À 38 ans, Matthieu Dècle a toujours souhaité devenir pilote de ligne. Mais c'est en tant que kiné qu'il débute sa carrière professionelle, toujours un regard vers le ciel. À force de persévérance, il parviendra finalement à réaliser son rêve.
Avec ce genre de gaillard les possibilités sont infinies quand on a le même filtre sur les yeux que lui : le rêve. La première fois que j’ai rencontré Matthieu Dècle c’était dans l’une de nos émissions Picardie Matin. Il intervenait dans une chronique santé en tant que kiné. Élégance et aisance déconcertante, Matthieu en impose.
Cette première rencontre ne sera pas la dernière car Matthieu est revenu à plusieurs reprises sur notre plateau. À chacune de ses visites il me racontait ses nouveaux projets. En fait, sa vie ressemble à un roman d’Antoine de Saint-Exupéry. Toujours les yeux tournés vers le ciel avec l’envie furieuse d’en faire son paradis.
Mais s’il a bien les pieds sur terre (et souvent dans l’eau aussi) c’est quand même à l’aérodrome d’Amiens-Glisy que nous nous retrouvons, moi en blouson France 3, lui avec son blouson d’aviateur, écusson de la patrouille de France brodé sur la manche.
"Un métier pour les autres, car ma vue à moi n’était pas bonne"
Matthieu est né à Amiens le 20 octobre 1982. Il est le troisième d’une fratrie de quatre sœurs et un frère. Famille joyeuse, père professeur d’art plastique (le rêveur) et mère prof d’EPS (la performeuse). Sa jeunesse, c’est à Saint-Quentin qu’il la passe. Son père lui mettait sur sa table de nuit les BD de Buck Danny et les fameux Tanguy et Laverdure. De quoi lui ouvrir la machine à rêves. "Il nous ouvrait l’esprit sans cesse. J’ai eu très vite l’envie de devenir pilote de chasse. Un métier réalisable que par les autres car ma vue à moi n’était pas bonne."
À 14 ans, il commence déjà à faire tourner des têtes et c’est au Parc d’Isle que les premiers bisous sont déposés sur les lèvres d’une grande et belle Allemande. "J’ai des supers souvenirs de la vie dans cette ville. La place de l’Hôtel de Ville et son carillon entre autres." C’est aussi là qu’il entretient d’interminables discussions avec son grand-père, pilote pendant la Seconde Guerre mondiale."On discutait beaucoup lui et moi de ses missions et de son expérience... C’est toujours intéressant d’écouter les paroles de son grand-père avec attention."
L’aéronautique revenait sans cesse et trottait dans sa tête comme une petite musique lancinante. "Ça attisait ma curiosité en permanence. J’avais en moi ce rêve toujours enfoui de pouvoir toucher un palonnier. Un jour, quand j’aurai les moyens, je volerai c’est sûr."
De véto, il passe à kiné
En attendant que les rêves soient réalisés c’est à Doullens que la réalité l’emmène. À Montalembert précisément, en internat. Un collège de Jésuites avec des règles. "J’étais le premier garçon de la famille, il fallait montrer l’exemple." Lumière blanche au réveil, un Notre Père récité à la hâte, une sonnerie et la queue au lavabo pour la toilette du matin, avant les études qui débutaient à 7h. Il se rend très vite compte que ce sont les objectifs qui vont guider sa vie.
Comme dans sa famille on faisait du cheval c’est assez rapidement qu’il souhaite devenir vétérinaire. Une fois le Bac S en poche, direction Amiens pour présenter les concours. Échec cuisant. 300 élèves retenus sur 10 000 candidats... Sa petite copine de l’époque l’emmène lui (et son cœur) en Belgique pour faire une fac de vétérinaire. Il a fallu repasser un bac belge pour cela. Une formalité, mais l’envie n’y est plus. De véto, il passe à kiné. "Je voulais du contact humain. Avec les animaux, c’était pas simple. Kiné c’est à la fois des sciences, de la santé et de l’humain."
Après quatre ans d‘études, il finit major national avec remise de chèque du ministre belge et tout le toutim. Retour à Amiens, bercé et enchanté par l’expérience belge. Après plusieurs mois d’assistanat et de remplacement il finit par ouvrir son cabinet en 2009 à Cagny. Quelle fierté de montrer à son père de quoi il était capable : "je cherchais à le rendre fier et à le remercier." L’expérience a duré dix ans.
Les pieds dans l'eau, la tête dans les nuages
J’ai oublié de vous dire que si son père a développé en lui cette envie d’aller au bout de ses rêves, c’était sans compter sur sa mère qui lui a donné l’envie d’atteindre sans cesse la perfection. Tout petit il se souvient de ses vacances passées au lac de Vassivière dans le Limousin. Pendant qu’on lui enseignait la voile lui lorgnait sur le ski nautique. À 10 ans il partait à vélo, pieds nus, pour tenter de se faire payer des tours de bateau et de ski.
