Comme chaque année, une messe en l'honneur des disparus de la mer a eu lieu à l'Eglise Saint-Pierre Saint-Paul de Calais. Une cérémonie qui résonne particulièrement dans l'actualité alors qu'au moins 16 migrants ont perdu la vie dans la Manche depuis le 1er janvier 2024.
Des visages émus et une cérémonie particulièrement solennelle a lieu dans l'église Saint-Pierre Saint-Paul de Calais. Des dizaines de personnes se serrent sur les bancs. L'édifice semble presque trop petit. Aujourd'hui, coutume calaisienne, les disparus en mer sont à l'honneur comme chaque année au moment de l'Ascension. Plus qu'une tradition religieuse, "un devoir de mémoire" pour ce Calaisien, la soixantaine, à la barbe fournie et aux airs de vieux loup de mer. "Je suis le descendant d’une famille de marins, côté paternel et maternel. Alors oui, j’ai eu des proches décédés en mer”, témoigne l’homme.
Comme un écho, la prière du prêtre résonne dans l'Eglise : "Tu sais combien la mer est porteuse de vie mais aussi de mort. Nous te prions pour tous ceux qui ont péri en mer." De longs instants de recueillement avant que le prêtre n'enjoigne les fidèles à rejoindre le port. La procession passe au pied du phare. L'office se poursuit sur les quais et la mer est bénie. Des fleurs sont lancées comme des offrandes en mémoire des disparus. Dans les pensées : les pêcheurs, les plaisanciers et le souvenir des drames maritimes.
Au moins 16 migrants décédés dans la Manche depuis le 1er janvier 2024
Si ces dernières années les accidents sont plus rares du côté des Calaisiens, une autre population est désormais régulièrement victime de la mer. Il y a deux semaines, cinq migrants sont morts noyés au large de Wimereux en tentant de rejoindre l'Angleterre sur une embarcation de fortune surchargée. Un drame de plus.
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Depuis le 1er janvier 2024, au moins 16 migrants ont péri dans de telles circonstances. "Ça nous préoccupe beaucoup, en tant qu'Eglise et en tant que communauté" insiste le prêtre. Peut-être encore plus aujourd'hui, où le soleil et la mer calme, qui bercent la cérémonie, provoquent des tentatives de départs d'exilés.
L’homélie prend alors des élans humanistes où l’Ascension est “un pont entre une rive et l’autre”, confusion entretenue entre la vie et la mort... ou la France et l'Angleterre. "Nous devons chercher comment mieux accompagner ces personnes pour les sauver. Ce sont des victimes. On ne peut pas les bloquer, ça n’arrêtera rien et ça continuera le drame et la tristesse. La migration demande de l'accompagnement", analyse le prêtre, Jeff Noël.
Les sauveteurs en mer mis à l'honneur
Dans la foule anonyme, beaucoup sont témoins de ce drame quasi-quotidien. “Je me suis souvent promenée sur la plage en voyant des canaux, des vêtements, des chaussures d'enfants et ça m'a toujours beaucoup émue” raconte cette femme. Une autre Calaisienne, venue avec son fils, “pour le sensibiliser aux dangers de la mer” parle, elle, “d’une catastrophe quotidienne, qui nous peine énormément.” Enfin, cette habituée de la messe à l'Eglise Saint-Pierre Saint-Paul confie qu’elle adresse souvent ses prières aux migrants. “On pense aussi à eux, bien sûr, aux jeunes enfants particulièrement. Et puis aux sauveteurs.”
Eux aussi participent de la cérémonie. Le prêtre embarque même sur une navette de la SNSM pour une nouvelle bénédiction de la mer, au large cette fois. Un regard vers l’horizon : “la mer est belle et cruelle à la fois”, lâche-t-il.
La mer ne prévient pas, c'est un espace de liberté extrêmement exigeant. Il faut penser à tous les marins, et particulièrement aux sauveteurs qui les prennent en charge.
Philippe Darques, président de la SNSM Calais
Même constat pour le président de la SNSM Calais, Philippe Darques. "La mer ne prévient pas, c'est un espace de liberté extrêmement exigeant. Il faut penser à tous les marins, et particulièrement aux sauveteurs qui les prennent en charge".
Une façon de rappeler qu'au large de la Côte d’Opale, secourir les naufragés migrants est devenu la principale mission de la SNSM. En 2022 "plus de 500 migrants ont été ramenés à Calais, année record", rappelle Philippe Darques. Il insiste sur le traumatisme de ses équipes ces soirs où "ils ont ramené des personnes décédées."
Pour sauver, eux-mêmes se mettent parfois en danger de mort. "Chaque année en France, des camarades disparaissent. Nous sommes marins, bénévoles et nous nous formons mais nous restons touchés par ces décès dans la mer", conclut Philippe Darques.