Des traversées de plus en plus fréquentes depuis la Picardie, un vif débat autour de la loi immigration... Nous parlons très souvent des migrants dans l'actualité, mais nous les entendons très peu. Nous avons voulu leur donner la parole tout au long de ce difficile parcours migratoire et d’insertion. Nafissa, Abduelshokur, Jafar et Mohammed témoignent.
Nafissa travaille comme bénévole à la Croix-Rouge de Montdidier depuis décembre 2022. Lorsque nous la rencontrons, dans le local de l’association, elle est en train de trier les dons avec ses collègues. Chacune de leur côté, elles inspectent les vêtements et les plient avant de les ranger sur les étagères. Ce qui ne les empêche pas de discuter et de rire.
Une seule activité possible : le bénévolat
Deux fois par semaine, Nafissa se rend dans la structure pour aider à la gestion de la vestiboutique. Avec son mari, elle est très active dans l’association qu’elle a intégrée trois mois après son arrivée en France. "Mon mari et moi, on n’est pas le genre à rester à rien faire. On est toujours à la recherche de choses à faire, pour éviter de rester dans le négatif. On n’a pas le droit de travailler donc on a décidé de faire du bénévolat. On travaille aussi pour les Restos du cœur. On donne de nos bras et on se sent utile, ici. On a le pouvoir de donner", explique Nafissa Lairedj.
Le couple est arrivé en France en 2022 avec ses deux enfants. Ils ont aussitôt demandé l’asile. Déboutés de ce droit une première fois, ils ont reformulé une demande et sont en attente de réponse. Sans ce sésame, ils n’ont pas l’autorisation de travailler sur le sol français. Mais ils ont la confiance de la Croix-Rouge, qui les a très vite intégrés à l’équipe. "Ils ont demandé à faire du bénévolat seulement trois mois après leur arrivée en France, ce qui est relativement exceptionnel. On a accepté tout de suite, compte tenu de leur motivation. Ça s’est très bien passé et très rapidement, ils se sont adaptés à la mission qui leur avait été confiée. Ce sont des personnes discrètes et Nafissa émet des idées positives pour faire avancer les choses. C’est un élément positif pour notre organisation. Un des principes fondamentaux de la Croix-Rouge est l’humanité. Donc il était évident pour nous que nous devions intégrer Nafissa. C’est un processus gagnant-gagnant", insiste Jackie Bondrole, président de l'unité locale du Val d'Avre de la Croix-Rouge française. Nafissa est déjà bien intégrée et sa connaissance de la langue française, qu’elle parle couramment, l’aide à faire des rencontres.
L'attente est difficile. Je me sens incapable de faire quelque chose pour ma famille et c'est difficile psychologiquement.
Samer Kabalan, demandeur d'asile
Samer, son mari, est lui aussi bénévole. Cet après-midi, à la Croix-Rouge, il profite d’un cours d’initiation à la langue française. Des cours qu’il suit régulièrement pour pouvoir s’intégrer dans l’attente d’une régularisation. Il a bien progressé mais pour l’interview, il s’adresse en arabe. Il ne maîtrise pas encore suffisamment le français. Nous avons donc traduit ses propos. "Je travaille beaucoup pour pouvoir comprendre la langue, parler et plus tard, faire une formation et trouver un travail. Mais l'attente est difficile. Le fait d'être dans l'inconnu... Je me sens incapable de faire quelque chose pour ma famille et c'est difficile psychologiquement", explique-t-il.
La petite fait parfois des cauchemars. Elle a peur de se retrouver à la rue une nouvelle fois.
Nafissa Lairedj, demandeuse d'asile
L’impossibilité de se projeter, de rassurer ses enfants, c’est aussi ce qui semble le plus dur à Nafissa. Ils ont 14 et 11 ans et sont aujourd’hui bien intégrés à l’école. Nafissa nous montre d’ailleurs, avec fierté, leurs notes et les appréciations de leurs professeurs.
Mais ils gardent toujours le traumatisme des trois mois passés dans la rue, à leur arrivée en France. "La petite fait parfois des cauchemars. Elle a peur de se retrouver à la rue une nouvelle fois. Ça l’a marquée. Elle était en âge de comprendre, de réaliser que ce n’était pas normal, que ce n’était pas une vie comme les autres enfants, pas une vie de famille. C’est une vie instable pour les enfants, sans domicile fixe. Ma fille veut promettre à ses copines qu’elles se verront au collège et qu’elles seront dans la même classe. Vous savez les promesses de copines... Je n’ai pas su quoi lui dire", nous confie Nafissa.
Leur angoisse, c’est un nouveau refus des autorités françaises. La famille doit aussi faire face aux deuils à distance. Samer a appris le décès de sa mère alors qu’il était en France. Nafissa, elle, a perdu sa grand-mère. Leurs nuits sont parfois courtes mais le couple continue à s’investir et à croire à un avenir meilleur.