Bien sûr, il ne savait pas à cette époque que 25 ans plus tard il lancerait un téléski sur le plan d’eau de Dreuil-lès-Amiens. Le concept est simple et existe déjà à Verberie dans l’Oise : au lieu de se faire tirer en ski nautique par un bateau, c’est un grand câble qui vous tire hors de l’eau. La technique est géniale et le succès immédiat. Matthieu décroche la coupe de France par étape de wakeboard en 2013 et l’Amiens Câble Park naît en 2016.
Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essayent : c’est ainsi que lui et ses associés, Stéphane et Clément, font une démonstration du système en plein cœur de Saint-Leu. Imaginez seulement, du ski nautique et du wake-board en plein cœur d’Amiens... L’événement cartonne et fait connaître leur téléski.
Les deux années qui suivent, Matthieu arrive à faire d’Amiens la première ville étape du FISE : le festival international des sports extrêmes. Là encore l’opération est un succès. Mais il manque encore quelque chose à sa vie. Un point rouge, un point vert et un fuselage entre les deux. L’envie est irrésistible et maintenant que les moyens sont là les choses vont pouvoir avancer.
"Je veux voler loin, longtemps et emmener du monde"
On est en 2011, ici même à l’aérodrome d’Amiens-Glisy où nous discutons. Dans l’aviation, on dit souvent que même la plus petite piste peut emmener un avion au bout du monde. Avec Matthieu c’est pareil, il arrive avec ses idées, ses rêves et ses envies. "Je suis venu demander des renseignements pour voler. Je veux voler loin, longtemps et emmener du monde."
Didier Pataille, alors trésorier du club, se souvient s’être dit : "Toi tu vas réussir ! J’ai toujours pensé que ceux qui passent la porte du club vont trouver un job dans l’aviation, même si c’est du loisir." Et ça n’a pas loupé. Il fait son baptême, et obtient, deux ans après et 8000 euros plus tard, son PPL (Pilot Privat Licence). L’équivalent du permis de conduire pour nous les rampants.
"On ne peut pas se lancer là-dedans sans y consacrer tout son temps. Il faut être curieux et se créer son propre univers. Il n’y a pas de mode d’emploi pour piloter un avion. C’est une question de ressenti. Il faut aller au-delà des cours. Mais un vol n’est jamais parfait. Il y a toujours un truc à améliorer." Toujours cette recherche de la perfection...
Là où beaucoup d’entre nous considéreraient que c’est un aboutissement de vie, lui n’en reste pas là. Cette vie, qui est plutôt une réussite, on peut le dire, ne lui suffit pas. "J’ai volé volé volé, tout en étant kiné. Chaque vol la passion grandissait. L’air est devenu un élément dans lequel je me sentais de mieux en mieux." Lui reviennent ces discussions avec son grand-père et ce copain qui a tout plaqué du jour au lendemain pour changer de vie. "J’avais toujours eu cette barrière en me disant que c’était impossible pour moi. Mais quand mon ami a pris sa décision de changement de vie, ça a été un déclic pour moi." Il faut l’imaginer à ce moment-là au carrefour de sa vie. Un peu comme en plein vol avec une carte.
Devenir pilote professionnel : "la plus grande décision de ma vie"
"Une bonne décision ne peut être prise que quand on a le choix. Je vivrais plus difficilement de ne pas avoir tenté que d’avoir échoué." La décision a été simple claire et efficace. "La plus grande décision de ma vie." Devenir pilote professionnel. Didier Pataille, devenu entre-temps président de l’aéroclub d’Amiens, ne s’était pas trompé.
Il vend son cabinet, prend ses distances avec Amiens et intègre à Tours la "Airline Pilote Academy." L’une des meilleures en France car créée par des anciens PNT (personnel navigant technique) d’Air France. Une nouvelle fois, il rouvre ses cahiers d’écolier et va plus loin dans ses objectifs. Et devinez quoi ? Il réussit et passe la licence de pilote commercial. Couplé à une licence de vol aux instruments et multi-moteur. Il ne lui manque que la qualification de conduite en équipage qu’il doit valider d’ici la fin de l’année. Il peut désormais se présenter aux concours pour intégrer une compagnie aérienne. Ça c’était dans la théorie car dans la pratique c’est la Covid-19 qui est passé par là.
"Tout est en suspens, le trafic mondial a chuté de 70%, l’heure n’est plus à l’embauche pour les compagnies." Et l’avenir est bien incertain. Les indicateurs rendus publics par Eurocontrol (l'organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne) ne prévoient pas un retour à la normale avant fin 2024.
Alors en attendant que Matthieu ne puisse enfin accéder au plus beau des bureaux, il est redevenu kiné à Tours. Et aussi instructeur de vol, afin qu’il puisse transmettre ses rêves à ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir un père qui a posé, un jour, des BD de Tanguy et Laverdure sur une table de nuit.