Depuis quelques jours, plusieurs familles se retrouvent à la gare d'Amiens chaque soir, espérant obtenir une place d'hébergement d'urgence pour la nuit.
Chaque soir, la gare d'Amiens permet aux familles sans-abri de ne pas être dehors, jusqu'à la fermeture après l'arrivée du dernier train. Assis sur les chaises du hall d'attente, leurs enfants auprès d'eux, les parents appellent tous le 115, dans l'espoir d'obtenir une place d'hébergement d'urgence.
Delfina et Luis ont quatre enfants, dont la plus jeune a seulement sept mois. Depuis le début de l'année, ils sont en grande difficulté. Leur demande de titre de séjour a été rejetée, malgré la scolarisation de leurs enfants à Amiens.
"Ils ont refusé parce que nous n'avons pas de promesse d'embauche, explique Delfina. Malheureusement, c'est très compliqué pour en trouver. Quand on trouve du travail, on nous demande les papiers, mais nous ne les avons pas, parce que nous n'avons pas de promesse d'embauche. Nous avons la volonté, la force, la motivation, mais nous n'avons pas l'opportunité."
"Ma petite de sept mois tousse beaucoup"
Sans papiers et sans logement, ils sont contraints de chercher chaque jour une solution pour passer la nuit. Une situation qui pèse sur le moral des parents, et sur la santé des enfants. "En ce moment, ma petite de sept mois tousse beaucoup, précise Luis. À l'hôpital, ils nous ont donné des médicaments, mais après la toux recommence. Même la pédiatre nous dit que la situation de notre fille, c'est parce qu'on n'a pas d'habitation. Ma fille de trois ans à l'école a eu beaucoup de problèmes, elle pleure beaucoup, elle a dû mal à prêter attention parce qu'elle est fatiguée."
Ce dimanche soir, Delfina et Luis ont eu de la chance. Le Samu social leur a proposé une solution. Mais comme chaque soir, il n'y a pas de place pour tout le monde. Plusieurs familles ont fini par se diriger vers des parcs de la ville, pour y passer la nuit, avec les couvertures de survie fournies par le Samu social.
C'est usant, tous les jours, de passer les journées dans les parcs, de dormir dans les parcs, exposés au froid
Un homme sans-abri, père de trois enfants
"C'est usant, tous les jours, de passer les journées dans les parcs, de dormir dans les parcs, exposés au froid. (...) Il n'y a pas de mots suffisants pour expliquer comment ça se passe. Il faut le vivre pour savoir ce qui se passe la nuit", confie un homme qui a déjà passé trois nuits dans un parc avec sa femme et ses trois enfants.
Sans fermer l'œil. "Comment tu peux dormir, avec des enfants ? Il faut toujours veiller sur eux." Chaque jour relève de la survie. "Nous sollicitons la clémence des autorités, qu'ils puissent nous aider... Juste ça. (...) Je pense qu'ils travaillent pour ça, mais on passe vraiment des moments difficiles."
Vers 23h30, le Samu social est venu apporter des boissons chaudes, bouteilles d'eau, soupes couvertures de survie. D'après RESF, ce soir-là, une famille a fini par dormir dans un parc près de la place Vogel, et deux autres dans des halls d'immeubles. Elles étaient toutes, auparavant, hébergées rue de la Croix-Rompue, un dispositif mis en place pour l'hiver qui a fermé ses portes le 30 avril.
RESF déplore un manque de place d'hébergement d'urgence
Pour les bénévoles du Réseau éducation sans frontières (RESF), il est urgent d'augmenter de manière conséquente les places d'hébergement d'urgence. C'est ce qu'ils ont demandé lors de leur audience avec la préfecture et la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), le 2 mai.
"Ils disent que tout ce qu'ils doivent faire comme effort dans l'hébergement se fait sans dépenser d'argent supplémentaire, car ils n'ont pas de crédits supplémentaires de l'État, et qu'ils essaient de rogner par-ci par-là les dépenses", relate Didier Cottrelle, l'un des bénévoles venus plusieurs fois à la gare pour aider ces familles. "On leur apporte du réconfort, ça leur permet d'avoir un moment de soutien." Il a également ramené quelques livres pour occuper les enfants.
Aucun enfant en situation de détresse à la rue n'a été évalué par le SIAO dans la Somme récemment.
Préfecture de la Somme
Dans un communiqué, ce samedi 4 mai, la préfecture assure que "la situation des personnes à la rue fait l'objet d'une surveillance permanente des services de l'État" par le biais du SIAO, c'est-à-dire le 115, et que "les solutions sont toujours recherchées en fonction de la vulnérabilité des personnes rencontrées". Elle ajoute : "aucun enfant en situation de détresse à la rue n'a été évalué par le SIAO dans la Somme récemment".
Concernant les personnes déboutées du droit d'asile, c'est-à-dire la majorité des cas des familles qui sont à la gare le soir, la préfecture précise qu'elles peuvent être orientées "vers le dispositif DEPAR, l'accueillant le temps de mettre en œuvre son départ du territoire". Une proposition souvent rejetée par les familles, qui ne souhaitent pas quitter la France. Les services de l'État précisent toutefois que les familles ayant des enfants de moins de trois ans, quelle que soit leur situation administrative, bénéficient d'une "prise en charge privilégiée par le Conseil départemental".
Le RESF alerte toutefois sur cette situation qui pourrait s'aggraver dans les mois à venir. Un centre d'hébergement d'urgence hivernal vient de fermer. Un second a été maintenu jusqu'au 30 juin, sans certitude pour la suite. "On est là pour que tout le monde comprenne que les personnes qui sont dehors, ça ne va pas arrêter d'augmenter. Je ne vais pas parler de désastre humanitaire, mais on n'en est pas loin, car cet été, un tas d'enfants va dormir dans la rue. Là, il y en a déjà beaucoup."
L'association a écrit un nouveau courrier aux services de l'État pour les alerter sur la situation.