Un projet d'arrêté préfectoral vise à mieux encadrer les nouvelles activités qui se développent sur réserve naturelle de la baie de Somme. Le vélo, le cerf-volant ou encore le kitesurf pourraient être interdits. Le but affiché est de protéger la faune et la flore de la réserve naturelle. Des habitants des villes aux alentours s'opposent à cette nouvelle réglementation.
"Je suis tombée de ma chaise quand j'ai lu toute cette somme d'interdits" lance Caroline Deconinck sur la plage du Hourdel. Cette "somme d'interdits", c'est un projet d'arrêté préfectoral qui tend à empêcher la pratique d'un certain nombre d'activités sur l'emprise de la réserve naturelle de la baie de Somme. Le jet ski, le kitesurf, l'usage de cerf-volant, le vélo et tout usage de véhicules à moteur seraient bannis. Le char à voile lui aussi serait prohibé, sauf si l'activité est encadrée par des professionnels ou une association.
L'objectif de cet arrêté est le mieux protéger la faune et la flore de la réserve naturelle. Ce projet vient d'un constat dressé par les différents acteurs de la protection de la baie. "On a constaté qu'il y avait un ensemble d'activités émergentes qui se développent de plus en plus, qui n'étaient pas prévues dans le décret de 1994. Elles posent des soucis sur la faune et la flore locale", explique Antoine Meirland, conservateur de la réserve naturelle de la baie de Somme.
En effet, une réglementation de protection existe déjà depuis 1994, année de création de la réserve. Cet arrêté préfectoral vise à la mettre à jour, mais ce que reprochent des habitants des communes aux alentours, c'est surtout de ne pas avoir été consultés en amont. "Je trouve cela injustifié parce qu'on n’a pas été concertés. Je n'ai reçu aucun mail, aucun coup de téléphone, c'est délicat", explique Christophe Quennessen, directeur de l'école de kitesurf de Cayeux-sur-Mer et adjoint municipal de cette commune. La direction de la réserve indique avoir tenté de les contacter, sans succès : une excuse inacceptable pour ces habitants.
"On va se faire sortir un peu plus du territoire"
Si les pratiquants du kitesurf se mobilisent contre ce projet de règlementation, ce n'est pas parce qu'il impacte leur pratique. Pierre Garnier, président de l'association Ches Cayteux, assure qu'il est très rare que leurs voiles franchissent les limites de la réserve, délimitées par les balises du chenal de la Somme qui longe la pointe du Hourdel. Il y pénètre exceptionnellement "pour des raisons nautiques". Pour lui, l'interdiction totale de cette pratique dans le périmètre de la réserve est donc injustifiée.
J'ai de plus en plus le sentiment de me faire sortir du territoire que j'occupe depuis toujours.
Christophe QuennessenDirecteur de l'école de kite-surf et adjoint municipal de Cayeux
"On nous dit ‘vous ne posez pas de problèmes, vous êtes sérieux, donc on va vous interdire’, ce n'est pas sérieux. On interdit les choses parce qu'elles ne posent pas de problème ?" s'interroge Pierre Garnier. Signataire de la charte des bonnes pratiques de la réserve naturelle, rédigée il y a une quinzaine d'années, lui aussi regrette de n'avoir pas été consulté pour l'élaboration de ce nouveau règlement et y voit l'annonce de temps difficiles.
"On se dit que si on lâche du lest maintenant, alors qu'on a toujours été sérieux et respectueux du système, on va se faire sortir un peu plus du territoire dans lequel on évolue depuis plus de 20 ans" ajoute-t-il.
"Je monte au créneau, car c'est une interdiction supplémentaire que je ressens en tant qu'habitant local, j'ai de plus en plus le sentiment de me faire sortir du territoire que j'occupe depuis toujours, abonde Christophe Quennessen, également adjoint à la mairie de Cayeux. J'ai le statut d'élu et je n'ai pas les moyens de donner aux concitoyens le moyen d'aller pratiquer des activités sur le territoire de la commune, entre guillemets." Car la réserve débute au nord de la pointe du Hourdel : les activités sur la plage de Cayeux ne sont donc pas concernées.