Retrouver un équilibre et la santé mentale : un autre défi
Pour les personnes exilées qui ont obtenu la protection de la France, d’autres problèmes peuvent être source d’inquiétude. C’est le cas d’Abduelshokur, que nous retrouvons dans les locaux de l’Apremis, à Amiens, une association d’insertion. Il a rendez-vous avec Nicolas, éducateur spécialisé et Yasmina, chargée d’insertion professionnelle au pôle asile de l’association, deux travailleurs sociaux qui le suivent et l’aident dans ses démarches administratives. Autre casse-tête lorsqu’on ne connaît pas les codes du pays et ses droits.
Abduelshokur a fui le Soudan en 2022. Il est arrivé en France après un voyage éprouvant de trois mois. Il a obtenu la protection subsidiaire de la France. Mais il faut maintenant rentrer dans un parcours d’intégration. "Dès les premiers temps de la sortie du parcours d’asile, il est important de faire valoir leurs droits auprès des différents organismes, la CAF, le CPAM…, de faire les changements d’adresse. Puis les cours de français et les journées civiques", nous explique Nicolas Flamant, éducateur spécialisé à l’Aprémis.
Certaines personnes sont tellement impactées par leur parcours d’exil qu’ils ne sont pas disponibles mentalement pour l’apprentissage.
Nicolas Flamant, éducateur spécialisé à l’Aprémis
Pour Abduelshokur, le parcours de reconnaissance du statut de réfugié a duré plus d’un an. Son statut en poche, il a dû quitter rapidement la structure d’asile qui l’hébergeait. Commencent alors d’autres difficultés. "Après avoir obtenu leur statut de réfugiés, ils se retrouvent en résidence sociale, seuls, dans une ville qu’ils ne connaissent pas et se retrouvent face à un grand vide. Et puis, il faut trouver des formations pour avoir un travail durable et obtenir un logement indépendant. Ils sont en demande de travailler, ils veulent payer des impôts. Mais certaines personnes sont tellement impactées par leur parcours d’exil qu’ils ne sont pas disponibles mentalement pour l’apprentissage", ajoute le travailleur social.
Parmi les choses les plus difficiles, en arrivant la première fois dans un pays, c’est la vie sociale, l’intégration. On ne sait pas comment se comporter avec les autres
Abduelshokur Adam, réfugié en France
Abduelshokur tente de s’en sortir, mais il nous avoue que, seul, il est encore perdu. "Parmi les choses les plus difficiles, en arrivant la première fois dans un pays, c’est la vie sociale, l’intégration. On ne sait pas comment se comporter avec les autres. Les codes sociaux sont différents. Mon niveau en français est encore faible mais j’essaie de faire des efforts petit à petit pour me faire comprendre. J’ai besoin d’aide sociale pour les tâches administratives, les justificatifs d’identité et les coordonnées. Je viens à l’Aprémis dès que j’ai un souci et ils m’aident. Petit à petit, je compte sur moi-même."
Ce Soudanais d’une trentaine d’années a laissé sa femme au pays. Il espère qu’elle pourra bientôt le rejoindre en France. Pour cela, les travailleurs sociaux l’aident aussi à réunir les documents nécessaires au rapprochement familial. Au Soudan, il étudiait le droit et c’est en France qu’il aimerait poursuivre ce cursus.
En attendant, il doit encore lever bien des obstacles, dont les exilés parlent très peu. "On pourrait se dire qu’après un long parcours migratoire, de longues procédures administratives, quand ces personnes obtiennent le statut de réfugié ou une protection au niveau de la France, tout le parcours va être facilité. Ça y est, elles ont un droit au séjour, elles ont un droit au travail. Pour autant, c’est un deuxième parcours du combattant qui débute. Pour faire reconnaître ses droits, pour lever tous les freins à cette intégration : la langue, la garde d’enfant ou des freins liés à la santé mentale", explique Evodie Legrand, responsable du service éducatif au pôle asile à l’Aprémis.
On a pu constater, après l’obtention d‘une protection, des décompensations psychologiques chez certaines personnes.
Evodie Legrand, responsable du service éducatif au pôle asile à l’Aprémis
S’attarder sur les troubles psychologiques des personnes exilées, c’est une des missions prioritaires des travailleurs sociaux. "On a pu constater, après l’obtention d‘une protection, des décompensations psychologiques chez certaines personnes. Pour les associations, tout l’intérêt va être de les soutenir. Pour ces personnes, il est compliqué de s’exprimer parce que tout au long de leur parcours, on ne leur a pas laissé l’opportunité de poser une parole, de pouvoir exprimer ce dont ils ont besoin. Ils ne se sentent pas légitimes. Tout le travail des associations est de leur redonner confiance", ajoute la responsable.
Une stabilité retrouvée, les angoisses ressurgissent
Reprendre confiance lorsque l’on est séparé de sa famille, perdu dans une société qui nous est étrangère et dans l’impossibilité de rentrer chez soi, dans son pays, c’est le quotidien de nombreux exilés qui cherchent pourtant à s’insérer.
