif d'organisations de défense de l'environnement baptisé les Soulèvements de la Terre est officiellement dissout, suite à la publication d'un décret par le conseil des ministres.
La décision fait réagir le monde politique, la députée Renaissance de la Somme Barbara Pompilly, ex-ministre de la transition écologique, s'interroge ainsi dans les colonnes de Libération : "Dès qu'une association transgresse la loi, il faudrait la dissoudre ? Ça peut aller loin, on prend le risque d'ouvrir la boîte de Pandore".
Pour les associations de défense de l'environnement picardes, qu'elles s'associent ou pas aux Soulèvements de la Terre, l'annonce du 21 juin fait l'effet d'une douche froide.
Inquiétude, découragement, choc et solidarité
"Nous sommes tous très inquiets de cette décision qui participe à la dynamique de criminalisation que l'on constate depuis quelques mois, souligne Alexandre Wettstein au nom du groupe Alternatiba Amiens. Il y a de quoi en refroidir plus d'un. Nous ne revendiquons pas d'association avec les Soulèvements de la Terre, mais nous soutenons les mêmes luttes. Nous sommes aussi inquiets que le gouvernement reprenne un lexique d'extrême droite..."
Le mot "criminalisation" est sur toutes les lèvres. En juin, sur l'ensemble du territoire français, au moins 30 militants écologistes ont été interpellés suite à des actions de désobéissance civile.
Du côté de Gamaches, Guillaume B. fait partie d'un collectif local des Soulèvements de la Terre. Il ne donnera que son prénom pour "préserver la vie professionnelle et familiale... Et puis, si on veut être efficaces, il faut rester discret".
"Hier, lors de l'annonce, on était découragés, ajoute Guillaume B. On nous traite comme des criminels, des camarades se font interpeler par la lutte antiterroriste, c'est incroyable". Lui et ses compagnons de lutte ont ensuite participé à la marche de soutien organisée à Rouen et le découragement a fait place à la détermination de "faire revivre" les Soulèvements de la Terre.
"Nous sommes solidaires face à cette dissolution qui est une décision violente", affirme quant à lui Jean-François Dubost, porte-parole de l'association Patat', qui lutte contre le projet de ZAC Borealia 2 depuis le mois d'août 2022.
"C'est très choquant et cela pose question sur la liberté de conscience et de manifestation... On parle de personnes qui luttent pour le vivant et la planète, l'objectif est de protéger la terre, c'est très dur pour eux d'être associés à une image de violence. La violence, c'est par exemple de priver les gens d'eau avec les mégabassines", indique Hélène Magnier, membre du collectif Sauver le Beauvaisis, opposé à l'agrandissement de l'aéroport de Beauvais.
Faut-il désobéir ?
C'est le recours à la violence, notamment la violence contre les biens avec les actions de sabotage menées à Sainte Soline en mars 2023, qui est invoqué par le gouvernement pour justifier la dissolution des Soulèvements de la Terre. Mais loin de constituer un débordement, les actions de désobéissance civile sont pensées par les militants écologistes comme un mode d'action politique.
"Si on nous écoutait, on n'en arriverait pas là : cela fait 50 ans qu'on alerte sur le dérèglement climatique, nous sommes obligés de passer à la vitesse supérieure, rappelle Alexandre Wettstein. Lorsque nous faisons des actions de désobéissance civile à Alternatiba Amiens, nous le faisons à visage découvert car nous sommes certains du bien fondé de notre action, mais nous nous posons maintenant beaucoup de questions sur la surveillance et la répression."
Pour Alexandre Wettstein, la désobéissance est un moyen d'interpeler le monde politique "pour qu'il fasse son travail. Car nous avons besoin de règlementation."
Guillaume B., lui, n'attend plus rien du gouvernement : "Ils réactivent tous les gros projets, comme le Canal Seine-Nord Europe, le contournement de Rouen... Dès les amendements sur la rénovation thermique, on a compris qu'ils n'en avaient rien à faire." Lui et ses camarades préfèrent agir en soutien à des associations et collectifs qui se mobilisent dans des luttes, comme actuellement contre la ligne très haute tension qui doit relier Amiens et Petit-Caux.
L'association Patat' choisit pour sa part de mobiliser le recours juridique pour lutter contre la ZAC Borealia 2. "Le politique devrait redevenir un mode d'action, les initiatives individuelles sont insuffisantes, mais nous croyons que les contrepouvoirs peuvent orienter l'action publique, explique Jean-François Dubost. On essaie de stigmatiser la désobéissance civile, mais beaucoup de luttes ont été remportées grâce à elle. Ce n'est pas une décision qu'on prend à la légère, un débordement spontané, c'est pensé et débattu dans les mouvements, c'est un engagement intellectuel".
Les luttes continuent
Qu'ils luttent contre une ligne très haute tension, une ZAC ou encore l'agrandissement de l'aéroport de Beauvais, Alternatiba Amiens, l'association Patat' et les Colibris de Gamaches seront présents le 28 juin à Amiens. Une manifestation est prévue devant la préfecture, en soutien aux Soulèvements de la Terre.
"C'est une façon de montrer la diversité des mouvements, bien loin de l'image que certains médias veulent nous coller", affirme Jean-François Dubost. Il espère que ce type de manifestation festive pourra attirer de nouvelles personnes vers la mobilisation.
"Monsieur Darmanin nous a fait un coup de pub, on est en milieu très rural et on a reçu des candidatures, s'amuse Guillaume B., un autre collectif en a reçu une quinzaine juste après l'annonce de la dissolution !"
Le collectif Sauver le Beauvaisis organise pour sa part une marche pacifique le samedi 24 juin à 11h, qui partira sous le pont de Paris, pour protester contre l'extension de l'aéroport.
Unanimement, ces associations soulignent qu'elles voudraient se sentir mieux soutenues par les élus politiques locaux. Mais elles ne perdent pas espoir. "Quand on tape trop sur les gens, ça les révolte, ça peut donner envie aux sympathisants de rejoindre la lutte", espère Hélène Magnier.