Alors que beaucoup de campings ont réduit leur capacité d’accueil au profit de mobile-homes plus rentables, des dizaines de Samariens louent leur propre jardin aux campeurs traditionnels.
On connaissait le camping. On connaissait le camping sauvage. Entre les deux : le camping chez l'habitant se démocratise. Pour la découverte, pour l'économie ou faute de place, les campeurs peuvent installer leurs tentes, caravanes ou camping-cars dans les jardins de particuliers. Rien que dans la Somme, la plateforme française HomeCamper recense près de 150 emplacements. Et la demande explose.
"Tous pays confondus, nous aurons vendu près de 300 000 nuitées en 2022, contre 180 000 l'an dernier", se réjouit Étienne de Galbert, fondateur de ce "AirBnB du camping". La région Hauts-de-France et son littoral attirent particulièrement les campeurs d'Europe du nord, les gens de passage et les cyclistes. "On a un gros développement du cyclo-tourisme, observe l'entrepreneur. Les gens ont tendance à rester le long de leur parcours et réserver à la dernière minute un spot chez l'habitant, ce qui crée beaucoup de belles histoires."
Voir du monde...
Hier, un couple de motards belges a planté sa tente chez Stéphanie, à Sailly-Flibeaucourt. Elle est hôte depuis un an et accueille tous les types de campeurs sur son vaste terrain de 6 000 m2. "En plein Covid, des amis avaient proposé de venir passer quelques temps chez nous, se souvient Stéphanie. Un soir, j'ai cherché "camping chez l'habitant" sur internet et on s'est lancé."
En formation dans le tourisme, la Samarienne de 37 ans gère l'activité avec son compagnon (qui travaille dans les espaces verts) et un ami sans emploi. "Le 7 août, c'était l'anniversaire de Monsieur, on s'est fait un repas tous ensemble avec 3 campeurs", raconte-t-elle simplement.
"On fait des rencontres sympas", confirme Audrey, infirmière de 33 ans, qui ouvre son jardin de Crécy-en-Ponthieu aux campeurs depuis la fin du premier confinement. "Des gens croisés en forêt nous ont demandé où poser leur tente et, puisque tout n'était pas encore rouvert, ils l'ont mise chez nous, raconte Audrey. Le lendemain, j'avais une pub sur mon téléphone et on s'est inscrit sur la plateforme."
Parmi ses invités récemment : "deux jeunes filles venues passer un weekend rentable pas trop loin de la mer", "des Belges qui ne faisaient le camping que comme ça pendant un mois à droite-à gauche", des vacanciers sur le retour qui voulaient profiter de la météo un weekend supplémentaire à moindres frais... En juin dernier, il y eut même toute une équipe de handball, déçue de l'ambiance dans son camping nordiste.
Une équipe de handball nous a appelé en dernière minute pour être logée entre deux matchs. Ils avaient réservé un camping et ils voulaient en profiter, mais ils nous ont dit qu'ils n'étaient pas très bien regardés. Beaucoup de mobile-homes, pas de bruit, tout ça... Du coup, comme nos voisins étaient partis en vacances, pas de souci, on les a accueillis. Fallait laisser jeunesse se faire !
Audrey, hôte HomeCamper
Les campeurs amènent du lien dans le quotidien de ceux qui en manquent. Corinne, isolée par son handicap et sa maison de Quend en pleine pinède, a été inscrite par son fils sur la plateforme en 2018. C'est devenu à la fois son "travail" et son moteur social. "Beaucoup de home-campeurs de tous âges reviennent me voir, on est restés amis", assure-t-elle joyeusement.
"Ma mère et mon beau-père adorent jouer les guides touristiques", s'amuse Chloé, toiletteuse à Crécy-en-Ponthieu. L'an dernier, elle a inscrit le domicile familial de Favières sur HomeCamper après un reportage télé. "Deux jours plus tard, il y avait quelqu'un dans la cour avec sa tente", raconte la jeune femme. Elle passe sur place tous les soirs après le travail, mais les parents se sont pris au jeu : "Ça leur fait de la compagnie, et puis mon beau-père arrive à la retraite, il sera bientôt home-campeur à temps plein !"
...et arrondir les fins de mois
Pour un couple, la plateforme française estime à 12,50 euros le prix moyen d'une nuit de camping chez l'habitant. Un bon plan pour les vacanciers économes... et leurs hôtes.
"Ah bah ça, c'est sûr !", confirme volontiers Chloé. Elle reprend ses comptes : 1 337 euros gagnés d'avril à septembre 2021 ; et bientôt plus de deux SMIC cette année.
