Témoignages. "Quand on voit l'eau monter, on ne peut pas s'empêcher d'y penser" : le très long traumatisme d'anciens sinistrés d'inondations

Publié le Écrit par Narjis El Asraoui Mara et Lucie Caillieret

Il y a plus de deux décennies, en 2001, la Somme (département voisin du Pas-de-Calais) a connu l'une des pires catastrophes naturelles de son histoire. Les inondations qui ont frappé la région ont touché 114 communes pendant deux mois, voire plus selon les secteurs. Une crue inédite par son ampleur et sa durée, qui a marqué les esprits.

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Ça aurait pu sonner le glas des hortillonnages, tout faire disparaître. C’était devenu un lac”, se souvient Gilbert Filinger, créateur du festival international des jardins. Questionné sur les inondations de 2001, Francis Parmentier, maraîcher, peine à cacher son émotion : “Je reste scotché. Encore aujourd’hui, quand on voit la météo, quand on entend le bruit de la pluie sur les tôles, on se remémore forcément 2001.”

On avait entre 85 et 90 centimètres d’eau au-dessus de nos parcelles. On n’a pas pu redémarrer la saison. Comme on ne pouvait pas rester sans rien faire, Amiens métropole nous avait trouvé un lopin de terre. Je suis revenu mi-juin dans les hortillonnages”, se souvient celui qui est aujourd’hui âgé de 58 ans.

Je pense aux maraîchers du Pas-de-Calais qui étaient en pleine récolte des légumes d’hiver… En ayant vécu ça, je peux vous dire : je les plains ces pauvres gens. Qu’est-ce qu’ils vont vendre en février, en mars ? C’est catastrophique !

Francis Parmentier

Maraîcher dans les hortillonnages

"Les inondations ont complètement changé la physionomie du site”, reprend Gilbert Filinger, créateur du festival international des jardins. “Des graines se sont déplacées, des arbres ont poussé à d’autres endroits. C’est surtout le moment où beaucoup de maraîchers ont arrêté d’y exercer car ça a duré des mois.” Aujourd’hui, seulement neuf maraîchers exercent encore dans les hortillonnages.

400 maisons inondées en plein cœur d’Amiens

De courant mars à fin mai, les inondations gagnent aussi le cœur du centre-ville d’Amiens. “J’étais au travail. Mon épouse m’a appelé en disant “l’eau monte dans le quartier”. Notre sous-sol était inondé, il a fallu trouver une pompe. Comme la chaudière était au sous-sol, on n’avait plus de chauffage, l’électricité était en partie coupée”, se souvient Jean-Claude Leturcq, habitant.

À proximité de chez lui, un endroit est davantage touché : la rue de Verdun, située derrière la gare d’Amiens. “Un élan de solidarité assez impressionnant s’est mis en place. J’ai posé des jours de congés et avec le comité de quartier Gare, La Vallée - Les hortillonnages, on a fait des rondes. On allait chez les gens leur apporter du pain, un peu de réconfort…”

Même si les pluies cessent, la Somme continue de monter, les nappes phréatiques débordent. Dans la vallée de la Somme, les étangs se répandent, les digues cèdent. Fin mars 2001, l’inondation s’étend à l’Ouest du département. Hangest, Longpré-les-Corps-Saints, Long, ou encore Fontaine-sur-Somme, l'une des communes les plus touchées.

Dans notre magazine Enquête de Région en octobre 2021, qui revient sur ces inondations, 20 ans plus tard, le maire de Fontaine-sur-Somme, Patrick Poliautre, confiait en 2001 son désarroi. Deux tiers de son village étaient sinistrés, 700 personnes devaient être évacuées. “Vous êtes livrés à vous-mêmes. C’est pour ça que je suis en colère. Ça fait dix jours et dix nuits que mon équipe, ma secrétaire de mairie, nous sommes seuls. Voilà pourquoi je suis en colère”. Vingt ans plus tard, Patrick n’a rien oublié de cette période. À chaque fois qu’il passe au-dessus de la Somme, il se remémore la montée des eaux de 2001.

Trois mois les pieds dans l’eau

La montée des eaux se répand d’est en ouest. Mareuil-Caubert, Abbeville et ses environs ont également subi les assauts dévastateurs de la crue. Pendant près de 3 mois, les habitants d'Abbeville et de ses environs ont vécu les bottes aux pieds. 3 500 maisons ont été touchées, 700 ont dû être évacuées. La gare d’Abbeville et ses voies ont été submergées.

Les témoignages des habitants sinistrés d'Abbeville révèlent une période difficile, avec des relogements temporaires et des conditions de vie précaires.

Eric Duhaupas a vu la maison familiale, inondée : "C’était une période difficile car mes parents étaient âgés, mon père venait de se faire opérer de la hanche, et on avait 1m50 d’eau dans le sous-sol. J'habitais dans un quartier très inondé. Nous avons été relogés dans un appartement entre début avril et le mois d'août, pris en charge par l'assurance.” 

Le 26 avril 2001, l’arrêté reconnaissant l’état de catastrophe naturelle est pris. 108 communes sont concernées. S’engagent alors de longs mois de travaux, pas toujours pris en charge par l’assurance, malgré cette reconnaissance.

“Après la fin de la décrue, nous avons dû installer des pompes dans le sous-sol pendant trois semaines. La maison était tellement humide, que le système électrique temporaire n’arrêtait pas de disjoncter. L’installation électrique du sous-sol était détruite, mais pour des questions de normes européennes, c’est l’installation de toute la maison que nous avons dû refaire. Mais l’assurance a pris en charge seulement le sous-sol, le reste était à notre charge.

Eric Duhaupas s’estime pourtant chanceux “nous avons été relogés uniquement quelques mois avant de regagner notre maison. Mais certains ont dû vivre dans des bungalows plus d’un an. Ce n’était pas très bien isolé, en hiver avec l’humidité, il faisait froid”

De lourds travaux de prévention des risques

À la suite de ces inondations, un vaste projet de réhabilitation a été mené, les cours d’eau ont été curés, les berges des étangs renforcés, des stations de pompage ont aussi été ajoutées, qui fonctionnent actuellement, avec les fortes pluies. Eric fait partie de l’association de vigilance inondations à Abbeville (AVIA), qui a suivi les travaux effectués. 

“Le risque zéro n’existe pas, mais s’il y a à nouveau des inondations malgré les pompes, elles seront moindres et dureront moins dans le temps”.

Bien que la situation se soit donc stabilisée depuis, le traumatisme persiste. Philippe confie : "Forcément, quand il pleut et qu'on voit l'eau monter, on ne peut pas s'empêcher d'y penser. Les habitants du Pas-de-Calais se demandent quand l'eau va partir, c'est ce que l'on a vécu il y a 20 ans. Cela a un impact psychologique très important. Voir les images du Pas-de-Calais fait remonter un traumatisme, on ne peut pas ne pas penser à 2001”

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