La cinquième marche des fiertés d’Amiens doit s’élancer de la place Léon Gontier samedi 1er juillet. L’événement où les drapeaux jouent un rôle crucial se caractérise par ses multiples symboles : entre devoir de mémoire, rappel des inégalités et des discriminations envers les LGBTQIA+ et fierté de s’assumer malgré elles. (Première publication le 02/07/2022, mis à jour).
Une effusion de couleurs, du rouge, du bleu, du jaune entre autres coloris. Si vous faites un tour dans le centre-ville d’Amiens samedi 1er juillet, vous ne pourrez pas les louper. Le village des associations LGBTQIA+ de la 5e marche des fiertés de la ville doit s’installer sur le parvis de la Maison de la Culture dans la matinée avant que le cortège ne s’élance aux alentours de 13h dans les rues amiénoises.
Si les classiques pancartes cartonnées et les maquillages caractéristiques devraient occuper les mains et les visages des manifestants, un autre incontournable habillera le cortège : le drapeau. Du célèbre drapeau arc-en-ciel en passant par ses déclinaisons, leurs origines, leurs messages... Accompagnés de Timothée, militant de l’association basée à Amiens Flash Our True Colors, on vous dit tout sur la marche des fiertés et ses symboles.
La marche des fiertés est un acte militant pour rappeler qu’en 2022*, des personnes sont encore victimes de discriminations et de violences du fait de leur genre ou de leur orientation sexuelle. C’est aussi un devoir de mémoire, l’occasion de montrer notre respect aux combats menés par les générations qui se sont battues pour les droits qu’on a aujourd’hui.
Timothée, militant de l’association Flash Our True Colorsà France 3 Picardie
Longtemps anglicisé "la Pride" ou "Gay Pride" laisse place depuis quelques années à l’appellation "Marche des fiertés", ce qui soulève souvent des réactions interloquées, parfois moqueuses. "On nous demande souvent ‘pourquoi vous êtes fiers ?’ Il y a de la fierté de résister à un cadre sociétal qui nous rejette, nous discrimine et nous marginalise, détaille Timothée. Cette fierté, c’est moins le fait d’être quelque chose, que d’assumer d’être quelque chose en dépit de ce que l’on pourrait perdre parce qu’on est qui on est."
La genèse du premier drapeau, entre élu américain, culture hippie et Judy Garland
Le premier drapeau, ancêtre de ceux désormais brandis lors des marches aussi nombreux qu’indissociables du mouvement LGBT+, a été créé en 1978 sur demande d’Harvey Milk. Assassiné en novembre 1978, le politicien californien, premier élu américain ouvertement homosexuel, avait demandé à l’artiste Gilbert Baker de créer un objet symbolique permettant aux homosexuels de se reconnaître entre eux.
À l’époque, ces derniers étaient obligés d’user de subterfuges pour s’identifier : quand certains utilisaient des couleurs vives et/ou des bandanas, les chaussettes jaunes étaient privilégiées en Australie. L’œillet vert porté par l'écrivain Oscar Wilde à la fin du 19ᵉ siècle, et qui fut utilisé comme pièce à conviction lors du procès pour sodomie intenté à l’auteur, en était un autre.
Le premier drapeau imaginé par Gilbert Baker était constitué de huit couleurs. "Aujourd’hui, le plus connu du grand public est le drapeau à six couleurs, c’est une adaptation du drapeau créé par Gilbert Baker, complète Timothée. Il l’appelait d’ailleurs ‘le drapeau commercial’ parce qu’il coûtait moins cher à produire que l’original (le rose difficile à synthétiser était souvent en rupture de stock NDLR)."
Avec ces bandes de couleurs, l’objectif était de montrer la complexité de la notion d’existence. On n’est pas une seule chose, mais une diversité.
Timothée, militant de l’association Flash Our True Colorsà France 3 Picardie
À chaque couleur est associée une symbolique : "le rose pour la sexualité ; le rouge pour la vie ; l’orange pour la guérison ; le jaune pour le soleil, le vert pour la nature ; le bleu pour l’art ; l’indigo pour la sérénité ; le violet pour l’harmonie", expose Timothée. "Utiliser un phénomène naturel pour représenter notre sexualité et les droits humains me plaisait", racontait en 2013 à la radio Free Europe/Radio Liberty, Gilbert Baker. Ajoutez à cela, le fait que l’arc-en-ciel est une promesse de paix dans la Bible, un symbole d’ailleurs utilisé par les hippies en ce sens dans les années 60, et le fait que Gilbert Baker soit fan de Judy Garland, autrice de la chanson Over the rainbow, et le choix devient évident.
