L'une des journalistes de la rédaction de France 3 Picardie raconte son voyage chaotique pour relier Amiens à Paris en TER. Une expérience que vivent presque au quotidien les usagers de cette ligne SNCF.
Jeudi, 18h23 : le TER 2030 quitte la gare d’Amiens... à l’heure... détail suffisamment rare pour être souligné. Deux minutes plus tard : voici l’unique arrêt prévu avant Paris, à Longueau. Arrivée prévue à Paris un peu avant 19h30.
Le train repart. Il file dans la campagne. Les panneaux se succèdent : Ailly-sur-Noye, Saint-Just-en-Chaussée, Clermont... Les passagers se prennent à espérer : aujourd’hui, peut-être, ils ne passeront pas toute leur soirée dans le train. Ajourd’hui, peut-être, ils verront leurs enfants avant qu’ils ne soient couchés. Aujourd’hui, peut-être, ils pourront faire une vraie nuit avant de reprendre la route dans l’autre sens, demain matin.
Aucune information ou presque
Naïfs...19h13 : à 16 minutes de l’arrivée prévue à Paris Nord, la machine stoppe brusquement, à hauteur de Chantilly. Soupirs désabusés dans la rame : c’est la routine. Au bout de quelques temps, le verdict tombe, aussi évasif que sans appel : "Mesdames et Messieurs, suite à des personnes sur les voies, notre train est arrêté pour une durée indéterminée".
Les minutes s’envolent et avec elles les espoirs de soirée entre amis, de correspondance attrapée, de vie APRÈS le train... Aucune information ou presque. Simplement le trop connu : "Notre train est arrêté en pleine voie, pour votre sécurité veuillez ne pas descendre".
20h30 : le train repart à toute petite vitesse... pour s’arrêter de nouveau à peine quelques minutes plus tard. La voix, visiblement gênée, tombe du ciel : "Mesdames et Messieurs, un Eurostar se trouve en panne devant nous. Le conducteur est en train de consulter son manuel pour effectuer une réparation".
Des voyageurs blasés
Attente... Attente... Attente... Le contrôleur tente une sortie. Il remonte courageusement le train, wagon après wagon, et rassure les voyageurs : "Nous serons à Paris dans une dizaine de minutes". Des voyageurs un peu excédés mais blasés : l’habitude, sans doute...Dix minutes... Vingt minutes... Trente minutes... "Le conducteur de l’Eurostar a solutionné le problème. Nous allons pouvoir repartir". Las... L’espoir, une fois de plus, est de courte durée.
21h55 : nouvel arrêt. À nouveau la voix du contrôleur, un peu gêné tout de même : "Mesdames et Messieurs, face à l’afflux de trains en gare de Paris Nord, aucune voie n’est disponible pour nous accueillir". Aux portes de Paris, si près du but, sécurité ou pas on se prend à rêver de sortir. À ce stade là, la perspective de faire 8 kms à pieds paraît presque enviable ! Mais hélas, toutes les portes sont verrouillées, l’Escape Game n’aura pas lieu. Et puis le train repart... hésite... freine un peu... ré-accélère poussivement... pour finalement s’arrêter complètement.
Une voie de garage
Il est 22h08 : presque 4h que le train a quitté la gare d’Amiens, pourtant située à 123 kms. Le contrôleur n’ose même plus prendre le micro. Trop peur de se faire huer, sans doute. Quand soudain, mais si ! Le haut-parleur crachote : "Mesdames et Messieurs, une personne a été percutée par un train à hauteur de Saint-Denis. Les secours sont en route". Et de longues minutes plus tard : "Mesdames et Messieurs, la personne percutée n’est pas décédée. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle car cela ne nécessitera ni Pompes Funèbres ni médecin pour constater le décès".22h25 : les lumières se tamisent dans la rame (bonne nuit les petits ?) et les fumeurs sont autorisés à descendre brièvement sur le talus pour s’en griller une. "Une solution est à l’étude pour nous faire emprunter une voie de garage" nous explique le contrôleur qui fait ce qu’il peut mais n’ose même plus sortir de sa cabine. Ah tiens, bizarre... on avait pourtant l’impression d’y être depuis 3h, sur une voie de garage...
23h04 : nous re-re-re-repartons. Nouvel arrêt en gare de Saint-Denis, puis à la station Stade de France : l’omnibus trace son chemin à la vitesse d’une tortue neurasthénique.
Des relents de caoutchouc brûlé
23h24 : arrivée à Paris Nord et fin de l’épopée.Il ne s’agit là nullement d’une fiction, ni même d’un récit déformé par l’effet psychotique des relents de caoutchouc brûlé qui nous parviennent à intervalle régulier. Simplement un voyage ordinaire sur la ligne Amiens-Paris. Respect et courage aux cheminots qui, jour après jour, parviennent malgré tout à faire circuler les trains dans ces conditions honteuses.
5h05 pour faire 131 kms en 2019 ? La prochaine fois je prends la diligence...