On est mieux organisé que l'an dernier et ça a défilé tout l'été ! On est déjà à 2 527 euros. En plus j'ai une jument qui a eu une grosse opération : j'étais contente que les campeurs soient là pour la financer !
Chloé, hôte HomeCamper
Nos autres Samariens sont plus réservés sur le sujet. De quoi payer "quelques restaurants", concède Audrey. Stéphanie souligne que la plateforme en ligne prend une commission de 4%. Et Corinne assure qu'"on ne peut pas en vivre, ce n'est pas un salaire fixe, c'est du dépannage tout au plus."
Accueillir des campeurs peut aussi générer des coûts : aménagement des accès, construction d'une clôture, fourniture d'électricité, d'eau, de petits déjeuners, temps à consacrer aux invités...
Beaucoup d'hôtes partagent leurs propres salle de bain et toilettes. D'autres, comme Stéphanie, installent des WC chimiques dans le jardin, qu'il faut vider plusieurs fois par jour.
Mais ils sont libres de proposer les services qu'ils entendent et de les facturer ou non aux campeurs. Si tout est inclus chez Chloé, avec en prime une salle de bains dédiée aux campeurs et accessible à toute heure (l'hôte limite d'ailleurs le nombre d'invités en fonction de la capacité du ballon d'eau chaude !), d'autres adresses feront payer des options pour tirer de l'eau ou de l'électricité de la propriété.
Pas de concurrence avec les campings ?
Le camping chez l'habitant est très prisé chez les camping-caristes, en difficulté pour trouver des stationnements dans certaines régions. Mais en Baie de Somme, ce sont plutôt les tentes qui frappent à la porte des particuliers.
"C'est régional, il n'y a plus beaucoup de campings qui les acceptent", analyse Audrey. "Beaucoup de voyageurs n'ont rien pour se loger", renchérit Corinne qui, en accueillant jusqu'à 6 tentes dans son petit jardin, dit vouloir "perpétuer le vrai camping". Convivial pour les uns. Oppressant pour d'autres.
Le Rio laisse couler. La patronne de ce camping de Noyelles-sur-Mer assure que toutes ces activités potentiellement concurrentes ne la "dérangent pas" et confirme qu'elle est passée au 100% mobile-homes : "Avec les tentes et caravanes, s'il n'y a pas de beau temps, on ne fait rien... alors qu'avec les mobile-homes, je sais ce que ça me rapporte à la fin de l'année et, d'ailleurs, je suis complet depuis 6 ou 7 ans !"
Non loin de là, son de cloche différent au camping La Safrière de Ponthoile, qui souligne : "On a toujours gardé un pourcentage, on a encore une trentaine d'emplacements pour caravanes, tentes ou camping-cars." L'établissement ne s'inquiète pas pour autant de l'essor du camping chez l'habitant : il en a peu entendu parler.
Parfois la frontière entre les deux marchés tend néanmoins à se dissiper. Ainsi, Stéphanie n'hésite-t-elle pas à se présenter comme "gérante de camping". En attendant de monter le camping de ses rêves dans le sud de la France, elle s'échauffe à domicile : elle impose des horaires d'arrivée à ses campeurs, leur propose des snacks, prévoit de leur construire une cuisine et des sanitaires, et prétend collaborer avec les campings du coin qui l'"appellent quand ils n'ont plus de place."
Une nouvelle activité à réguler
Le monde du camping chez l'habitant est donc en train de s'ouvrir, mais comme toute activité en voie de démocratisation, elle ressemble encore à une petite jungle aussi enthousiasmante qu'incertaine. Comment être certain d'où l'on met les pieds ?
La plateforme HomeCamper se veut rassurante. "Ça se régule très bien, assure Étienne de Galbert. On contacte tous les nouveaux inscrits pour comprendre leurs motivations, on vérifie les photos, puis les commentaires vont automatiquement modérer, l'algorithme va mettre les meilleures annonces en avant. D'ailleurs, au premier commentaire négatif, on appelle. Si ça se reproduit, on supprime l'annonce."
Reste un certain vide juridique. Le camping chez l'habitant n'est pas clairement traité par la législation française. Et beaucoup, de bonne foi certainement, méconnaissent les textes applicables.
Ainsi Stéphanie propose 13 beaux emplacements dans son immense jardin. Chloé accueille des campeurs à la pelle d'avril à septembre. Pleines de bonne volonté, les deux hôtes n'en semblent pas moins dans l'illégalité : selon Étienne de Galbert, "le code de l'urbanisme fixe les limites à 6 emplacements, 20 personnes et 90 jours par an."
Le patron de la plateforme dit travailler avec le ministère à la rédaction d'un livre blanc sur le camping chez l'habitant, afin de clarifier et faire davantage connaître les règles à suivre.