Depuis 2019, plus de 300 pêcheurs ont perdu une grande partie de leur source de revenus dans la baie d'Authie. Ils n'ont toujours pas été indemnisés et demandent réparation.
Depuis des travaux en 2019-2020, la baie d’Authie, située à cheval sur le Pas-de-Calais et la Somme, est scindée par un enrochement, censé protéger cette dune de l’érosion.
Mais cette modification du paysage a eu des conséquences sur l'écosystème de la baie, faisant baisser drastiquement les gisements de coques. Or, ces mollusques sont la principale source de revenus des pêcheurs à pied.
Une perte de 10 000 euros par an et par pêcheur
La perte financière est estimée à plus de 40 000 euros par pêcheur en quatre ans. "C'est un trou énorme dans notre budget parce qu'il y a les cotisations et les licences qu'il faut payer même si on n’exploite pas le gisement", explique Daniel Devismes, pêcheur à pied, en ce vendredi 23 février 2024.
En 2023, 333 licences ont été attribuées aux pêcheurs des baies de Somme et d'Authie. "Les licences sont globales. Quand je paie ma licence en baie de Somme, je la paie aussi bien en baie d'Authie alors que je ne peux pas exploiter. Donc oui, c'est une perte sèche énorme pour nous, pêcheurs à pied", appuie-t-il.
98% du gisement a disparu
En 2019, sur demande de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois (CA2BM), la préfecture autorise en urgence des travaux pour dévier l’Authie afin de contenir une éventuelle submersion marine. Ils durent un an. Le courant de l'Authie se modifie et se déporte du côté de Fort-Mahon.
"La zone de gisement potentiel s'est rétrécie au fur et à mesure, donc forcément, la zone d'acceptabilité des coques a diminué", expose Mélanie Rocroy, chargée d'étude au Groupe d'étude des milieux estuariens et littoraux (GEMEL).
Le chantier a donc altéré la ressource. Entre 2019 et 2023, 98% du gisement a disparu, selon l'étude du GEMEL. Mais les travaux ne sont pas l’unique raison de cette mortalité.
Les températures, les gros orages, des virus ou des bactéries peuvent avoir impacté les coques. On a vraiment une multitude de facteurs qui peuvent impacter une population naturelle.
Mélanie Rocroy, chargée d'étude au GEMEL
Contacté, la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois explique : "En ce qui concerne le GEMEL, nous n’avons pas les mêmes éléments en notre possession. Les avocats du comité des pêches et de la CA2BM sont actuellement en contact. Nous ne commenterons donc pas ce dossier en cours."
Un préjudice économique, mais aussi écologique
En 2020, l’association Picardie Nature porte plainte. Selon son président, les travaux sont illégaux, car aucune étude d’impact n’a été réalisée en amont. L'association veut faire reconnaître le préjudice économique, mais aussi écologique.
C'est une ressource pour des pêcheurs à pied, mais c'est aussi une ressource alimentaire pour plusieurs espèces d'oiseaux. Ça fait partie de la chaîne alimentaire.
Patrick Thiéry, président de Picardie Nature
"On doit préserver la biodiversité des fonds sableux et vaseux d'un estuaire. Ces travaux n'avaient pas leur place tels qu'ils ont été réalisés", dénonce le président de Picardie Nature.
"En plus, il n'y a pas eu de remise en état des lieux puisque les enrochements qu'on voit dans cet estuaire aurait dû être enlevés à la fin du chantier. Et ça n'a jamais été fait", ajoute-t-il. "Ça perturbe l’évolution naturelle d'un estuaire. Il y a un impact écologique très fort", met en avant Patrick Thiéry.
"On a affaire à des fantômes"
Plus de 300 pêcheurs à pied dans les Haut-de-France attendent toujours une indemnisation de la CA2BM, prévue par un accord signé avant les travaux, le 26 novembre 2019. "Deux tiers des professionnels chez nous n'ont pas de licence à l'extérieur. Ils sont condamnés à attendre", constate Cédric Dérosière, président de l'association des ramasseurs de coques professionnels des Hauts-de-France.
"Il n'y a plus de travail et aucune indemnisation alors qu'un protocole a été signé [disant que] si les coques étaient détruites, on serait indemnisés à hauteur de la casse. Maintenant que la casse est là, il n'y a plus personne derrière. On a affaire à des fantômes", accuse Cédric Dérosière.
Toutes nos demandes, toutes nos relances sont laissées lettre morte. On ne nous répond même pas. C'est du mépris", estime le pêcheur à pied.
Daniel Devismes, pêcheur à pied
Aucune issue n’a pour le moment été trouvée. Une procédure judiciaire est en cours auprès du procureur de Lille. "Nous attendons une audience pour qu'un procès ait lieu. Et nous sommes particulièrement inquiets puisque l'État, entre-temps, essaie de faire régulariser cette situation illégale", affirme le président de Picardie Nature.
Avec Rachel Desmis / FTV