Pétition et collectif
Pierre Garnier et Christophe Quennessen font donc partie des plus de 3 000 signataires d'une pétition, mise en ligne pour lutter contre ce projet. À son origine, Caroline Deconinck, résidente du Crotoy qui pratique la marche et le longe-côte dans la réserve. Elle dénonce "un texte en trompe-l'œil : il désigne des pratiques individuelles comme étant dangereuses pour l'environnement sans le démontrer ni produire d'études d'impact, tout simplement, on interdit ces pratiques comme le cerf-volant. En fait, il autorise des pratiques collectives pour peu qu'elles soient vendues par un prestataire qui lui-même doit avoir un agrément."
On n'a pas deux poids, deux mesures, c'est vraiment la même chose pour tout le monde. Après, je peux comprendre que de nouveaux interdits puissent susciter des oppositions.
Antoine MeirlandConservateur de la réserve naturelle de baie de Somme
En réalité, seule deux pratiques interdites aux particuliers sont autorisées si elles sont encadrées : le char à voile et le débarquement depuis un bateau ou canoë, uniquement permis sur une bande de 300 mètres à la limite sud de la réserve. Et non "la pratique individuelle gratuite de toutes activités de plein air qui seraient désormais autorisées uniquement dans un cadre commercial et payant" comme il est mentionné dans la pétition.
"Il y a, à mon sens, une incompréhension des différents éléments qu'on souhaite mettre en place, souligne le conservateur de la réserve Antoine Meirland. On n'a pas deux poids, deux mesures, c'est vraiment la même chose pour tout le monde (ndlr : à l'exception du char à voile et des débarquements). Après, je peux comprendre que de nouveaux interdits puissent susciter des oppositions."
Le principal grief de Caroline Deconinck, c'est par exemple l'interdiction de la promenade hors des sentiers balisés autour de l'heure de la marée haute. "Les règles administratives élaborées dans des bureaux qui me disent que deux heures avant la pleine mer, deux heures après la pleine mer, je ne peux pas passer par tel chemin, mais qu'il me faut passer par tel autre... Que je partagerai d'ailleurs avec des dizaines de gens qui seront emmenés par vagues vers le parc du Marquenterre... Ça me paraît insupportable. L'empreinte du marcheur, pieds nus, dans la baie, ne présente pas un risque avéré pour le biotope."
Elle demande par exemple la prise en compte d'une saisonnalité des restrictions, qui pourraient être plus drastiques en période d'affluence touristique.
Le difficile partage de l'espace
En réalité, cette polémique n'a rien de nouveau. En 2006 déjà, un projet d'arrêté préfectoral prévoyait de restreindre certaines activités, de façon assez similaire au projet actuel. Il avait été abandonné après deux ans de travail, en octobre 2008, par une préfecture découragée par l'opposition. C'est d'ailleurs de cet échec initial qu'est née la "charte des bonnes pratiques" à laquelle font référence les opposants au projet actuel.
"La réserve naturelle est le théâtre de nombreuses tensions, résultant de comportements très
individualistes. En règle générale, les visiteurs souhaitent avant tout exercer leur activité comme ils l’entendent, sans vraiment se soucier d’autrui. Le fait que l’on se situe sur de grands espaces
procure un sentiment de liberté et il peut être difficile, pour les visiteurs, d’imaginer que le site
puisse être saturé" peut-on ainsi lire dans le plan de gestion 2017-2021 de la réserve naturelle.
Mais ce précédent ne décourage pas l'actuel conservateur de la réserve naturelle. "Là, on a fini la consultation du public qui a plutôt bien marché, presque 80% des avis sont positifs, indique Antoine Meirland. Tous les avis vont être pris en compte, le dossier va être retravaillé pour avoir une proposition qui sera faite prochainement par les services de l'État."
Terminée fin avril, la consultation publique aurait reçu plus de 250 avis d'après Antoine Meirland, qui insiste sur le fait qu'il a également rencontré plus de 100 personnes issues de 80 organisations pour mettre au point ce projet de nouveau règlement. Pour lui, le principal objectif est de mettre un arrêt au développement des offres touristiques les plus nuisibles pour cette espace, comme les balades en trottinettes électriques et fatbikes proposées par certains opérateurs. Ce texte permettrait à ses agents d'intervenir plus efficacement, car ils ne sont qu'une poignée pour assurer le respect des règles dans cet espace de 3 000 hectares.
La phase d'analyse et d'intégration des résultats de la consultation publique est en cours. Aucune date d'entrée en vigueur du nouveau règlement n'a pour l'instant été précisée. Quant aux opposants, ils comptent se constituer en association et mener des recours juridiques si nécessaire.