Le Lions Club Amiens Samara proposait, lundi 19 février, la 7e édition de son dîner dans le noir. Un dîner avec les yeux masqués, pour sensibiliser au handicap de la cécité et récolter des fonds pour l'aide aux personnes malvoyantes. Environ 80 personnes s'étaient inscrites, toutes voyantes.
"Vous verrez que c’est difficile de reconnaître ce que l’on mange lorsqu’on n’a pas le contrôle de la vue. On va vous laisser découvrir", présente la directrice du Lions club d’Amiens à ses convives. Dans une ambiance détendue, après avoir bu l’apéritif, les 80 participants sont invités à enfiler un masque noir et à se placer en file indienne, par petits groupes, une main sur l’épaule de l’autre. La salle est alors plongée dans le noir. L’expérience peut commencer.
"Ayez confiance, suivez-moi", lance une bénévole du Lions Club. Pas facile de se laisser guider sans repères. Mais tous se prêtent au jeu. Les "accompagnateurs" orientent chaque groupe vers sa table. Une fois les invités placés, il faut encore les aider à situer les objets sur la table. "Là, c’est le verre à eau, là, le verre à vin. Le couteau, la fourchette et la petite cuillère. Là, c'est une bouteille d’eau plate et là, l’eau gazeuse. Pour vous servir, il suffit de mettre le doigt dans le verre pour marquer le niveau", explique cette organisatrice à l’un des participants. Les plats arrivent enfin, mais personne ne sait ce qu’il a dans son assiette.
Dans la peau d'un malvoyant
Dès le début de l’expérience, chacun échange ses impressions. Anne participe à l’évènement pour la première fois. Pour cette trentenaire, il était important de se mettre dans la peau d’une personne malvoyante. "Je ne vois pas très bien, alors ça me met en condition au cas où un jour, je ne vois plus rien. Je m’aperçois qu’on entend beaucoup plus de bruits. La perception de l’environnement est différente."
Dans cette grande salle des fêtes de Cagny, tous se retrouvent dans une situation qui leur était jusqu’alors inconnue. Le noir total, la perte d’un sens, la vue, qui permet de se situer dans son environnement. Le Lions Club organise chaque année, depuis sept ans, le "dîner dans le noir", afin de sensibiliser les volontaires à ce handicap. "L’aide aux personnes malvoyantes est un des axes de travail prioritaires du Lions Club depuis sa création, en 1917, aux États-Unis. Chaque année, pour ces dîners dans le noir, on choisit une association ou une personne partenaire, qui a des besoins particuliers, toujours autour de la déficience visuelle. On les aide comme on peut avec les dons récoltés à cette soirée. Ces fonds servent à acheter du matériel", explique Hermine Artz, président du Lions Club Amiens Samara.
Cette année, c’est l’association SESSAD "déficience visuelle", services d’éducation spéciale et de soins à domicile de la Somme, qui a été élue. Chaque jour, elle accueille et accompagne une quinzaine d’enfants et d’adolescents dans le département. Cette soirée est l’occasion pour l‘association de se faire connaître, mais surtout de récolter des dons. "Les sommes récoltées pourront servir à l’achat d’une visio book ou d’un zoom texte, des ordinateurs et logiciels, très onéreux, qui permettent d’adapter les documents et les images en les agrandissant, par exemple. Les pathologies sont différentes. Certains voient mal les couleurs, les contrastes ou les formes. Ces matériels permettent de rendre la lecture accessible aux personnes malvoyantes", explique Karl Happe, chef de service au Sessad de la Somme.
Se mesurer au handicap de la déficience visuelle, mais aussi donner un coup de pouce à l’association, chaque participant prend ce jeu de rôle à cœur, dans la bonne humeur et prévoir déjà les bourdes. "Je vais manger dans l’assiette de mon voisin", "Je lui sers à boire, mais je ne sais pas si ça va tomber sur son pantalon", "Je ne lâche plus mes verres, moi, je ne veux pas les perdre"... Des blagues, lancées à la volée entre deux bouchées, mais qui trahissent une réalité du quotidien des personnes malvoyantes.
Une sensibilisation réussie
Le menu est resté secret et les goûts, les saveurs et les plats contenus dans les assiettes restent la discussion principale sur toutes les tables. "C’est une salade ? Un feuilleté ?", "C’est du bœuf ?", "Non, c’est un légume.", "J’ai une espèce de truc, on dirait une saucisse ou une rondelle". Certains se trompent de verre : "Je me suis trompé, j’ai voulu boire du vin et c’était de l’eau".
Et d’autres ne s’en sortent pas avec leurs couverts. Comme Pierre, qui réalise cette expérience pour la seconde fois. "Les gestes les plus simples deviennent compliqués. Pour trouver l’aliment avec ses couverts, on tâtonne en évitant de trop mettre les mains dedans. Et, une fois qu’on a trouvé, on essaie de couper, mais ensuite, on se retrouve avec une fourchette vide dans la bouche", raconte-t-il.
Après plus d’une heure, les invités commencent à fatiguer. "On est épuisés à force d’essayer de visualiser ce qu’on fait. Et on entend beaucoup de bruit autour de nous", explique cette femme, pas très à l’aise à table. Pour Madiana, une autre participante, cette expérience est une prise de conscience. "Je voulais me mettre en situation. Mes deux grands-pères sont devenus aveugles et je me suis occupée d’eux. Mais je me rends compte que je leur demandais trop parce qu’il faut beaucoup réfléchir. C’est fatigant. C’était important pour moi de le vivre."
Ce soir-là, 80 personnes auront pu faire l’expérience de quelques heures dans la peau d’une personne malvoyante et éprouver les limites d’une telle situation. L’association SESSAD, qui œuvre à l’amélioration des conditions de vie des enfants malvoyants, repart, elle, avec un chèque de 1 000 €.