Directrice de la compagnie Passe Muraille, Céline Brunelle se bat depuis près de deux ans pour obtenir la régularisation d'un de ses comédiens. S'il n'obtient ses papiers, elle menace d'entamer une grève de la faim à partir du 9 décembre.
C'est un appel au secours d'une metteuse en scène pour son co-auteur et ami. Fondatrice de la compagnie professionnelle Le Passe Muraille, Céline Brunelle se prépare à une grève de la faim si la situation de José Manzambi, apprenti comédien-musicien d'origine congolaise (RDC), n'est pas régularisée.
Slameur, chanteur, acteur et danseur, le jeune homme s'épanouit aujourd'hui sur les planches au sein de la troupe samarienne. Mais son passé risque de tout détruire.
Une enfance chaotique
Né au Congo, le jeune artiste a grandi en Angola, "dans un climat de violences". Considéré comme un enfant sorcier, il est chassé et grandit dans la rue : "j’ai commencé à traîner dehors. J’étais dans la mauvaise vie et après j’ai rencontré des gens qui faisaient de la musique et je peux dire que c’est grâce à la musique que j’ai trouvé le moyen de m’en sortir".
José arrive en France en 2017, à l'âge de 16 ans avec des papiers de majeur. Arrivé en Picardie après un passage en Auvergne, il est pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, et reprend le chemin du lycée à la cité scolaire jusqu'à sa rencontre avec Céline. Alors qu'il passe une audition à Amiens, comme comédien, la metteuse en scène tombe sous le charme.
Un comédien en devenir
"La première fois que j’ai vu José en scène, alors qu’il n’avait jamais joué un texte de théâtre, j’étais absolument bouleversée et touchée en plein cœur. Il a cette justesse probablement à cause de son parcours de vie qui l’amène à cette profondeur-là. Il joue instinctivement juste. Et du coup avec le travail, ça devient hors normes".
À partir de ce jour-là, Céline Brunelle décide de travailler avec lui. Leur dernier spectacle "Du silence à l'explosion", est joué dans le festival off d'Avignon. Mais à 21 ans, José est sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français.
L'avenir du comédien menacé
"La Préfecture s'appuie sur le fait qu'il est sorti de son pays avec de faux papiers de majeur alors qu'il a déjà produit par trois fois des actes de naissance légalisés rétablissant son identité et sa date de naissance, s'insurge Céline. Depuis plus d’un an et demi, on fait la proposition d’un contrat de professionnalisation expérimentale qui a été travaillé avec notre opérateur de compétences. Il pourrait être, depuis très longtemps d’ailleurs, intermittent du spectacle s’il avait été régularisé avant. Il y a 40 professionnels de la culture qui le soutiennent. L’année dernière, madame Roselyne Bachelot avait été informée de ce soutien, en passant par le cabinet de Gérald Darmanin. Madame Schiappa interpelait la préfète. Toujours rien, toujours aucune régularisation".
"Ça va être la 6e fois qu'on fait la démarche, ajoute José Manzambi. C'est tout le temps les mêmes histoires. Il faut refaire les papiers. Ils disent 'il y a encore un papier qui n'est pas bon'. On refait les mêmes papiers. On donne. C'est toujours cette démarche-là".
"L’instruction du dossier suit actuellement son cours"
Sollicitée, la Préfecture de la Somme indique : "Une demande de titre de séjour a été déposée en mai 2022. L’instruction du dossier suit actuellement son cours normal. Nous n’avons pas été contactés par l’intéressé ou un intermédiaire depuis le dépôt du dossier".
Face à cette situation, Céline s'interroge. Après avoir suivi toutes les procédures, elle a le sentiment d'être arrivée "au bout du chemin" : "moi, ça me questionne sur : est-ce que nous, artistes, sommes utiles dans la société puisque là, au cœur des débats, on parle éventuellement de régulariser les gens qui pourraient nous être utiles dans ce qu’on appelle les métiers en tension, donc sommes-nous utiles ?"
Pour convaincre la Préfecture d'Amiens, si José Manzambi n'obtient pas le titre de séjour, pour "service rendu à la culture", Céline Brunelle commencera une grève de la faim le 9 décembre, au lendemain d'une représentation à l'espace Saint-André d'Abbeville.
Je me retrouve à ne pas avoir d'autre option que de mettre ma vie en danger pour sauver la sienne.
Céline Brunelle
"Je pensais que l'Europe, c'était le paradis . Je peux dire que c'est la jungle. Mais on essaye de faire avec, de se construire avec", conclut José.