Mardi 8 juin s'ouvrait le procès de Jacques Rançon devant la cour d'assises de la Somme. "Le tueur de la gare de Perpignan", déjà condamné à la réclusion à perpétuité, est cette fois jugé pour le viol et le meurtre d'Isabelle Mesnage près d'Amiens en 1986.
Déjà condamné à la réclusion à perpétuité pour les viols et meurtres de deux femmes à Perpignan en 1997 et 1998, Jacques Rançon fait de nouveau face à une cour d’assises. Il est cette fois jugé à Amiens pour le viol et le meurtre d'Isabelle Mesnage en 1986 près d'Amiens. À l'époque, l'accusé vivait encore dans la Somme.
Cet ancien cariste de 61 ans s'est présenté mardi devant la cour d'assises de la Somme en chemise en blanche et pantalon noir, la barbe rasée, ses cheveux gris en arrière. Depuis le box, après avoir retiré son masque pour se présenter, Jacques Rançon lance un regard à chacun des jurés lors du tirage au sort.
La présidente lit alors le résumé de l'ordonnance de mise en accusation, et demande à l'accusé d'y réagir. "C'est pas moi qui ai tué Isabelle Mesnage", répond-il. Elle le questionne alors sur sa détention. "J'étais à l'isolement durant 6 ans et demi. J'ai rien fait, j'ai regardé la télé. Tous les détenus m'insultent : Rançon assassin !"
Cette fois, contrairement au procès de Perpignan, Jacques Rançon parle. Après la lecture de son casier judiciaire, il répète : "oui j'ai fait tout ça, mais pas à Isabelle Mesnage."
Des aveux en 2019
Pourtant, le 20 juin 2019, Jacques Rançon avouait le meurtre de la Samarienne, en donnant "des détails qu’on n’avait pas et que seul le tueur pouvait connaître", précise l’avocate des parties civiles, Me Corinne Herrmann.
Mais le 18 octobre, il revient sur ses aveux dans un courrier, expliquant qu'il a reçu des pressions des enquêteurs. "Il n’a jamais vu cette jeune fille", martèle son avocat Me Xavier Capelet, qui le représente depuis 2014 et considère qu’on veut "le faire rentrer au chausse-pied dans ce carcan". La cour doit ainsi se pencher sur les conditions dans lesquelles son client à avouer ce meurtre.
Isabelle Mesnage, une jeune informaticienne de 20 ans, avait été retrouvée morte, le 3 juillet 1986, dans un bois de Cachy, près de Villers-Bretonneux dans la Somme.
L'enquête avait abouti finalement à un non-lieu en 1992. Mais avait été relancée en 2017 lorsque l’avocate Me Corinne Herrmann, spécialiste des tueurs en série, établit un lien avec l’affaire samarienne non-résolue qu’elle surveille de loin depuis une dizaine d’années. "C'est parce que Jacques Rançon a été identifié à Perpignan, que l'on a pu faire le rapprochement, et que l'on a pu observer que les actes qu'il a commis étaient très proches de ceux qui apparaissaient sur le corps d'Isabelle Mesnage", nous confie l'avocate, avant le début de l'audience.
Son premier crime ?
Le frère et la belle soeur d'Isabelle Mesnage sont présents lors de ce premier jour de procès. Après 35 ans sans réponse, cette audience signe l'heure de vérité pour les proches et la famille de la victime. "Ils ont peur des détails, ils sont dans l'angoisse, mais on va les accompagner sur ce chemin, affirmait l’avocate des parties civiles Me Corinne Herrmann avant le début de l'audience. L'enjeu de ce procès, c'est de savoir si Jacques Rançon est un tueur en série, si son premier crime est bien celui d'Isabelle Mesnage. C'est vrai que c'est compliqué parce que certains témoins ne sont plus là, mais Jacques Rançon est là, il est capable de répondre aux questions."
À la barre, les témoins se succèdent pour évoquer la personnalité de l'accusé. Sa demi-sœur, Denise. Ils ont 20 ans de différence et le même père. Elle raconte le taudis à Hailles, un village de la Somme, dans lequel elle a grandi : "nous habitions dans un baraquement. Nous couchions avec des rats. Mon père me battait à coup de ceinture." Elle a rencontré son demi-frère Jacques alors qu'il avait déjà 10 ans, elle 30 ans : il vivait dans la même baraquement qu'elle petite, "sa mère était pas trop bien de sa tête."
Denise Rançon n'aura que peu de contacts avec son demi-frère sa vie durant : "la dernière fois que je l'ai vu, c'était le 21 août 1999 pour mes 60 ans." Elle dit que Jacques n'était pas alcoolique. Elle évoque ses visites en prison pour le faire réfléchir sur ces actes passés.
La présidente du tribunal questionne Jacques Rançon sur les agressions sexuelles pour lesquelles il a été condamné et sur les crimes qu'il a commis à Perpignan. Il raconte, sans trop de détails, "j'ai fait tout ça. Mais j'en sais rien pourquoi j'en suis arrivé là". À la question de la présidente s'il n'a pas envie de savoir, Jacques Rançon répond qu'il évite d'y penser : "ça s'est passé comme ça", résume-t-il.
La question de la virilité
Puis Jacques Rançon revient sur son enfance marquée par la solitude : "j'étais malheureux. À l'école, j'étais toujours tout seul. Le soir, j'allais sur la place du village et je jouais au ballon." Ses parents ? "Ils m'aimaient sans plus, y'avait pas d'affection. Tout ce que je me souviens, c'est que mon père m'a jamais frappé, c'est plutôt ma mère qui me frappait. Elle était bête."
Très tôt, ses instincts sexuels s'éveillent. Des instincts au coeur des crimes de Jacques Rançon dont les experts dressent le portrait d'un homme tracassé par son impuissance sexuelle. La présidente l'interroge sur le suivi psychiatrique et psychologique dont il bénéficie : "je fais ça pour avoir des calmants, des cachets pour dormir, pas pour réfléchir aux faits précédents", explique l'homme de 61 ans.
"Ma vie, c'est la prison. Je suis résigné", avoue Jacques Rançon. Son avocat se tourne vers lui : "vous allez mourir en prison, monsieur Rançon"..."Oui mais là c'est pour mon honneur, lui répond son client. C'est pas moi qui ai commis ce crime."
À partir de mercredi, la cour devrait étudier les faits, la défense compte démontrer les incohérences du dossier. Le verdict sera rendu vendredi 11 juin. Jacques Rançon, risque une nouvelle fois la réclusion criminelle à perpétuité.