Primé à Cannes pour L'histoire de Souleymane, Abou Sangare espère "faire la lumière sur tous les sans-papiers"

Prix du meilleur acteur dans la catégorie Un certain regard à Cannes, en mai 2024, pour son premier rôle dans L'histoire de Souleymane de Boris Lojkine, Abou Sangare, jeune mécanicien amiénois et exilé guinéen, est toujours en attente de régularisation. Nous l'avons rencontré à l'occasion de l'avant-première du film à Amiens ce 17 septembre.

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"Les gens qui me regardent de travers, ce soir peut-être qu'ils vont me regarder droit dans les yeux", espère Abou Sangare à quelques minutes du début de l'avant-première du film L'histoire de Souleymane au ciné St-Leu d'Amiens mardi 17 septembre 2024. 

"Ma passion, c'est la mécanique"

Le jeune acteur de 23 ans, interprète principal du sixième long-métrage de Boris Lojkine, a quitté la Guinée alors qu'il était encore mineur pour aider sa mère malade. Après avoir traversé le Mali, l'Algérie, la Libye, la Méditerranée et l'Italie, il arrive en France à 16 ans et s'installe à Amiens où il suit un bac pro mécanicien au lycée Montaigne-Delambre. 

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L'acteur Abou Sangare présente "L'histoire de Souleymane", dans lequel il interprète le personnage principal, aux spectateurs du ciné St-Leu à Amiens, le 17 septembre 2024. ©FTV

"Ma passion depuis mon enfance, c'est la mécanique", lance celui qui détient une promesse d'embauche en CDI d'un garage amiénois. Le cinéma ? "Ça reste un deuxième travail pour moi. [...] Si l'occasion se représente, je le ferai, mais ce n'est pas ma priorité", tranche Abou Sangare. Le 24 mai dernier, le festival de Cannes l'a pourtant récompensé d'un prix d'interprétation masculine, en plus du prix du jury pour le film dans la catégorie Un certain regard. 

Toujours sans-papiers malgré un prix à Cannes et une promesse de CDI

Dans L'histoire de Souleymane, il interprète le personnage de Souleymane, jeune exilé guinéen livreur à vélo dans les rues de Paris. Dans 48h, il doit passer un entretien à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour obtenir sa demande d'asile. 

Cette histoire, c'est aussi en partie celle d'Abou Sangare. À la différence que le jeune acteur est mécanicien et vit à Amiens. Comme Souleymane, Abou est en attente de papiers. Pour la troisième fois, juste avant le festival de Cannes, il s'est vu refuser sa demande de régularisation assortie d'une nouvelle obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Le préfet m'a adressé un mail. Vu les éléments nouveaux ajoutés à mon recours, il me propose de réexaminer une nouvelle demande, ce qui est positif.

Abou Sangare, acteur principal du film "L'histoire de Souleymane"

L'équipe du film a alors immédiatement réagi et sollicité l'aide de Claire Perinaud, avocate spécialisée en droit des étrangers. Deux recours ont été déposés, l'un au tribunal administratif d’Amiens, et l'autre, gracieux, à la préfecture. "On a frappé à toutes les portes après le festival de Cannes, jusqu'aux Macron, au ministère de la Culture, à celui de l'Intérieur…", énumère Boris Lojkine, le réalisateur du film.

C'est évident pour moi que c'est seulement quand il aura obtenu ses papiers que j'aurai l'impression d'avoir fini mon film.

Boris Lojkine, réalisateur du film "L'histoire de Souleymane"

Depuis, la situation a un peu évolué. "Le préfet m'a adressé un mail. Vu les éléments nouveaux ajoutés à mon recours, il me propose de réexaminer une nouvelle demande, ce qui est positif. Mais à l'heure où je vous parle, je suis sans-papiers", explique Abou Sangare. 

"À partir du moment où on prend Sangare avec nous pour jouer le rôle principal du film, c'est une forme de responsabilité, estime Boris Lojkine. C'est évident pour moi que c'est seulement quand il aura obtenu ses papiers que j'aurai l'impression d'avoir fini mon film… On va y arriver !"

"Abou a une qualité de silence"

Abou Sangare n'a jamais suivi de cours de théâtre. C'est par hasard, que le responsable de l'association amiénoise, où il est bénévole, lui propose de participer à un casting sauvage organisé par une équipe de cinéma à la recherche d'un jeune Guinéen. L'équipe a déjà fait passer des auditions à des centaines de livreurs à vélo à Paris, mais n'a pas encore trouvé son personnage principal. 

Abou Sangare s'impose parmi tous les candidats. "Ce qui m'a séduit chez Abou, c'est quelque chose qu'on trouve rarement, qui est une qualité de silence", souligne Boris Lojkine. Une scène convainc le réalisateur. Abou doit jouer celui qui reçoit une réponse négative de la préfecture, et qui se mure dans le silence lorsqu'un ami lui propose de sortir pour se changer les idées. "Il avait une manière de tomber en lui-même dans ce silence qui donnait à ce silence une force, une amplitude. Il y avait du cinéma", se souvient Boris Lojkine. 

"Abou a complètement transcendé le personnage de Souleymane"

Si le scénario avait déjà été écrit entièrement et en détail, le réalisateur l'a complètement réécrit après les répétitions pour lui donner le plus de réalisme possible. Un réalisme permis grâce au concours de tous les acteurs, la grande majorité étant non professionnels et proches de leurs personnages comme ces agents de sécurité de la RATP interprétant des policiers. 

Le sujet, c'est mon problème depuis mon enfance. C'est quelque chose de réel pour moi.

Abou Sangare, acteur principal du film "L'histoire de Souleymane"

"En faisant les répétitions, j'essaie les scènes, je regarde comment ça marche, qu'est-ce qui est juste dans leur bouche, qu'est-ce qui est juste en termes de ressenti", appuie Boris Lojkine. Le scénario a donc été en partie adapté à l'histoire de son interprète principal. "C'est sûr que le scénario emprunte beaucoup à Abou. [...] Il a complètement transcendé le personnage de Souleymane."

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Boris Lojkine, réalisateur de "L'histoire de Souleymane" lors de l'avant-première du film au ciné St-Leu à Amiens le 17 septembre 2024. ©FTV

La scène finale, dans le bureau de cette agente de l'Ofpra, a été "vraiment très compliquée" à tourner pour l'acteur. "J'ai même du mal à en parler", confie-t-il. "Jouer, émotionnellement, c'est quelque chose que j'ai improvisé, mais le sujet, c'est mon problème depuis mon enfance. C'est quelque chose de réel pour moi."   

"On est collé à lui pour épouser son expérience"

Construit comme un thriller, le film prend le parti de ne pas lâcher Souleymane pendant une heure et demie. "On épouse son regard, sa perspective, son ressenti. On est collé à lui pour épouser son expérience", appuie Boris Lojkine.

Le réalisateur a également souhaité que le spectateur voie la ville de Paris non pas comme lui la voit, mais "comme tous les Souleymane la voient. Souvent comme une ville dure, où plein de choses font peur, où un policier peut devenir une menace, et comme une ville étrangère". Une immersion possible notamment grâce à l'absence de musique, qui donne aux sons de Paris toute leur place et qui en font la bande-son d'un film qui prend aux tripes sans vous lâcher. 

Et si le cinéma n'est finalement peut-être qu'une parenthèse dans la vie d'Abou Sangare, le jeune Amiénois espère que L'histoire de Souleymane aura servi à "faire la lumière sur tous les sans-papiers, notamment les livreurs". Le film sortira le 9 octobre prochain au cinéma. 

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