Construit au tout début du 20e siècle afin d'attirer des touristes fortunés sur la côte d'Albâtre, l'hôtel Trianon du Tréport connut un triste destin avant même de pouvoir accueillir ses premiers clients. Après deux guerres mondiales, il ne reste désormais plus rien de ce vaste projet hôtelier, symbole de la Belle Époque.
Ce récit commence au milieu du 19e siècle. À cette époque, la mode des bains de mer va connaître un essor fulgurant. Notamment sur le littoral picard et normand, de part et d'autre de la rivière de la Bresle qui sépare, celles que l'on nomme ici, "Les Trois Villes-Sœurs" : Eu, Mers-les-Bains et le Tréport. Trois villes à cheval sur les départements de la Seine-Maritime et de la Somme. Il faut dire que la région bénéficie alors de la royale présence de Louis-Philippe qui établit ses quartiers d'été en son château à Eu.
Des villégiatures royales qui attirent l'aristocratie de l'époque. Laquelle tombe sous le charme de cette Côte d'Albâtre dominée par d'impressionnantes falaises, les plus hautes d'Europe. Elle va d'ailleurs faire construire de charmantes villas sur le front de mer compris entre Mers-les-Bains et le Tréport.
C'est le début de la Belle Époque, pour les plus fortunés en tout cas. Car ces riches aristocrates découvrent aussi les bienfaits des bains en mer. Une pratique qui étonne alors les habitants des villages de pêcheurs du Tréport et alentours.
En 1872, cette fréquentation touristique va s'accélérer considérablement avec la construction de la ligne de chemin de fer reliant Paris au Tréport. Des affiches publicitaires de l'époque vantent d'ailleurs cette destination comme " la plus jolie plage d'Europe à trois heures de Paris".
Un projet pharaonique : le Trianon, un hôtel dernier cri pour l'époque
À la fin du 19e siècle, des investisseurs franco-anglais voient tout le profit qu'il y a à tirer de cette grande vogue des séjours en bord de mer. Ils font appel à Henri Sauvage et Charles Sarazin, architectes et concepteurs des magasins de "La Samaritaine" à Paris, pour créer ce qui sera un véritable palace, situé au sommet des falaises, sur le domaine dit "Des Terrasses", avec une vue imprenable sur la mer.
Il faudra une dizaine d'années pour sa construction, assurée par "une armée de petites mains dont on ne comptait pas les heures de travail", précise Dany Laurent, professeur d'histoire tréportais et membre de l'association Les Enfants du Vieux Tréport. "Avec un salaire horaire dérisoire, les investisseurs peuvent voir grand", nous dit-il encore. Le Trianon est achevé en 1913.
Il est immense. De style néo-classique, il comporte 200 pièces, une cinquantaine de salles de bains : un luxe inouï à une époque "où les habitants des communes alentours devaient aller chercher leur eau à la pompe car l'eau courante n'existait quasiment pas", explique Bernard Laurent, le père de Dany Laurent, ancien pêcheur, à l'origine de la création du Musée du Vieux Tréport il y a une trentaine d'années. "Le Trianon est à l'image des plus grands palaces de la Riviera, dans le sud de la France", précise Bernard Laurent. "Un complexe touristique immense, doté de vastes jardins, d'un terrain de tennis, d'un golf 18 trous et même, d'un terrain de hockey !" Il faut dire que les investisseurs ont à l'époque la ferme intention de rivaliser avec "Paris-Plage", la ville rivale en terme de fréquentation touristique, Le Touquet, plus au nord, sur la côte d'Opale.
Un funiculaire pour relier Le Trianon à la ville basse du Tréport
Lorsque les riches touristes arrivent au Tréport par le train à vapeur, ceux qui souhaitent se rendre sur les Terrasses, au sommet des falaises, doivent prendre des calèches. Difficile inversement, pour ces estivants fortunés, de descendre jouer au casino, situé dans la ville basse. Alors, la décision est prise de creuser à même la craie, dans les hautes falaises, pour percer un tunnel qui doit accueillir un funiculaire. Les travaux débutent en 1907 et s'achèvent 18 mois plus tard. Les deux gares, haute et basse, ont fière allure : dans le style des stations aériennes du métro parisien, en briques vernissées et structure métallique. Et le 1er juillet 1908, le comte et la comtesse d'Eu inaugurent la ligne en présence de 2 000 personnes.