Jafar nous donne rendez-vous dans la soirée, après son travail. Ce jeune Afghan de 25 ans est en formation d’électricien une semaine par mois et travaille les trois autres semaines dans l’entreprise Vinci. Ce qui lui permet d’avoir un petit salaire. Il nous reçoit dans son studio, dans une résidence pour jeunes travailleurs, à Amiens. Un toit pour se reconstruire.
Il a fui l’Afghanistan avec sa famille pour rejoindre l’Iran, puis il est parti seul, à 20 ans. Il est arrivé en France il y a quatre ans et a réussi à obtenir un titre de séjour. "C’est un peu difficile quand on est tout seul. On est stressé, on pense à des trucs qui se sont passés avant. C’est aussi pour ça que je travaille. Ça me permet de m’occuper et de ne pas penser trop à des choses. J’ai eu de la chance d’être accueilli en France. Évidemment, quand on arrive sans parler français, c’est difficile mais je me suis dit qu’il fallait apprendre. J’étais très motivé parce que ça m’énervait de ne pas comprendre les gens", nous confie Jafar, qui a appris le français, seul, sur internet. "Je regardais des vidéos Youtube, des films en français et j’ai suivi des cours en ligne. J’avais un but et il fallait s’y tenir." Désormais, Jafar s’exprime dans un français fluide et quasiment sans accent. Nous avons même été surpris par ses expressions, typiquement françaises.
Dans quatre mois, lorsqu’il aura terminé sa formation, Jafar aimerait pouvoir être embauché chez Vinci. Il pourra alors trouver un logement autonome.
J’ai passé neuf jours en mer et quatre jours sans manger, ni boire. Nous étions 350 sur un bateau qui ne pouvait contenir que 200 personnes. Après l’arrivée, j’ai mis deux mois à m’en remettre
Mohammed Ahmed Musa, réfugié en France
Pour Mohammed, Soudanais, le quotidien commence à s’éclaircir. Il est salarié dans une entreprise agroalimentaire, à Amiens-nord, depuis trois ans. "Quand j’ai commencé à travailler, je venais à vélo et après un an, j’ai passé mon permis de conduire. Mon patron m’a aidé aussi. Et à la fin j’ai eu mon permis de conduire et là, ça fait un an que j’ai ma voiture", raconte Mohammed. Il vit à quelques minutes en voiture de son travail, dans un deux-pièces, avec sa femme, qui vient de le rejoindre, après sept ans de séparation. Lui, est parti du Soudan en 2016, avec quelques membres de sa famille. Il a rejoint l’Italie en bateau, puis a traversé la France à pied. Trois semaines de marche. "J’ai passé neuf jours en mer et quatre jours sans manger, ni boire. Nous étions 350 sur un bateau qui ne pouvait contenir que 200 personnes. Après l’arrivée, j’ai mis deux mois à m’en remettre", raconte difficilement Mohammed.
Après huit mois passés à Paris, il a été placé en CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile) à Doullens. Il a attendu trois ans avant d’obtenir la protection officielle de la France. Il ne pouvait donc pas travailler. "Doullens, c’est une petite ville et il n’y avait pas de cours de français. C’était très dur pour moi de ne pas pouvoir travailler et apprendre la langue. Je parle anglais. J’étais professeur d’anglais au Soudan et enseignant en maternelle. J’étais aussi maçon dans mon pays et arbitre de foot. Au Soudan, on a plusieurs métiers. À Doullens, ça n’a pas été facile parce que les gens, ne sont pas habitués à voir des migrants. Ça a été très dur, trois ans, comme ça", explique Mohammed.
Avec l’aide de l’Aprémis, il se forme à la logistique et obtient un CDI. Plus de sept ans après son arrivée, Mohammed a un logement autonome et sa femme l'a rejoint. Les ballons, accrochés pour fêter l’évènement, deux mois plus tôt, n’ont pas quitté le mur. Un moment de joie après beaucoup de difficultés.
Ça me fait mal d’être loin de ma famille, mais je n’ai pas le choix. Il n’y a pas de vie là-bas.
Mohammed Ahmed Musa, réfugié en France
Aujourd’hui, Mohammed va mieux même si les angoisses n’ont pas disparu. "Ma famille, ma mère, mon père, mon frère et ma sœur sont toujours au Soudan. C’est la guerre depuis 2003. Il y a des voleurs partout, des tirs sur la route. Dans les médias ici, on n’en parle pas mais il y a beaucoup de morts. 10 000 personnes ont été tuées il y a sept mois et on n’en parle pas. Ça me fait mal d’être loin de ma famille mais je n’ai pas le choix. Il n’y a pas de vie là-bas."
Oublier ces épreuves, vivre avec les angoisses, Mohammed continue d’avancer malgré tout. Il le sait, sa famille a besoin de lui. Dès qu’il le peut, il les soutient financièrement. Lui aussi a encore besoin d’un soutien psychologique, comme ces milliers de personnes exilées qui arrivent chaque année en France.