L'Académie nationale de chirurgie a émis un avis sur l'accompagnement de la fin de vie et envisage désormais le suicide assisté en France. Le texte pourrait déboucher sur un projet de loi. À Franvillers, près d'Amiens, Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcot, pourrait y recourir, si un médecin accepte de l'accompagner.
L'Académie nationale de chirurgie vient de délivrer un rapport avec un avis favorable concernant le suicide assisté par prescription médicale, mais sans obligation d'administration du produit létal. Ce dimanche 10 mars, Emmanuel Macron a ouvert à son tour la porte à un projet de loi sur une "aide à mourir". Une nouvelle importante, car en dehors de la loi Claeys-Leonetti qui retire l'acharnement thérapeutique avec les soins palliatifs, il n'existe pas encore d'aide active à mourir en France.
"Après des auditions et après une réflexion, nous pensons que la loi Claeys-Leonetti doit évoluer, donc nous disons oui à une évolution de la loi actuelle", explique Olivier Jardé, président de l'Académie nationale de chirurgie.
Au cours des auditions, lui et ses collègues académiciens se sont rendu compte que l'État américain de l'Oregon possédait un protocole depuis 25 ans qui leur a paru "très intéressant" et qui irait plus loin que la loi Claeys-Leonetti et la sédation profonde.
Plusieurs critères pour bénéficier du produit létal
Le protocole d'Oregon est une aide médicale à mourir. La prescription, un produit létal, entraîne la mort, mais son administration n'est pas forcément médicale. C'est-à-dire que le médecin donne le produit, et libre à une association, à un membre de la famille ou au patient lui-même de l'administrer. Il existe plusieurs critères pour en bénéficier : il faut être majeur, ne pas être atteint d'une pathologie psychiatrique, avoir une réflexion libre et éclairée du patient et de la famille, et enfin, il faut que la maladie soit incurable.
"Toutes les maladies neurologiques lourdes", comme la maladie de Parkinson ou celle de Charcot, sont incurables "et peuvent rentrer dans ce cadre-là". "Ce sont des prescriptions médicales, mais ce qui est intéressant, c'est qu'il y a des prescriptions où les patients n'utiliseront pas cette ordonnance", souligne Olivier Jardé.
Les soins palliatifs, c’est quelque chose qui marche. Néanmoins, quand on regarde le bilan 15 ans plus tard, il faut dire qu’il y a pratiquement encore 20 % des départements français qui n’ont pas de services de soins palliatifs. Donc, il faut absolument appliquer la loi Claeys-Leonetti.
Olivier Jardé, président de l'Académie nationale de chirurgie
La sédation, qui consiste à endormir le patient pour "supprimer toute douleur et toute déchéance de la fin", est une possibilité. Mais "ça peut être, sur du très long terme, vis-à-vis de la famille, une souffrance majeure. Donc, est-ce que c'est nécessaire d'entretenir ce coma jusqu'à la fin de la vie ? C'est une question qu'on s'est posée et on a dit qu'il fallait aller plus loin".
Autre point important à prendre en compte : la clause de conscience, le fait de s'opposer à une décision ou refuser de pratiquer tout acte basé sur une question éthique majeure. Olivier Jardé et ses collègues académiciens y tiennent beaucoup. "Oui à l'évolution de la loi Claeys-Leonetti, oui au suicide assisté avec prescription médicale, non à l'obligation d'administration par un médecin".
"On fait assumer le poids de la prise du produit létal soit au malade, soit par ses proches"
Pour Loïc Résibois, amiénois de 46 ans, atteint de la maladie de Charcot, provoquant une paralysie progressive du corps jusqu'à en devenir prisonnier, "l'avis émis par l'Académie nationale de chirurgie va dans le bon sens, il démontre que les mentalités progressent sur la question de fin de vie". Néanmoins, il estime que la méthode proposée, qui s'appuie sur celle de l'Oregon, "ne correspond pas à l'aspiration des malades condamnés".
Il développe : "on fait assumer le poids de la prise du produit létal soit au malade, soit par ses proches. Dans le cas des malades de Charcot, on finit généralement paralysé, sans même pouvoir bouger le petit doigt. Ça veut dire que, soit c'est un proche qui va vouloir le faire, soit, si on ne veut pas faire assumer ce poids à nos proches, il va falloir qu'on anticipe le moment de notre départ".
Cela signifie "qu'on pourra avoir encore envie de vivre", mais se sentir forcé de prendre le produit létal. "Et ça me semble difficile, et il y a des gens qui n'ont pas de famille. Comment feront ces personnes-là ?", s'interroge-t-il.
Même s'il milite pour l'aide active à mourir, Loïc Résibois précise ne pas vouloir mourir, "on veut vivre. C'est ça le plus important : profiter de notre fin de vie dans la sérénité". Le suicide assisté ou l'euthanasie offre, selon lui, la garantie d'une mort sans douleur au moment voulu, "et c'est surtout la garantie d'une fin de vie sereine".
Le fait de savoir qu’on va pouvoir vivre le plus longtemps possible en étant le plus heureux possible, mais si un jour, on est dans une situation où on n'est pas encore mort, mais plus tout à fait vivant, que notre vie est devenue de la survie, on pourra demander à ce que ça s’arrête.
Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcot
La sédation profonde et continue, "une vaste hypocrisie"
Il relève par ailleurs plusieurs limites de la loi Claeys-Leonetti. Celle-ci ne s'applique que lorsque "le décès est imminent. Il y a un certain nombre de pathologies où vous allez devoir souffrir pendant des mois et des mois avant que votre pronostic vital ne soit engagé à court terme". Loïc Résibois regrette d'ailleurs qu'en France, de nos jours, "on meurt très mal".
La sédation profonde et continue, permise par la loi Claeys-Leonetti, est une "vaste hypocrisie" à ses yeux. "Elle est faite pour le confort des soignants qui n'ont pas l'impression de donner la mort, elle n'est pas faite pour le confort des malades qui vont mettre entre quelques heures et quelques jours, voire deux semaines à mourir". Il ne voit pas l'intérêt que le malade "connaisse une agonie aussi longue" et que sa famille soit spectatrice. "J'ai l'habitude de dire qu'en France, on meurt moins bien que nos animaux de compagnie".
C'est ce qui l'amène à avancer que les médecins doivent assumer le suivi de leurs patients de bout en bout. Il ne voit pas pourquoi un professionnel de santé suivrait son patient pendant toute sa vie, mais au moment où sa mort est imminente, "détournerait les yeux" et demanderait à la famille de s'en occuper. "Le fait de donner la mort à un malade condamné qui en exprime le souhait de manière claire et réitérée, ce n'est ni plus ni moins qu'un acte de soin", affirme-t-il avant d'ajouter : "vous savez, la volonté de vivre est extrêmement forte. Donc quand un malade vous dit qu'il veut que ça s'arrête, c'est qu'il a réfléchi à la question, ce ne sont pas des paroles en l'air".
Ce n'est pas parce qu'on milite pour l’aide active à mourir qu’on est contre les soins palliatifs. On y est tous hyper favorables, on voudrait qu’ils se généralisent et que davantage de malades puissent en bénéficier.
Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcot
"Les Français, dans leur très grande majorité, attendent cette loi"
Quant à la clause de conscience, Loïc Résibois se dit "pour qu'elle continue à prévaloir. Si un médecin ne veut pas donner la mort, il n'y a pas de souci, il y a des médecins en France qui sont prêts à le faire. Il ne faut pas croire qu'ils sont tous contre". Il constate que la voix des opposants est souvent plus audible que celle de la majorité silencieuse. "Mais les médecins sont aujourd'hui prêts à accomplir cet acte et les Français, dans leur très grande majorité, attendent cette loi".
Et comme beaucoup de malades condamnés, il n'est "pas capable" de dire quand est-ce qu'il demanderait à mourir. "En fait, plus la maladie progresse, plus l'envie de vivre est forte. Mais, en fait, ce qu'on demande, ce n'est pas tant de pouvoir mourir grâce à l'aide active à mourir". Il demande surtout à "pouvoir vivre" sa vie "avec sérénité" jusqu'au jour où "on ne supportera plus ce qu'est devenue notre vie. Et là, je demanderai à pouvoir faire ça".
De plus, il refuse catégoriquement que son épouse lui injecte le produit létal. "Je préfère le faire moi-même que de l'imposer à mon épouse à qui j'offre déjà une vie d'aidante très difficile". Il rappelle qu'en France, un tiers des aidants décède avant la personne qu'ils aident. "Leur faire assumer ça, pour moi, ce n'est juste pas humain", regrette-t-il.
Je n’ai pas du tout imaginé que ça puisse être moi qui donne la dose létale. Pour moi, ça semblait logique que ce soit le corps médical et que l’accompagnement, comme il a lieu depuis le début de la prise en charge de la maladie, finisse avec un médecin ou un soignant.
Caroline Résibois, épouse de Loïc
En 2023, dans l'État de l'Oregon, 254 Américains ont bénéficié du suicide assisté. "Quand on regarde leurs statistiques, 54 % des patients qui décèdent n'ont pas d'accompagnement médical d'administration, dévoile Olivier Jardé. Et c'est ça que certains reprochent".
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"Notre sort, depuis des mois, est entre les mains d'Emmanuel Macron"
Loïc Résibois espère pour l'ensemble des malades condamnés français que la loi "passera suffisamment vite pour que nous puissions choisir notre fin de vie". Il note que son sort ne dépend ni de l'Académie des sciences, ni de l'Académie de chirurgie. "Notre sort, depuis des mois, est entre les mains d'Emmanuel Macron, qui avait promis l'évolution de la loi lors de sa campagne électorale".
Le président de la République "avait promis l'évolution de la loi pendant sa campagne électorale, il s'était engagé à présenter ce projet de loi au Parlement en septembre 2023", rappelle le militant.
Loïc Résibois souhaite que "le président de la République respecte sa promesse de campagne, respecte ses engagements qu'il a pris auprès de la convention citoyenne". Il espère également qu'Emmanuel Macron "arrête de discuter avec les autorités religieuses et parle enfin avec les malades". Car si Valéry Giscard d'Estaing les avait écoutées, l'inscription de l'IVG dans la Constitution "n'aurait jamais été autorisée". Le projet de loi du gouvernement pourrait être présenté en conseil des ministres dès le mois d'avril.
Avec Sophie Picard / FTV