La Première Guerre mondiale, le début de la fin pour Le Trianon
Sa construction tout juste achevée, le palace tréportais n'a même pas le temps d’accueillir le gotha européen tant attendu entre ses murs, scintillants d'un luxe clinquant. La Première Guerre mondiale vient d'éclater. Finie l'insouciance de la Belle Époque. Terminés les bains de mer... "Tous les édifices publics des stations balnéaires de Picardie et de Normandie sont transformés dès 1914 en hôpitaux militaires, pour soigner les milliers de blessés qui affluent des zones de combat toutes proches", nous explique l'enseignant d'histoire Dany Laurent.
Et le Trianon n'échappe pas à la règle. Ses vastes et luxueux salons hébergent désormais les militaires du Commonwealth en convalescence, des soldats venus des quatre coins de l’Empire colonial britannique. "Les blessés sont tellement nombreux, qu'on est obligé d'installer des baraquements de fortune sur tout le plateau entre le Tréport et Mesnil Val", nous dit encore Dany Laurent. Pour le Trianon, une vocation hospitalière qui perdure jusqu'en 1919 avec l'évacuation des derniers blessés.
Les années 30, ou la lente agonie d'un projet mort-né
Pendant cinq longues années, le palace du Trianon n'a pas accueilli un seul client. Et la période qui s'ouvre après-guerre, n'est pas à la fête. Le krach boursier de 1929, puis les grèves massives de 1936 en France, portent un coup dur à l'activité touristique sur la Côte d'Albâtre. L'hôtel fait faillite à la fin des années 30.
C'est le début de l'agonie pour ce fleuron qui n'aura jamais eu le temps nécessaire pour remplir sa vocation première, offrir à une clientèle argentée des loisirs haut de gamme dans un somptueux panorama. Pire encore, les plaies de la Grande Guerre tout juste refermées, le 3 septembre 1939, la France entre en guerre. Une guerre mondiale encore. Et le palace va payer un lourd tribut à ce conflit.
1942 : Le Trianon n'est plus
Dès 1940, la jolie cité balnéaire du Tréport, qui rivalise alors avec Mers-les-Bains pour la beauté de ses villas, est occupée par les Allemands. "Ils vont réquisitionner ces manoirs Belle Époque et bien sûr l'hôtel Trianon", explique notre historien tréportais, Dany Laurent. "Pire, avec la tentative de débarquement avortée des Canadiens à Dieppe, en août 1942, les troupes d'occupation vont raser tout ce qui peut servir d'abri aux soldats, alliés à la France. Raser aussi tout ce qui gêne les tirs éventuels des batteries antichar placées et dissimulées dans les ouvrages du Mur de l'Atlantique, les blockhaus et les bunkers qui parsèment la crête des falaises." Au Tréport, le casino et le Trianon sont dynamités, purement et simplement.
Mais l'occupant est pragmatique. Les Allemands récupèrent les tonnes de gravats de l'hôtel détruit, pour utiliser les briques dans les tunnels de leur forteresse, le Kahl Burg, littéralement "le château chauve", en cours de construction, bien au secret, au cœur de la falaise du Tréport, juste en-dessous de ce qui fut Le Trianon.
Du funiculaire, il ne reste plus que le tunnel. Les gares haute et basse ont été détruites elles aussi. "C'est tout le patrimoine balnéaire et architectural de la ville qui a été détruit cette année là", précise Bernard Laurent, du Musée du Vieux Tréport. Bombardé à sept reprises, et ravagé à presque 30%, surtout sur le front de mer, Le Tréport se verra remettre la Croix de Guerre à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une distinction qui honore le courage et la combativité de ses habitants.
De la splendeur ancienne il ne reste plus rien...
Aujourd'hui, de cette incroyable histoire, ne restent qu'une volée de marches et un bout du muret d'enceinte ouvrant sur ce qui fut autrefois les vastes jardins du Trianon. Maigre vestige d'un magnifique ensemble dont seules les cartes postales anciennes nous donnent une idée.
Des vestiges, précieux pour la ville, qui furent restaurés en 2016. "Enfant, je me souviens bien avoir chassé le lapin dans les ruines du Trianon", nous confie Bernard Laurent, né en 1946. "Sur l'ancien site d'implantation du Trianon, en haut des falaises, tout a beaucoup changé depuis les années 1970. Avec la construction d'un collège et de plusieurs centaines de pavillons, le lieu est méconnaissable."
Une mémoire parfois retrouvée. Comme ce fut le cas pour l'auteure, normande d'adoption, Aline Cannebotin. À l'occasion d'une promenade, elle découvre les vestiges du Trianon, se passionne pour son histoire et écrit L'Ange du Trianon (City Editions). Réalité et fiction se mêlent dans ce livre dont l'intrigue prend pour décor le chantier de construction du plus beau palace que notre littoral ait connu.