Une grande diversité de drapeaux, réponse nécessaire aux multiples formes de discrimination
Le drapeau s’est ensuite répandu hors des frontières états-uniennes avant de connaître de nouvelles déclinaisons. Une multiplicité de versions destinées à visibiliser des besoins propres à chaque communauté. "Ils sont importants parce qu’il y a une double réalité dans la question LGBT. Les personnes qui se retrouvent derrière le drapeau originel sont toutes des personnes à l’extérieur du système hétéro cis-normatif", entame le militant amiénois.
L’expérience de la discrimination et des violences est fondamentalement différente selon que vous êtes gay, lesbienne, bi, trans pour ne citer qu’eux. Et il est important et nécessaire que cette diversité et ses spécificités soient visibles pour que certains besoins urgents ne soient pas négligés.
Timothée, militant de l’association Flash Our True Colorsà France 3 Picardie
Liste non exhaustive des drapeaux les plus récurrents
Le drapeau lesbien : s’il a connu différentes déclinaisons, le drapeau de fierté lesbienne créé en 2018 est désormais le plus répandu. Avec ses cinq couleurs, il représente à la fois une relation unique à la féminité, l’amour, la sérénité, un sentiment d’appartenance à une communauté et la non-conformité au genre.
Le drapeau transgenre : l’activiste états-unienne transgenre Monica Helms l’a conçu en 1999 et l’a présenté l’année suivante lors de la parade de la fierté de Phoenix en Arizona. Le bleu évoque la masculinité, le rose la féminité, le blanc représente l’intersexualité, la transition ou un genre neutre ou indéfini.
Le drapeau bisexuel : c’est en 1998 que le motif des trois bandes de fuchsia (attraction pour le même genre), de lavande (attirance pour les deux genres) et de bleu (attraction pour le genre opposé) a été introduit par Michael Page afin d’améliorer la visibilité de la communauté bisexuelle, souvent négligée, parfois discriminée au sein même de la communauté LGBT+.
Le drapeau pansexuel : ce dernier, qui représente des personnes attirées l’une par l’autre, quel que soit le genre auquel l’autre personne s’identifie, est apparu sur le web en 2010 d’un créateur anonyme. Le rose représente les personnes s'identifiant comme femme ; le bleu comme homme ; le jaune quant à lui évoque les personnes non binaires et non conformes au genre.
Le drapeau intersexe : la version la plus utilisée, à destination des personnes présentant des caractéristiques biologiques associées à la fois aux hommes et aux femmes, a été créée par l’Australien Morgan Carpenter, en juillet 2013. Le fond jaune a été choisi pour s’affranchir des couleurs associées aux rôles de genres binaires (bleu et rose). Le cercle fermé violet représente l’intégrité, la plénitude et le droit de ces personnes d’être ce qu’elles sont et ce qu’elles veulent.
Le drapeau non binaire : le drapeau de ces personnes, qui ne s’identifient pas à un genre donné, a été créé en 2014. Il a été conçu par Kye Rowan. Le jaune représente les personnes qui ne se reconnaissent pas dans la binarité homme-femme, le blanc, celles qui s’identifient à plusieurs genres, le violet est là pour celles qui se voient entre le féminin et le masculin, et le noir marque la neutralité.
Le drapeau asexuel : choisi en 2010 après un vote, le drapeau qui regroupe les personnes ne ressentant pas ou très peu d’attirance sexuelle est composé de quatre bandes. Le gradient noir, gris, blanc représente le spectre de l’asexualité à la sexualité.
Le nouveau drapeau parapluie
Samedi 1er juillet à Amiens, vous apercevrez peut-être la toute dernière version du drapeau originel : celle-ci créée en 2018 par l’artiste américain Daniel Quasar se veut encore plus inclusive. Aux bandes et couleurs du drapeau classique s’ajoute une pointe qui combine les pastels du drapeau transgenre et le brun et le noir. "Ces deux dernières lignes sont liées à une version qui vient de Philadelphie, destinée à saluer le combat des personnes non blanches. Mais, la bande noire peut aussi représenter les personnes qui meurent à cause des discriminations et celles qui sont atteintes du VIH", expose Timothée.
Alors face à ces drapeaux toujours plus nombreux, certains s’interrogent : leur multitude ne rendrait-elle pas les choses difficiles à suivre et ne finirait-elle pas par desservir la visibilité et l'efficacité du mouvement LGBTQIA+ dans la lutte contre les discriminations ? "Oui et non. Je pense que ça a le mérite de souligner le fait que le traitement est différent pour tout le monde, ça permet d’évoquer d’autres enjeux et les discriminations qui s'accumulent pour certains individus : comme le racisme, le classisme. Les vécus sont aussi différents selon les pays. Et au final, ce n'est pas plus mal qu’on se pose la question de pourquoi, en 2022* ils sont encore nécessaires", conclut Timothée. Car tant que les gens s'interrogent, la visibilité demeure et avec elle l'opportunité de trouver des solutions.
*Propos recueillis en juillet 2022.