Dans son plan de reconfinement "allégé" pour l'automne, le gouvernement prévoit de garder tous les établissements scolaires ouverts, avec un protocole sanitaire renforcé. Les syndicats enseignants appréhendent cette "troisième rentrée covid" et attendent des précisions du ministère.
"Nous ne pouvons priver durablement les enfants d'éducation", a déclaré le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer sur France 2 ce jeudi 29 octobre. C'est sur ce principe que repose la décision de garder les écoles ouvertes malgré l'annonce d'un reconfinement national par Emmanuel Macron. Le ministre assure qu'un "protocole sanitaire renforcé" sera mis en place dès la rentrée des vacances de la Toussaint, lundi 2 novembre.
Dès lundi, un protocole sanitaire renforcé sera mis en place dans les structures scolaires. Il correspond au stade 2 du protocole élaboré après avis du HCSP.#Les4V
— Jean-Michel Blanquer (@jmblanquer) October 29, 2020
Cela nous permettra de maintenir les écoles ouvertes car nous ne pouvons priver durablement nos enfants d’éducation pic.twitter.com/ae3Cy31cxq
"Toujours la même impréparation"
Mais d'après les syndicats enseignants, cette annonce soulève plus de questions qu'elle n'en résout. "Vous avez peut-être des infos, vous ?", nous demande d'entrée de jeu Maxime Paruch, secrétaire départemental du SE-UNSA dans la Somme. "Parce que nous, on n'en a pas... Les infos, on les a par les médias." Un constat partagé par Haydée Leblanc, co-secrétaire de la SNUIpp-FSU dans la Somme. "Une fois de plus, les enseignants sont mis devant le fait accompli. Comme d'habitude, le ministre ne communique pas avec nous, on apprend les choses en même temps que tout le monde, en écoutant la radio."Si tous deux ne s'opposent pas au maintien des cours en présentiel, ils regrettent surtout un manque d'accompagnement de l'institution. "On n'a pas d'informations à donner aux parents pour lundi", déplore Haydée Leblanc. "Mi-mai, c'était normal d'avancer à tâtons. On essayait des choses et on devait en tirer les conclusions. L'erreur est formatrice, on aurait dû apprendre de cette expérience. Mais non, ça n'a pas été fait, c'est toujours la même impréparation, et pourtant c'est le troisième rentrée depuis le début de la crise sanitaire."
Port du masque obligatoire dès 6 ans
Enseignante en primaire à Abbeville, elle soulève par exemple la question du port du masque, désormais obligatoire à l'école pour les enfants de plus de six ans. "Ca va être très compliqué pour eux de rester six heures par jour avec un masque, alors même que dans la rue, ils n'ont pas d'obligation de le porter. Et puis ils vont passer leur temps à le toucher !" C'est d'ailleurs cette dernière raison qui avait été évoquée au printemps pour ne pas imposer le port du masque aux enfants de moins de 11 ans. "On nous disait que le port du masque par les enfants, c'était contre-productif, parce qu'ils risquaient de propager encore plus le virus avec leurs mains. Apparemment, on a changé de doctrine...", ironise Maxime Paruch, également enseignant en primaire, à Albert. "Je pense que c'est surtout pour rajouter quelque chose au protocole sanitaire pour rassurer les familles."Limiter le brassage des élèves
Autre mesure sanitaire annoncée, "limiter le brassage des élèves", sans pour le moment plus de précisions sur l'application de cette règle. "Comment ça va se passer pour les cantines, les garderies ? Il va falloir faire plusieurs groupes qui ne changeront pas, mais est-ce qu'on aura suffisamment de personnel ? Et pour les entrées et sorties d'école, il faudra les alterner pour éviter le croisement des groupes ?" Autant de questions auxquelles Haydée Leblanc n'a pas encore de réponse. D'après l'enseignant albertin, les établissements scolaires ont reçu un mail officiel du ministre ce jeudi matin "pour leur expliquer qu'il reviendrait vers eux dans la journée, mais ce soir, on n'a toujours pas de nouvelles".Il dénonce également des mesures décidées "par le prisme parisien", et qui "ne prennent pas en compte les situations des territoires ruraux, comme le transport scolaire ou le manque de personnel pour le nettoyage régulier des sanitaires dans les écoles de campagne."
La question des absents
Les questions se posent donc pour ceux qui viendront à l'école lundi, mais aussi pour ceux qui ne viendront pas. Côté élèves, certaines familles pourraient par exemple choisir de ne pas renvoyer leur enfant à l'école. "Il y en aura, c'est certain", assure Maxime Paruch. "Pour ces élèves, il y a un risque de décrochage avéré". Et sa consœur d'ajouter : "Certains parents seront peut-être réticents aussi parce que le masque, c 'est un budget. Pourtant je rappelle que l'école de la République est gratuite. Le ministre dit que c'est une fourniture habituelle au même titre que la trousse, mais c'est un budget pour une famille. Certains ont besoin du Secours populaire et des Restos du cœur pour nourrir leurs enfants. Ceux-là, comment vont-ils payer les masques ? On va creuser encore les inégalités."Et les équipes pédagogiques aussi pourraient se retrouver réduites. Les enseignants dits "vulnérables", en raison de leur âge ou de leur état de santé, vont pouvoir s'absenter. "Mais s'ils s'absentent, il faut les remplacer. Est-ce qu'on a assez de personnel pour les remplacer ?", interroge Maxime Paruch. "Je vous le dis, la réponse est non."
Entre inquiétude et épuisement
D'après ces représentants syndicaux, un sentiment général d'inquiétude et de fatigue s'installe dans le corps enseignant. D'autant que cette fois-ci, à la crise sanitaire s'ajoute l'émotion provoquée par l'assassinat de Samuel Paty, professeur d'histoire au collège de Conflans-Sainte-Honorine, décapité la veille des vacances scolaires après un cours sur la liberté d'expression. "On va reprendre dans des conditions émotionnelles difficiles, alors les conditions sanitaires, même si elles sont légitimes, ça fait beaucoup", explique Haydée Leblanc. "On nous demande de gérer la situation vis-à-vis des enfants, mais sans s'inquiéter de comment on se sent nous, en tant qu'enseignants. On est profondément atteints, dans notre chair, par l'assassinat de notre collègue. On ne rechigne pas à la tâche, on est heureux d'exercer ce métier qu'on a choisi. Mais c'est de plus en plus difficile."Un hommage est prévu dans tous les établissements scolaires dés le lundi de la rentrée, avec un rapide temps de préparation entre 8h et 10h. Pour Maxime Paruch, décaler cet hommage de quelques jours, par exemple au jeudi, aurait permis de mieux préparer, avec les équipes enseignantes mais aussi avec les élèves, ce temps fort de la rentrée. Là aussi, l'incertitude règne : les ressources que le ministère avait promis de mettre en ligne pour préparer les échanges avec les élèves sur ce sujet délicat n'ont toujours pas été publiées. "Ca devient vraiment insupportable...", conclut l'enseignant.